La course aux terres ne faiblit pas

Politis | 17 septembre 2009

NORD-SUD: Il est difficile de cerner l’ampleur réelle du phénomène récent d’appropriation de terrains cultivables dans les pays du Sud. Mais des études font fortement douter du bénéfice que ceux-ci pourraient en tirer.

Patrick Piro

« Bob conseille d’investir dans des régions peu peuplées, disposant de ressources et d’un climat propices à la culture du riz. » Bob, c’est Zeigler, directeur général du très important Institut international de recherche sur le riz (Irri), financé en partie par la Banque mondiale. Et ses auditeurs, de hauts émissaires saoudiens œuvrant pour un plan de production de nourriture à grande échelle sur des terres étrangères, et destinée à être rapatriée dans leur pays. Une stratégie adoptée par plusieurs pays en déficit agricole important – notamment dans le Golfe et en Extrême-Orient –, après la crise des prix alimentaires de 2008, qui les a déstabilisés (1). L’Irri parle de projets avec Foras, une structure qui aurait déjà acquis 500 000 hectares au Sénégal et 200 000 autres au Mali pour produire du riz pour l’Arabie Saoudite.

Tout cela figure dans un compte rendu de mars dernier, une pépite dénichée sur le site de l’Irri par l’association Grain (2) pour la sauvegarde de la biodiversité planétaire. « Nous aussi avons été saisis par des opérateurs désireux de “valoriser” des terres. Nous avons décliné, ce n’est pas notre rôle », tranche Patrick Caron, directeur scientifique du Cirad.

L’institut français de recherche agronomique pour les pays du Sud réunissait, le 3 septembre dernier, des dizaines de chercheurs de plusieurs pays pour tenter de cerner les contours réels de cette course à la terre, d’une ampleur considérable depuis deux ans. Entre 15 et 20 millions d’hectares récemment accaparés ou en négociation, en Afrique et en Asie principalement, selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri). Paul Mathieu, spécialiste du dossier à la FAO, estime quant à lui le chiffre de 30 millions d’hectares « probablement très sous-estimé » pour la seule Afrique subsaharienne ces dernières années.

« Attention aux effets d’annonce. En Thaïlande, on parle de 4,4 millions d’hectares convoités, seulement 1,5 % a été attribué », dit Harris Selod, qui participe à une large étude de la Banque mondiale. Les résultats sont attendus fin 2009. Premières indications : les grosses opérations concernent bien l’alimentation mais aussi les agrocarburants, la foresterie et le piégeage de CO2. Le profil des investisseurs est très variable, et il s’agirait, à 60 %, de… nationaux. « Ne s’agit-il pas, souvent, de spéculateurs ?, interroge Alain Karsenty, économiste au Cirad. La terre est devenue un excellent placement… »

Treize des 34 millions d’hectares du Mozambique font ainsi l’objet de candidatures ! Une partie est déjà occupée par des populations… Submergé, le pays a décrété un moratoire sur les attributions. L’Éthiopie « offre » 1,6 million d’hectares « vierges », et bientôt 1,1 million de plus. « Environ 8 400 investisseurs ont déjà reçu une licence pour intervenir !, indique Paul Mathieu. Il paraît évident qu’il y aura de la déforestation à la clef… » Un pays que les chercheurs indépendants de l’International Institute for Environment and Development (IIED) ont investigué (3), avec le Ghana, le Mali, le Soudan et Madagascar.

« On constate une activité considérable dans ces pays, commente Lorenzo Cotula, chercheur à l’IIED. Plus de 2 millions d’hectares affectés en quatre ans, avec un accroissement constant du nombre de projets et de leur superficie. » Dans cette étude, les investissements étrangers dominent : Asie, pays du Golfe mais aussi Union européenne – « pour 70 %, à Madagascar ! » – , où l’entreprise sud-coréenne Daewoo a finalement échoué dans sa tentative de capter 1,3 million d’hectares à la suite du renversement du gouvernement. Et des opérateurs privés à 90 %, « mais derrière, il y a fréquemment des gouvernements en appui ». L’IIED a réussi à se procurer quelques contrats. Curiosités : « Contrairement aux secteurs minier ou pétrolier, ils sont en général très peu spécifiques, bien qu’il s’agisse souvent de baux à long terme. L’un d’entre eux, pour une concession de 99 ans, tenait en deux pages ! »

Les contreparties financières pour l’usage des terres sont souvent faibles, voire nulles : les investisseurs s’engagent à créer des infrastructures, des emplois, etc. La transparence est absente, et les populations locales sont peu consultées. Varun, société indienne qui convoite à Madagascar 465 000 hectares déjà occupés aux trois quarts par des villageois, a ainsi organisé leur « consultation » à sa main, expose André Teyssier, chercheur au Cirad. « Varun a suscité la création de 13 groupes d’interlocuteurs ! Je vois mal le processus aller à son terme, d’autant que les contreparties, pour les familles, sont bien insuffisantes… »

Des opérations « gagnant-gagnant » : tel est pourtant le maître mot de leurs promoteurs. Certains chercheurs tentent de voir dans ces investissements une chance de faire décoller des rendements agricoles désespérément insuffisants en Afrique. Mais au regard de la litanie des « risques » (déjà effectifs) – corruption, expulsion de populations, paupérisation, emplois fugaces, baisse des ressources alimentaires, etc. –, le verdict de l’ultime table ronde du colloque du Cirad est unanime : ils n’y croient pas.

(1) Voir Politis n° 1029.

(2) www.grain.org (3) Voir www.iied.org, « publications », puis chercher « land grab » (avec la FAO et le Fida).

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