Des partenaires financiers de Bolloré accusés de greenwashing pour des atteintes graves aux droits humains dans les plantations de Socfin au Cameroun

Des riverain·es d'une plantation du groupe Socfin au Cameroun se lèvent contre le replanting des palmiers près de leurs maisons (août 2024)
Mongabay | 20 août 2024   

Des partenaires financiers de Bolloré accusés de greenwashing pour des atteintes graves aux droits humains dans les plantations de Socfin au Cameroun      

           
  • Une trentaine d’organisations de défense de la nature à travers le monde, accusent des banques de soutenir le Groupe Bolloré par leurs concours financiers et leur silence, face aux accusations de violations des droits humains dénoncés par le Conseil d’Éthique du Fonds de pension norvégien dans les plantations de sa filiale, la Société financière des Caoutchoucs (Socfin), au Cameroun.
  • Ces ONG exigent le retrait du Fonds de pension norvégien de l’actionnariat de Bolloré et l’exclusion de sa filiale Socfin de l’organisme de certification Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), qui promeut la culture d’une huile de palme durable.
  •  Le Conseil d’administration de la Banque centrale de Norvège, faîtière du Fonds de pension, déclare avoir mis la multinationale française en observation sur une durée de deux ans, et s’engage, par son actionnariat actif, à œuvrer pour réduire les risques de violations futures de ses normes.                        
YAOUNDÉ, Cameroun – Une trentaine d’organisations de défense de l’environnement à travers le monde  a adressé, le 31 juillet 2024, une lettre ouverte à 11 banques prêteuses de la multinationale française Bolloré. Dans la correspondance, ces organisations non gouvernementales parmi lesquelles la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam), ActionAid France, le Centre pour l’Environnement et le Développement, GRAIN, FIAN Belgium, The Oakland Institute etc., accusent les institutions financières de greenwashing,une stratégie marketing qui consiste, selon Greenpeace, à donner à une entreprise une façade écologique bien loin de la réalité et à tromper les consommateurs sur le véritable impact environnemental de ses actions. Ces banques soutiennent les investissements du groupe français, impliqué à travers sa filiale, la Société financière des Caoutchoucs (Socfin), dans des dénonciations de violations des droits humains et de pollution environnementale dans les plantations de palmiers à huile au Cameroun.

Ces dénonciations sont documentées dans un rapport, publié le 19 mars 2024, par le Conseil d’Éthique du Fonds de pension norvégien, à la suite d’investigations menées dans les plantations de la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm), une des entités de Socfin gérée par sa filiale Socfinaf en Afrique, en septembre 2023. Il est fait mention dans ledit rapport, d’atteintes graves aux droits humains, notamment de violation des droits des travailleurs de la Socapalm, de viol et de violences sexuelles sur les femmes par les superviseurs de la société, d’accaparement des terres communautaires, etc.

Au sujet des allégations de viol, de harcèlement et d’abus sexuels, le rapport révèle que trois cas ont été recensés dans les plantations de la Socapalm entre 2021 et 2023, et que les auteurs de ces actes sont souvent les superviseurs, les responsables d’embauche, les agents de sécurité ou encore les fermiers de la société. Les femmes des villages environnants sont souvent ciblées par leurs bourreaux lorsqu’elles traversent les plantations de la société pour se rendre dans leurs fermes familiales. Pour les femmes employées par la société, elles révèlent qu’elles ont souvent été contraintes à des rapports sexuels par les superviseurs de la Socapalm, en échange d’un certain nombre de privilèges liés à leur emploi. « Qu’elle soit sous-traitante ou employée, chacune d’entre nous ici a eu recours au sexe dans l’espoir d’obtenir des avantages », témoigne une victime dont l’identité n’a pas été révélée dans le rapport.

À la lumière de ces griefs et des pratiques récurrentes reprochées à la holding luxembourgeoise Socfin dans le cadre de ses activités en Afrique, sans aucune objection de la part de Bolloré, le Conseil d’Éthique a recommandé dans son rapport adressé à la Banque Centrale de Norvège, que le Groupe Bolloré, tout comme sa faîtière, Compagnie de l’Odet, qui détient 62,19 % de ses actions, soient exclus des investissements du Fonds de pension du gouvernement norvégien, présenté comme l’un des plus grands fonds souverains au monde, avec une valeur totale estimée à $1300 milliards en 2021

Les organisations de défense de l’environnement soutiennent la recommandation du Conseil d’Éthique. Elles exigent en outre des banques telles que BNP Paribas, HSBC Holdings Plc, ING Bank et Rabobank, qui sont membres du conseil de l’organisme de certification Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), d’exclure Socfin parmi ses membres, pour ses manquements aux principes de production d’une huile de palme durable respectueuse des normes environnementales et des droits des communautés locales.

Plaidoyer pour le blacklistage de Bolloré
 
L’ONG néerlandaise Milieudefensie fait partie des organisations signataires de la correspondance adressée aux banques. Dans un échange par courriel avec Mongabay, Danielle Van Oijen, Coordonnatrice du Programme forêts au sein de cette organisation, dit que les banques seraient complices de ces allégations et contribueraient à écoblanchir Socfin si elles continuent de se murer dans le silence.

« En tant que financier, si vous avez connaissance de ces faits et que vous décidez, malgré tout, de financer l’entreprise, conformément aux lignes directrices de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), vous contribuez à ces préjudices », dit-elle. « Les banques doivent déclarer publiquement qu’elles excluent Bolloré et Socfin de tout financement, si elles ne l’ont pas déjà fait, et mettre en place un processus de réparation ouvert à toutes les communautés. La poursuite de leur financement mettra en danger les populations et l’environnement », dit la défenseure de l’environnement.

Fin juin dernier, le conseil d’administration de la Banque Centrale de Norvège a plutôt décidé d’accorder un sursis aux deux entreprises françaises. Elle a chargé le Fonds de pension, de suivre la gestion des risques liés aux droits de l’homme, aux conditions de travail et au harcèlement sexuel auprès de la Compagnie de l’Odet et de Bolloré sur une période pouvant aller jusqu’à deux ans. La banque norvégienne s’engage par ailleurs, par son actionnariat actif, à réduire les risques de violations futures de ses normes.

Une décision, qui ne satisfait pas les organisations de défense de l’environnement, qui ont également marqué leur indignation dans une lettre adressée le 31 juillet 2024 au directoire du Fonds de pension norvégien. Pour Renée Vellvé, Chercheuse à l’ONG espagnole Genetic Resources Action International (GRAIN), le sursis accordé à Bolloré est « insuffisant ». « Ça fait longtemps que les communautés souffrent de ces violations et ces conflits fonciers (…) Il faut prendre des actions plus déterminées », dit-elle.  En guise d’actions fortes, les ONG appellent clairement le Fonds de pension norvégien à « reconsidérer [sa] décision et à [s’] engager à désinvestir immédiatement du groupe Bolloré ».

Pour autant, le Fonds de pension norvégien n’entend pas faire évoluer sa décision de mise en observation des deux compagnies françaises. Roar Wold, le Conseiller principal en Communication et Relations Extérieures du Fonds de pension norvégien, l’a clairement indiqué à Mongabay dans un email en début août : « nous avons publié un communiqué de presse à ce sujet, qui est disponible sur notre site web. Nous n’avons pas d’autres commentaires à faire que ceux qui y sont mentionnés ». 

Le silence complice des banques prêteuses ?

Au demeurant, les ONG espèrent des réactions favorables des institutions financières pour faire bouger les lignes en faveur des communautés et de la préservation de l’environnement. « Si les banques ne prennent pas de mesures efficaces, ce sera un autre signe clair que le secteur financier doit être réglementé pour empêcher les investissements nuisibles, qui contribuent à la déforestation et aux violations des droits de l’homme », dit Danielle Van Oijen.

Mongabay a adressé des courriers électroniques à quelques-unes de ces institutions financières, pour avoir leur avis, suite à ces atteintes graves aux droits humains dans les plantations gérées par une des filiales de leur client. Certaines d’entre-elles ont laissé entendre, presqu’à l’unisson, qu’elles préparent en priorité les réponses suite à la correspondance des ONG internationales, ceci avant la fin du mois d’août.

Gita Bartlett, Responsable des Relations médias au sein de la banque anglaise HSBC Holdings Plc, a dit, dans un courriel à Mongabay, qu’« il est peu probable que nous répondions avant d’avoir répondu à la lettre (des ONG) ».

Pour sa part, le Groupe Bolloré refuse d’endosser la responsabilité des abus commis par sa filiale Socfin en Afrique, arguant qu’il n’est qu’un actionnaire minoritaire au sein de la holding luxembourgeoise. « Nous n’avons pas le pouvoir d’intervenir et nous ne sommes pas impliqués, par exemple, dans la gestion des plantations (…) Plus précisément, les activités de Socfin ne sont pas incluses dans le champ d’application du régime de devoir de diligence du Groupe Bolloré en vertu de la loi française, car Socfin n’est pas une filiale de ce dernier », a expliqué Bolloré dans le rapport du Conseil d’Éthique du Fonds de pension norvégien.

Selon des données publiées par la Bourse de Luxembourg, Bolloré détient 39,75 % de participations au sein de la holding Socfin, laquelle contrôle à son tour l’actionnariat de Socfinaf (64 %), une entité créée pour gérer directement ou indirectement les sociétés de plantations de la holding en Afrique, où elle exploite 138 000 hectares de palmiers à  huile et d’hévéa, notamment au Cameroun, au Libéria, en Sierre Leone, au Nigeria, au Ghana, et en Côte d’Ivoire.

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