Il a témoigné contre Bolloré : "Bien sûr que je suis inquiet"

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Emmanuel Elong (TéléObs)
Téléobs | le 05 avril 2018 [EN]

Il a témoigné contre Bolloré : "Bien sûr que je suis inquiet"

Le paysan Emmanuel Elong, venu tout exprès du Cameroun pour le procès qu'a intenté le groupe Bolloré à France 2, témoigne de la pression psychologique qui pèse sur vous quand on s'attaque à un grand groupe en Afrique.

Par Véronique Groussard

Emmanuel Elong est planteur indépendant au Cameroun, son village est situé à l’intérieur de la plantation de la Socapalm dans laquelle le groupe Bolloré a des intérêts. Et il préside la Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (Synaparcam). Il était présent, le 3 avril, au Tribunal de Grande Instance de Nanterre qui examinait la plainte en diffamation du groupe Bolloré visant un portrait de l’homme d’affaires diffusé sur France 2. Il a témoigné en faveur du journaliste Tristan Waleckx, attestant que les conditions de vie et de travail au sein les plantations à huile de la Socapalm sont bien telles que les montre le reportage attaqué. C’est-à-dire déplorables. A la veille de son retour au Cameroun, Emmanuel Elong confie son intranquillité, son inquiétude se retrouver, sur place, face au groupe contre lequel il a témoigné.

TéléObs.  Avez-vous obtenu facilement un visa pour venir témoigner au tribunal ?

Emmanuel Elong. J’ai déposé une demande de visa le 1er mars au consulat de France à Douala. Avec un dossier très complet : réservation d’avion, d’hôtel, assurance voyage, acte de mariage, de naissance de mes enfants, relevés de comptes bancaires et, surtout, citation à témoigner envoyée par le parquet de Nanterre et invitation de France télévisions… Le 15 mars, il m’a été refusé de crainte – d’après le motif avancé – que je reste en France. L’avocat de France 2 est intervenu. J’ai été prié de me présenter de nouveau au consulat à 50 kilomètres de chez moi. Or, les moyens de locomotion sont peu commodes. J’avais demandé un visa pour quinze jours. Quand on m’a rendu le passeport, le visa était pour… six jours.

Vous étiez déjà venu en France ?

- Oui, en 2014, à l’invitation du groupe Bolloré qui cherchait des modalités de dialogue avec les riverains. Cette fois-là, j’avais obtenu mon visa sans aucun problème. En 2017, j’ai été invité par l’association Sherpa qui soutient notre mouvement. Nous devions aller faire valoir nos revendications devant le siège de Bolloré pendant la tenue de l’Assemblée Générale des actionnaires. Je n’ai pas eu de visa, les deux autres invités camerounais ne l’ont pas davantage obtenu.

Comment a été accueillie, sur place, votre citation à témoigner ?

- J’ai essayé de la garder secrète. Malgré tout, l’information selon laquelle il allait y avoir un procès en France s’est très vite répandue. Car un autre témoin, qui n’a pas pu venir (il n’avait pas les papiers d’identité nécessaires, ndlr) s’en est beaucoup vanté. Vous savez, aller en Europe change votre statut, on ne peut plus vous parler n’importe comment. En février, j’assistais à des funérailles à Douala, un Camerounais de France, que je ne connaissais pas, est venu me parler : "Cousin, j’ai appris que tu allais en France pour témoigner pour Antenne 2, qu’est-ce que tu vas profiter ? Si tu veux, je t’emmène voir un responsable de la communication de Bolloré chez Camrail (transports ferroviaires, ndlr), tu es pauvre, ils vont te virer de l’argent sur ton compte. Ne va pas à Paris".

Votre entourage était-il favorable à votre venue ?

- Non. On me disait : "C’est un grand procès avec des enjeux, entre deux grosses boîtes. Tu gagnes quoi à aller témoigner contre Bolloré ?"

Pourquoi avoir tenu secrète cette invitation ?

- Pour ma sécurité j’ai évité de parler de ce voyage. La semaine dernière, je roulais à moto vers Douala, une voiture me suivait. Je m’arrête, la voiture me dépasse. Je repars et je m’aperçois qu’elle m’attend un peu plus loin. J’ai commencé à avoir peur lors de mes déplacements à Douala, j’y suis plus vulnérable que dans mon village. J’ai limité mes sorties de nuit, car le quartier dans lequel j’étais est mal éclairé. Et j’ai pris les transports en commun plutôt que ma moto. Ma venue en France ne s’est sue de manière certaine que tardivement, par la presse française en fait.

Et… ?

- L’avant-veille de mon départ, le consultant de la Socapalm qui a un rôle de médiateur entre la société et les riverains m’a appelé : "Tu me caches des choses…  tu pars quand ?". J’ai menti, assurant que je partais le lendemain, j’ai éteint mon téléphone à l’heure où j’étais sensé être dans l’avion et je ne suis plus sorti. Je ne voulais pas risquer d’être bousculé et qu’on me pique mon passeport. Je suis parti du Cameroun avec cette pression. Il était convenu que Tristan Waleckx vienne me chercher à Charles de Gaulle. Pour moi, la France, c’est la sécurité. Or, quelqu’un d’autre est venu m’accueillir, m’apprenant que Tristan avait été cambriolé dans la nuit, qu’il était enfermé chez lui, empêché de venir. Et sans possibilité de me joindre puisque mon téléphone du Cameroun ne marche pas en France. Cela m’a fait peur. Du coup, France Télévisions m’a logé dans un autre hôtel que celui prévu au départ.

France Télévisions vous a placé sous protection, vous et Tristan Waleckx. Cette situation vous a-t-elle étonné ?

- J’avais décidé de venir témoigner en France car on peut s’y exprimer sans peur…

Lors du procès, il a été question d’un ouvrier qui affirmait dans le documentaire avoir 14 ans. Cet employé d’un sous-traitant de la Socapalm s’est rétracté, plus tard, assurant que son oncle l’avait forcé à mentir. L’avocat du groupe Bolloré, Me Olivier Baratelli a affirmé que cet oncle, c’est vous …

- Non, absolument pas, ce jeune n’est pas mon neveu.

Vous n’êtes pas salarié de la Socapalm mais vous travaillez avec elle et vous représentez les riverains, quelles sont vos relations avec cette société ?

- Après notre première mobilisation, en 2013, un consultant chargé de faire médiation, m’a proposé divers avantages : carreler le sol de mon logement, payer l’école de mes enfants, payer mon loyer durant deux ans… Un cadre de la Socapalm me disait : "Avant de balayer la cour du voisin, commence par ta cour !" C’est-à-dire : occupe toi de tes propres intérêts et abandonne le combat. Quand j’ai eu un visa pour la France en 2014, le secrétaire général de la Socapalm de l’époque a eu cette réaction : "Tu as beaucoup travaillé, ferme la porte et ne regarde plus derrière". Plus récemment, on m’a dit : "On peut te trouver un emploi chez Bolloré Africa Logistics dans le port de Douala". L’idée est toujours la même : casser le mouvement. Si je faisais cela, mes enfants le paieraient très cher, une malédiction terrible retomberait sur eux.

Vous avez servi de guide dans la plantation à l’équipe de France 2. Que s’est-il passé après ?

- La Socapalm est habituée à ce que j’amène des ONG donc personne n’y a prêté attention le premier jour. Le deuxième, les journalistes étaient là, dès 5 heures du matin, au moment de l’embauche, ils ont filmé la récolte, je les ai amenés au chef du village qui les a encouragés car c’est un combat légitime. La sécurité a alerté la gendarmerie : "On nous a informés … tu viens avec des blancs, il faut les annoncer auprès de nous pour leur sécurité.

A partir de la diffusion du documentaire, en avril 2016, la surveillance s’est intensifiée autour de moi : les gens que j’amenais chez moi étaient identifiés, leur immatriculation notée. Et si j’allais dans la cafétéria ou les petits commerces de la Socapalm,  j’étais surveillé. C’est ma liberté d’aller et de venir qui était attaquée. Puis ça s’est calmé jusqu’à ces derniers jours.

Vous repartez au Cameroun. Dans quel état d’esprit ?

- Je suis inquiet car j’ai déjà témoigné – par écrit - au procès qu’a intenté le groupe Bolloré contre les ONG Sherpa, ReAct et les médias Le Point, L’Obs, Médiapart. Or, Bolloré a perdu le procès. A l’audience contre France 2, le 3 avril, le président du conseil d’administration de Socapalm, cité par la partie adverse, n’a pas pu démentir les réalités que j’ai dénoncées mais il m’a accusé, pour me déstabiliser, d’être le pion de Sherpa et de ReAct. Je commence à les gêner. Ils ne pourront pas faire taire les ONG et les médias, au niveau international, ils vont donc chercher des stratégies au niveau local, activer leurs réseaux au Cameroun pour m’étouffer ou m’enfermer pour que je ne sois plus libre de parler. Bien sûr que je suis inquiet.

Propos recueillis par Véronique Groussard

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