Déclaration conjointe et questions ouvertes sur ProSAVANA par la société civile du Mozambique, du Brésil et du Japon suite à la divulgation récente de documents gouvernementaux
Contexte et objectif
En octobre 2012, l’UNAC (Union nationale des paysans), le mouvement paysan le plus important au Mozambique, présente une déclaration résumant ses préoccupations vis-à-vis ProSAVANA[i], un programme de développement agricole de grande échelle implanté dans le Corridor de Nacala, au nord du Mozambique. En tant que membres de la société civile commune des trois pays impliqués (Mozambique, Brésil et Japon), nous déployons depuis lors des efforts constants afin d’apporter des changements au programme de manière à ce que les droits et la souveraineté des paysans locaux soient respectés[ii].
En mai 2013, une lettre ouverte est soumise aux gouvernements des trois pays par l’UNAC et vingt-trois organisations locales de la société civile. La lettre ouverte demandait la suspension immédiate du programme, la divulgation de l’information pertinente et à ce que le programme soit fondamentalement reconsidéré en vue de permettre une participation active et indépendante aux paysans[iii]. Suite à cette requête, les gouvernements ont promis d’initier un « dialogue attentif » avec les paysans et les organisations de la société civile[iv].
Cependant, l’information relative au programme demeure privée, et depuis 2013, on assiste à des menaces continues et à des violations des droits de la personne à l’endroit des individus et dirigeants des unions agricoles qui manifestent leur réserve ou leur opposition face au programme. Des « audiences publiques » ont été tenues dans les 19 districts où le programme devait être implanté entre les mois d’avril et juin de l’année 2015. Toutefois, plus de 80 organisations de la société civile d’à travers le monde, incluant l’UNAC, ont condamné les « audiences » comme truquées, masquée et inadaptée, puis ont dénoncé la procédure et les résultats comme invalides[v].
Suite à un tel dénouement, la société civile des trois pays a demandé plusieurs fois aux gouvernements 1) de respecter les droits de la personne, 2) d’accroître la transparence et de se responsabiliser davantage ainsi que 3) de tenir des consultations valides et légitimes basé sur le CLPÉ (consentement libre, préalable et éclairé). En dépit des promesses verbales, la situation n’a cessé de se détériorer.
En octobre 2015, l’AJCI (Agence japonaise de coopération internationale) lance un « Projet d’engagement des parties prenantes[vi] » ayant pour but de réagir aux critiques formulées lors des audiences publiques, particulièrement celles de l’UNAC[vii]. D’ailleurs, ledit projet a été déployé sans que la société civile des trois pays en soit informée, provoquant plusieurs répercussions négatives, dont certaines ont été ressenties au sein de la société civile mozambicaine. Quelques mois plus tard, au mois de février de l’année en cours, l’UNAC et neuf organisations locales de la société civile ont publié une déclaration « dénonçant l’injustice du processus de dialogue[viii] » proposé par ProSAVANA.
Au mois de mai, 46 documents relatifs au « Projet de participation de la société civile[ix] » ProSAVANA sont divulgués. S’ajoute à ce nombre l’obtention de plus d’une centaine de documents obtenus grâce à la Loi japonaise sur la divulgation de l’information administrative.
Cette déclaration condamne fermement les conclusions révélées par ces documents et demande à ce que les préoccupations qui suivent soient adressées aux trois gouvernements et à ce que ces derniers répondent immédiatement aux questions.
Ce que les documents révèlent
Les preuves mises en évidence par ces documents, les réalités observées sur les lieux mêmes du programme[x]ainsi qu’une évaluation minutieuse des explications données par le gouvernement lors de diverses réunions[xi], indiquent les éléments suivants :
1) En décembre 2012, suivant la dénonciation du programme ProSAVANA faite par l’UNAC en octobre, les gouvernements des trois pays conviennent d’adopter une « Stratégie de communication[xii] ». Diverses contre-mesures sont planifiées et adoptées à l’égard des organisations de la société civile et des mouvements manifestant leur réserve ou leur opposition face au programme ProSAVANA. Le stratagème a été financé par l’AJCI[xiii]sous forme de « Plan d’action et de proposition d’intervention[xiv] ».
2) Un « Réseau de collaborateurs » comprenant des administrateurs de districts – des figures d’autorité traditionnelle – et des individus conciliants est tissé afin de diminuer l’influence des paysans et des organisations civiles à l’intérieur des communautés locales des 19 districts ciblés par le programme et afin de porter atteinte à leurs revendications[xv].
3) Dans leur dessein de semer le chaos au sein des groupes de la société civile, d’amoindrir la crédibilité et de fragiliser la confiance et accordée aux organisations de la société civile internationale (particulièrement celles issues du Brésil et du Japon), diverses mesures sont prises avec la participation des autorités gouvernementales et médias locaux[xvi].
4) En octobre 2015, l’AJCI met en marche le « Projet d’engagement des parties prenantes », et par le biais d’un contrat conclu avec des consultants locaux[xvii], met en œuvre une stratégie dans le but de « s’approprier la société civile[xviii] ». Plus particulièrement, elle identifie de potentiels conflits d’intérêts entre les groupes locaux de la société civile ou à l’intérieur même des groupes pour ensuite mener des interventions stratégiques[xix]; « encourage le développement d’alliances[xx] » en faveur du programme ProSAVANA; exerce des pressions pour la « culture » de certains groupes[xxi]; envisage de créer « une (seule) plateforme de dialogue »/« comité [de travail] consultatif ProSAVANA[xxii] ». Ainsi, seuls « ceux qui démontrent leur volonté » et qui sont approuvés par l’AJCI et le QG-ProSAVANA ont été invités aux réunions préparatoires[xxiii]. La campagne « Non à ProSAVANA », l’UNAC et ses unions provinciales ont également été exclues et «négligées au niveau des négociations[xxiv] ». La création de la plateforme se concrétise finalement dans le désir de provoquer des circonstances où les groupes n’auraient autre choix que de participer par peur d’être laissés pour compte[xxv].
5) Quoi qu’il en soit, ils ont reconnu que l’UNAC et d’autres organisations ont fait des déclarations auxquelles ils ne répondraient pas[xxvi], et se sont livrés à des « activités de lobby intensives » déguisées en visites gouvernementales japonaises et se sont renseignés de manière déloyale sur les informations internes de l’UNAC[xxvii].
Une analyse rigoureuse de ces documents, sur laquelle cette déclaration est basée, a été publiée le 22 août 2016 par la société civile japonaise[xxviii]. Les détails s’y rapportant peuvent être retrouvés sur ce communiqué, et bien que les opinions puissent être nombreuses, la présente déclaration conclut que le programme ProSAVANA, de toute évidence distant et sourd à l’égard des préoccupations et demandes urgentes des unions paysannes locales et des organisations de la société civile des trois pays amies, a établi des stratégies insidieuses et a cherché à affaiblir, à semer le chaos et à écarter les groupes et individus exprimant des préoccupations valables à l’endroit du programme.
Résistance, demandes, et questions ouvertes
Nous condamnons fermement cette intervention trompeuse menée contre la société civile par le gouvernement comme faisant partie d’un programme de coopération international.
L’accaparement des terres est une préoccupation des plus pressantes pour le Corridor de Nacala. Le programme de « Développement économique du Corridor de Nacala », le plus important projet sous lequel le programme ProSAVANA s’inscrit, continue à favoriser les investissements sans aborder le problème de façon efficace[xxix]. La coopération internationale et les programmes d’aide devraient reconnaître l’enjeu et participer à l’autonomisation et à la fraternisation des agriculteurs et de la société civile qui ensemble font face à ces défis. Somme toute, les agissements du programme ProSAVANA ne sont pas du tout en harmonie avec les objectifs bienveillants, mais témoignent plutôt d’une intention hostile à l’égard des agriculteurs. C’est ainsi que ces derniers voient les risques de perdre leurs terres s’accroître jour après jour au rythme des pressions et des manigances.
La situation actuelle, telle que discutée ci-dessus, va non seulement à l’encontre des principes de « solidarité internationale » et de « coopération internationale » prononcés par les gouvernements du Brésil et du Japon ainsi que de leurs agences respectives, mais se caractérise par la violation de droits constitutionnels fondamentaux. Une fois de plus, nous condamnons résolument les trois gouvernements puisqu’ils se livrent à la rétention illégale de l’information, qu’ils enfreignent de manières flagrantes les lois et directives des trois pays et qu’ils ne cessent d’adopter des mesures institutionnelles et douteuses de manière délibérée. Nous tenons également à souligner que les contre-mesures précipitées en réponse à la mission de la société civile n’ont autre but que de compromettre la paix, la démocratie, la gouvernance et les droits de la personne au Mozambique.[xxx]
En tant que citoyens des trois pays, nous demandons à ce que les mesures suivantes soient prises immédiatement :
1) Arrêt du programme ProSAVANA et de toutes les activités qui y sont liées
2) Divulgation de tous les documents restants concernant ProSAVANA
De même, nous demandons aux trois gouvernements de donner suite à nos affirmations en fournissant des réponses claires, soit :
1) Une réponse aux affirmations exprimées par la présente déclaration sur la « Stratégie de communication »
2) Une réponse aux affirmations exprimées par la présente déclaration sur le « Projet d’engagement des parties prenantes »
3) Selon les documents divulgués, le « fonds de contrepartie » à l’aide (KR/KRII) alimentaire (agriculture) accordé par le Japon sera la source de financement pour les activités de « dialogue » futures[xxxi]. Le caractère de non-transparence de ce « fonds de contrepartie », dans lequel le pays bénéficiaire rassemble des sommes d’argent à l’extérieur de son propre Trésor, est en soit une préoccupation alarmante. Cette manipulation s’ajoute au manque de transparence continu du programme ProSAVANA. Nous demandons donc une réponse sur la manière dont la transparence sera articulée, et une réponse quant à la possibilité d’exiger la divulgation de documents pertinents par l’entremise de la Loi japonaise sur la divulgation de l’information administrative.
Conclusion
Étant donné que les organisations de la société civile ayant décidé de participer au processus de dialogue ProSAVANA ignorent une grande partie de l’information mentionnée ci-dessus, nous demandons à ce que ces organisations examinent attentivement les sources primaires[xxxii]et les documents d’analyses[xxxiii]afin de prendre connaissance de certaines réalités et pour une reconsidération éclairée de leur futur engagement avec le programme ProSAVANA.
Nous tous, citoyens des trois pays, déclarons notre volonté de continuer à travailler de concert avec les paysans mozambicains pour la protection de leurs droits, de leur dignité, de leur souveraineté et de leurs terres.
Signatures des organisations
MOZAMBIQUE
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National Union of Farmers-Mozambique (UNAC)
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Justiça Ambiental (JA!)
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Academic Action for Community Development (ADECRU)
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World March of Women
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Forúm Mulher
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LIVANINGO
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Mozambican League for Human Rights (LDH)
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Friends of the Earth Mozambique
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Comissão Diocesana de Justiça e Paz de Nacala-CDJPN
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Comissão de Justiça e Paz da Arquidiocese de Nampula-CaJuPaNa
BRÉSIL
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AV —Articulação Internacional dos Atingidos pela Vale
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Cimi – Conselho Indigenista Missionário
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CONTAG - Confederação Nacional dos Trabalhadores Rurais Agricultores e Agricultoras Familiares
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CPT - Comissão Pastoral da Terra
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FASE - Solidariedade e Educação
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FETRAF - Federação Nacional dos Trabalhadores e Trabalhadoras na Agricultura Familiar
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INESC - Instituto de Estudos Socioeconômicos
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MAB - Movimento dos Atingidos por Barragens
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MMC - Movimento de Mulheres Camponesas
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MST - Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra
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MPA - Movimento dos Pequenos Agricultores
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PACS - Instituto Políticas Alternativas para o Cone Sul
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Rede de Mulheres Negras para Soberania e Segurança Alimentar e Nutricional
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Amigos da Terra Brazil
JAPON
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Japan International Volunteer Center (JVC)
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Africa Japan Forum (AJF)
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Concerned Citizens Group on Mozambican Development (Mokai)
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No! to landgrab, Japan
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ATTAC Japan
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Asian Farmer's Exchange Center
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Japanese Federation of Farmer’s Unions
Autres organisations
1. NRAN (No REDD in Africa Network)2. KEPA / Finland
3. Alternative Information and Development Centre (AIDC) / South Africa
4. CESTA / El Salvador
5. Centro de Documentación en Derechos Humanos “Segundo Montes Mozo S.J.” (CSMM) / Ecuador
6. Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo (PIDHDD Regional) /Ecuador
7. FoE Togo
8. Centre for Environment and Development/Cameroon
9. World Rainforest Movement
10. FOE Africa
11. Groundwork South Africa
12. GRAIN
13. FIAN International
[i]The abbreviation for “Program for agricultural development in the African tropical savannah” through triangular cooperation from Japan, Brazil, and Mozambique (September 2009 agreement).
http://www.mofa.go.jp/mofaj/gaiko/oda/shimin/oda_ngo/taiwa/prosavana/index.html