Ces cultivateurs camerounais derrière l’altercation entre Cyril Hanouna et Louis Boyard

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Rassemblement devant le siège social du groupe Bolloré pour protester contre l'exploitation des plantations industrielles dans plusieurs pays d'Afrique de la holding Socfin. (Photo : Paul Barlet / Le Pictorium / MaxPPP)

Mediapart | 18 novembre 2022

Ces cultivateurs camerounais derrière l’altercation entre Cyril Hanouna et Louis Boyard

Si le présentateur s’en est violemment pris en direct au député LFI, c’est que ce dernier a évoqué leur combat : depuis plus de dix ans, des riverains d’une plantation de palmiers à huile au Cameroun tentent de faire reconnaître les dommages qui leur sont infligés. Ils estiment que le groupe Bolloré est le vrai responsable.

Dan Israel

Ils sont ceux et celles par qui le scandale est arrivé, mais on les a un peu oubliés. Depuis une semaine, toutes les analyses ont été livrées (y compris sur Mediapart) à propos de l’affrontement en direct du député La France insoumise (LFI) Louis Boyard et de l’animateur Cyril Hanouna dans son émission « Touche pas à mon poste ! », le 10 novembre, sur C8.

Chaque mot des protagonistes de ce mortifère moment de télé a été soupesé, chaque réaction décortiquée. Mais qui a réellement compris l’origine de l’affrontement entre l’élu et la star de la télé bollorisée ?

La mèche a été allumée par ces quelques mots de Louis Boyard : « Bolloré, il a un procès avec 150 personnes au Cameroun au sujet de la déforestation et dans l’huile de palme. » Et cette phrase, qui n’est pas tout à fait exacte, a été vite perdue dans le tumulte, Cyril Hanouna attaquant sans retenue son invité, pour avoir osé mettre en cause l’industriel Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire du groupe Canal+ et de C8.

Et s’il en est un que cette réaction virulente n’a pas surpris, c’est Emmanuel Elong. Ce cultivateur camerounais est le porte-parole de l’association locale des planteurs qui contestent depuis près de dix ans la manière dont se sont implantées sur leurs terres les plantations de palmiers à huile de Socfin, entreprise étroitement liée à l’empire Bolloré, et de sa filiale camerounaise, Socapalm.

« La réaction de ce journaliste ne nous a pas étonnés, nous qui sommes habitués à ce type de réponse, explique le militant. C’est la même réponse que celle des responsables de la plantation lorsque nous nous plaignons : il ne faut pas que nous citions le nom de Socapalm. »

Ce n’est en fait pas de la déforestation qu’il se plaint, mais de bien d’autres dommages : « Notre eau est polluée, les routes ne sont pas entretenues, on ne compte pas les enfants employés par cette société, et les tombes de nos ancêtres sont ensevelies dans les plantations. Voilà pourquoi on lutte. » Ce combat a été régulièrement chroniqué par Mediapart, dès 2013, puis à partir de 2015.

Emmanuel Elong et 144 autres Camerounais·es ont lancé une procédure judiciaire en France il y a un an, pour tenter de prouver que Socapalm est en fait une filiale directe du groupe Bolloré, et pour obtenir que ce dernier soit tenu responsable du préjudice qu’ils estiment subir du fait des activités de la plantation sur leurs terres. « Au niveau du Cameroun, nous nous sommes plaints plusieurs fois auprès des autorités administratives et auprès de nos chefs traditionnels, qui n’ont pas prêté attention à nos demandes. Ils ont des liens avec cette société », raconte Emmanuel Elong, qui s’est donc résolu à tenter de passer par la France.

C’est l’avocat français Fiodor Rilov qui prend en charge l’affaire, comme il le fait pour un dossier similaire porté par des plaignants cambodgiens, mobilisés eux aussi contre Socfin. À la suite de l’altercation cathodique, l’avocat a organisé une rencontre en visioconférence, jeudi 17 novembre, avec Emmanuel Elong, mais aussi Marie-Noëlle Etondé, représentante des femmes du collectif camerounais, et Samuel Nguiffo, un avocat actif dans la défense des droits humains, à la tête de l’ONG Centre pour l’environnement et le développement.

« Tout ce que nous avons mis en œuvre devant les juridictions françaises consiste à obtenir une injonction pour que les sociétés que nous avons assignées [Socfin et Socapalm – ndlr] soient contraintes de nous communiquer les documents à partir desquels il sera possible d’examiner si, oui ou non, le groupe Bolloré contrôle Socfin et si, oui ou non, le groupe Bolloré est la structure mère de Socapalm », résume Fiodor Rilov.

L’entreprise n’a pour l’heure pas été couronnée de succès. Les plaignants cambodgiens ont été déboutés de leurs demandes en référé (la procédure d’urgence), mais ils ont aussi sèchement perdu en première instance de la procédure au fond, en juillet 2021. La justice française a estimé qu’ils n’avaient pas apporté la preuve qu’ils détenaient un droit de propriété sur la terre qu’ils revendiquent, et les a condamnés à payer 20 000 euros de frais de justice en faveur des entreprises poursuivies. Une somme très importante pour de petits cultivateurs du Sud. Ils ont fait appel et attendent une nouvelle date d’audience.

Les plaignant·es camerounais·es ont de leur côté aussi perdu en première instance, le 7 janvier dernier, dans leur demande d’obtenir les documents convoités. Le tribunal de Nanterre a estimé que « les demandeurs n’apportent pas le moindre élément de nature à faire présumer l’existence d’un contrôle direct ou indirect de la société Bolloré sur la Socapalm ou sur la Socfin ». La décision d’appel est attendue dans les tout prochains jours, le 1er décembre.

Vincent Bolloré, numéro 2 d’une mystérieuse filiale 

Les opposants et opposantes à l’exploitation des plantations de Socfin butent donc encore et toujours sur la même question : cette société, l’un des premiers planteurs indépendants du monde, détenant des dizaines de milliers d’hectares de palmiers à huile et d’hévéas en Afrique et en Asie, est-elle ou non une partie intégrante du groupe Bolloré ?

Le groupe répète avec constance depuis de longues années n’être en rien mêlé à la gestion de ces plantations, et rappelle, avec la même constance, qu’il ne détient que 38,7 % de Socfin. Et, sur le papier, c’est bien le dirigeant de Socfin, Hubert Fabri, qui a la main sur les hévéas et les palmiers à huile, depuis qu’il s’est partagé avec Vincent Bolloré les restes (considérables) de l’ex-groupe colonial Rivaud, dont le Français a pris le contrôle en septembre 1996 (lire ici notre récit détaillé).

Mais, en vérité, les deux hommes entretiennent toujours des rapports étroits : Fabri siège dans différentes instances du groupe Bolloré depuis 1987 et Bolloré demeure, au côté d’un second représentant de son groupe, l’un des six membres du conseil d’administration de Socfin, qui comprend aussi Hubert Fabri et son fils.

Par ailleurs, en juin 2013, les militantes et militants africains et asiatiques avaient remis en main propre une lettre ouverte à Vincent Bolloré. « L’impact du groupe que vous contrôlez sur nos vies est immense et pourtant, nous n’avons jamais eu de relations directes avec ses représentants », écrivaient-ils notamment. Les associations avaient nourri un sérieux espoir lorsque le groupe Bolloré avait finalement accepté de lancer un processus de négociation à Paris, fin 2014.

Marie-Annick Darmaillac, secrétaire générale adjointe du groupe, s’était engagée sur plusieurs points à résoudre les conflits provoqués par les activités de la Socfin. Peine perdue. Le processus engagé a capoté, car Hubert Fabri, dirigeant de Socfin, n’a pas voulu en entendre parler.

L’avocat Fiodor Rilov a pourtant mis la main sur des documents alimentant les doutes quant à la version officielle des relations entre Socfin et Bolloré. Il s’agit des rapports d’activité de 2007 à 2011 d’une entreprise nommée Terres rouges consultant. Dissoute le 31 décembre 2012, cette société était hébergée directement dans la tour Bolloré, siège du groupe à Puteaux (Hauts-de-Seine). Son activité officiellement déclarée recouvrait, entre autres, la gestion de Socapalm et de la plantation cambodgienne d’hévéas de Socfin.

L’avocat a aussi découvert que Vincent Bolloré était lui-même administrateur de Terres rouges consultant et qu’il n’était autre que le « director number 2 » de Socfin-KCD, la filiale cambodgienne. Par ailleurs, le numéro 2 de Terres rouges consultant était Bertrand Chavanes, celui qui se présentait lui-même comme le responsable des plantations du groupe Bolloré, avant de prendre sa retraite il y a plusieurs années.

Cela explique peut-être pourquoi, comme Cyril Hanouna l’a parfaitement illustré, Vincent Bolloré, son groupe et ses divers porte-parole restent extrêmement chatouilleux au sujet des plantations africaines et asiatiques. Au point de multiplier les procès en diffamation sur le sujet, et de se voir accusés de mener des poursuites-bâillons destinées à faire taire leurs adversaires parlant un peu trop fort sur ce thème. Exemple parmi bien d’autres, Socapalm et Socfin ont ainsi poursuivi Mediapart et deux ONG. Les deux entreprises ont définitivement perdu leur procès en février 2019.

Dan Israel

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