Bukanga Lonzo, fiasco, enquêtes et polémiques

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Politico.cd | 19 février 2021

Bukanga Lonzo, fiasco, enquêtes et polémiques

Par La Rédaction

Au cœur d’un fiasco titanesque qui a marqué le règne de Joseph Kabila au pouvoir, engloutissant des millions de dollars, le projet de Bukanga Lonzo refait surface en RDC. L’ancien premier ministre, Augustin Matata, se situe au cœur de l’affaire. Entre politique, enquêtes et contre-enquêtes, POLITICO.CD tente de défaire l’affaire, à travers cette série inédite et exclusive.

C’était le plus grand rêve de Joseph Kabila. Sorti à peine d’une élection difficile, l’ancien Président y trouvait une occasion unique pour fumer le calumet de la paix avec une population qui ne lui aura jamais été de bonne foi. En 2013, en prenant le taureau par ses cornes, « JK » décide de s’attaquer au plus grand souci des Congolais : le problème du ventre. Il s’appuie d’abord sur un homme que l’on dit « brillant ». Un miraculeux. Celui qui échappe au rendez-vous de la mort, qui a emporté l’un des hommes clés du pouvoir, Augustin Katumba Mwanke.

Matata, pilier d’un rêve de grandeur de Joseph Kabila

Augustin Matata Ponyo, cet ancien ministre des Finances qui monte, est donc le Premier ministre à travers lequel Joseph Kabila entreprend de vaincre la faim au Congo. A peine investi, son Gouvernement lançait son Plan national d’investissement agricole chiffré à 5,7 milliards de dollars. L’objectif déclaré du plan était de « lutter contre la sous-nutrition et l’insécurité alimentaire, de réduire les importations alimentaires et d’assurer une croissance économique durable. »

Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement Matata, celui des génies, dit-on à Kinshasa, adoptait une double stratégie, censée soutenir les exploitations familiales et les grandes entreprises agroalimentaires. Affirmant que la RDC dispose de 75 millions d’hectares de terres agricoles disponibles, dont seulement 10 millions sont actuellement utilisés, le Gouvernement tient à attirer les agro-industries et les investisseurs pour développer la production agricole à grande échelle. C’est dans ce contexte qu’en 2014, Joseph Kabila et son génie de Premier Ministre lançaient un programme visant à créer 22 parcs agro-industriels à travers le pays sur plus de 1,5 million d’hectares (ha). Et le premier de ces parcs a vu le jour, la même année, en tant que projet pilote à Bukanga Lonzo, à environ 260 km au sud-est de la capitale Kinshasa.

Créé dans le cadre d’un partenariat public-privé entre le Gouvernement et Africom Commodities (A.C.), une société sud-africaine, le parc occupe 80 000 ha de terres destinées à la production de maïs et autres produits agricoles. Au tout début, le Gouvernement Matata a alloué officiellement 92 millions de dollars de fonds publics au parc, ressources devant être gérées par Africom. Les activités ont démarré en 2014, avec des objectifs de production ambitieux. Le parc était alors salué comme un projet révolutionnaire pour le développement du pays. « Le temps est venu de transformer l’agriculture congolaise d’un secteur de subsistance en un puissant moteur de développement économique global », déclarait le Président Joseph Kabila Kabange.

Un fiaco insolent

Six ans après, Kabila n’est plus au pouvoir. Son rêve de vaincre la faim s’est évanouie. Le parc de Bukanga Lonzo, pilote d’une démesure, est l’ombre de lui-même. Que s’est-il passé ? Qui est donc responsable de cet énième fiasco ? Plusieurs tenteront de répondre à ce questionnement. Dès 2015, le très sérieux cabinet Ernest & Young est appelé à auditer le fiasco. Son verdict est sans appel. Dans son rapport, consulté par POLITICO.CD, Ernest & Young fournit une image accablante de la conception et de la gestion même du projet. Selon l’audit, l’État a dépensé plus de 100 millions de dollars de fonds publics dans le projet, dont plus de 53 millions directement versés à Africom, le partenaire sud-africain.

Dans ces constatations, Ernest & Young dresse les éléments suivants:
  • Le manque de responsabilité financière pour le projet, toute la comptabilité financière étant réalisée en Afrique du Sud, en violation des lois congolaises;
  • Le refus de la société de produire certaines informations financières, des informations sur le chiffre d’affaires, les ventes, les achats, les comptes bancaires, etc.
  • L’absence d’avis d’appel d’offres pour l’achat d’équipements et de fournitures par le partenaire sud-africain Africom;
  • Des sommes manquantes dans les flux financiers entre le Gouvernement et Africom;
  • L’absence d’inventaire physique des stocks;
  • Une forte suspicion de surévaluation de certains services payés.
Deux ans après ce rapport, le projet pilote de Bukanga Lonzo s’effondrait en 2017. Le personnel sud-africain quittait le pays alors que les travailleurs locaux étaient licenciés. En juin 2018, Africom engageait une action en justice contre la RDC devant la Cour internationale d’arbitrage de Paris pour non-paiement de leurs dépenses. Alors que les activités restent à l’arrêt, le Gouvernement a annoncé en 2018 son intention de relancer le parc et de mettre en œuvre les 21 autres projets.

Comme le cabinet d’audit, l’Okland Institut lance une enquête en 2019, mais arrive toujours aux mêmes conclusions. Le Think Thank fondé en 2004 par Anuradha Mittal, ancienne codirectrice de Food First, affirme cependant qu’au-delà des nombreux problèmes identifiés dans la conception et la mise en œuvre du projet, ce rapport « montre que les parcs agro-industriels sont une fausse bonne solution aux défis auxquels font face la RDC et l’Afrique en matière de systèmes alimentaire et agricole et de lutte contre la pauvreté ». « Tout d’abord, la manière dont les terres ont été acquises correspond bien à la définition d’un accaparement de terres. Cela s’est fait de la manière la plus trompeuse et sans respecter les exigences légales qui auraient dû conduire à des évaluations, consultations et négociations appropriées », explique-t-il.

Enquêtes, contre-enquêtes et gesticulations

Mais en République Démocratique du Congo post-Kabila, à l’heure où Félix Tshisekedi, le nouveau Président, a annoncé une véritable campagne anti-corruption qui a vu son propre Directeur de cabinet être condamné pour « détournement », l’ombre de Bukanga Lonzo ressurgit. D’autant plus que jamais, malgré les différents rapports explosifs, les Congolais n’auront réellement su qui étaient les responsables de ce fiasco.

Tout à coup, un homme gesticule. Augustin Matata Ponyo, génie, Professeur émerite, propriétaire d’université et adulé à l’internationale, commence à crier, sans être touché, son innoncence. De l’autre côté, des bruits de couloir courent. Des médias titrent, beaucoup voient alors l’ancien Premier ministre dans la ligne de mire de « l’Etat de droit », décrété par le Président Félix Tshisekedi. Et les proches de Matata, tous Kabilistes, dénoncent déjà un plan, à l’image de celui qui a cloué Kamerhe en prison, dans un procès certes politique, pour écarter Augustin Matata, qui se verrait déjà candidat à la présidentielle de 2023,

La vérité se noie donc dans des querelles. Exacerbé, un groupe de confrères journalistes montent au créneau. Ils prennent l’affaire à bras le corps pour démystifier la débâcle de Bukanga Lonzo. Israël Mutala, Eric Tshikuma, Bienvenue Bandal et Rachel Kititsa, patrons de presse et journalistes, iront jusqu’aux lieux, intervieweront les acteurs et, au final, rendront un rapport. En conférence de presse, du jamais vu en RDC, des journalistes locaux publient leur rapport. Une enquête intitulée « Débâcle du Parc-agroindustriel de Bukanga-Lonzo : causes, responsabilités et perspectives » est rendue publique le lundi 25 janvier 2021.

Pour nos enquêteurs, l’arrêt de subsides du Gouvernement pour financer le projet du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo (PAIBL) est à la base de ce qu’ils qualifient de « débâcle » de Bukanga-Lonzo. « Ayant pour objectif la quête de la souveraineté alimentaire et de la diversification de l’économie, le projet Bukanga-Lonzo est un très bon projet qui mérite la plus grande attention des plus hautes autorités publiques. Au terme de cette enquête, sa débâcle n’est due ni à une prétendue absence d’étude du sol, ni à un détournement des fonds, ni à la surfacturation de certains biens ou services. La raison principale de la débâcle du PAIBL est l’arrêt brusque de son financement par le Gouvernement en février 2017 », soutiennent les quatre journalistes dans la conclusion de leur enquête.

L’IFG entre en scène

Cette enquête met en exergue aussi l’hypothèse selon laquelle les lobbies des importateurs se seraient activés pour saboter le projet Bukanga-Lonzo, étant donné que la RDC dépense près de 2 milliards USD chaque année pour importer les produits vivriers. « Le PAIBL menaçait les intérêts économiques des hommes d’affaires puissants, en l’occurrence des importateurs des produits alimentaires, selon plusieurs analystes. Un marché d’environ 2 milliards USD par an que se partage une poignée de sociétés importatrices. Un marché très lucratif. Des observateurs soupçonnent ces gros importateurs d’avoir exercé un lobbying puissant pour faire infléchir la position du Gouvernement », soutiennent ces enquêteurs dans leur rapport de 42 pages.

Selon ces enquêteurs, AFRICOM, la firme sud-africaine en charge de la gestion technique et financière de Bukanga-Lonzo, a reconnu avoir reçu près de 153 millions USD du Gouvernement pour ce projet. Le ministère des Finances ainsi que la Banque centrale du Congo (BCC), relevés bancaires à l’appui, soutiennent aussi avoir décaissé près de 153 millions USD au profit de AFRICOM pour le compte du PAIBL. Aucune des deux parties n’a admis avoir perçu, pour l’un, ou octroyé, pour l’autre, la somme de 285 millions USD avancée par l’IGF (Inspection Générale des Finances) dans son rapport divulgué fin 2020.

Une version trop simpliste. Car s’il faut prétendre que le leadership de l’ancien Premier Ministre ait manqué au projet après son départ, le rapport de la firme Ernest & Young évoqué ci-haut, avait déjà énuméré plusieurs anomalies en 2015. Augustin Matata Ponyo n’ayant quitté la Primature qu’en 2017. Par ailleurs, les journalistes qui ont enquêté n’ont pas eu connaissance d’une autre enquête, beaucoup plus récente et beaucoup plus accablante.

En effet, l’Inspection Générale des Finances, un service de la Présidence congolaise, a fini par enquêter, elle-aussi, sur cette affaire de Bukanga Lonzo. « Le projet agricole de Bukanga Lonzo a été un échec planifié dans sa conception », a révélée l’Inspecteur général Jules Alingete, lors d’un point de presse mercredi 18 novembre à Kinshasa. Ce projet, selon lui, a englouti plus de 200 millions de dollars du Trésor public. Sur un budget global de 285 millions de dollars décaissé par le Trésor public, l’IGF révèle que seuls 80 millions ont réellement été utilisés au bénéfice de ce projet. L’État a donc perdu 205 millions de dollars.

Jules Alingete énumère quelques éléments qui expliquent la perte d’une si grosse somme d’argent : « Une surfacturation à moyenne de 1 à 10 pour l’acquisition des équipements et des intrants agricoles. 80% de paiements surfacturés ont été logés dans un compte se trouvant en Afrique du Sud, où les complices se retrouvaient régulièrement pour se partager le butin. »

POLITICO.CD a pu confirmer que les journalistes qui ont enquêté sur Bukanga Lonzo n’ont jamais consulté le rapport, tenu secret, de l’IGF. Mais la rédaction du premier média politique en RDC a fini par mettre la main sur ce fameux rapport, qui lui est parvenu des sources anonymes. Plusieurs responsables de l’IGF en ont confirmé l’authenticité. Et ce document déballe une véritable toile d’arraigné de mégestion, mais également de corruption présumée, à la base du fiasco de ce projet. Bien plus que les autres enquêtes, l’IGF accuse nommément Augustin Matata et plusieurs personnalités d’être à la base de détournements de fonds, ainsi que de la mégestion de ce projet.

Des questions profondes surgissent notamment au sujet du choix unilatéral de l’opérateur Sud-africain AFRICOM, qui s’est passé, selon Ernest & Young, en violation totale des procédures. Par ailleurs, l’opérateur a joué tantôt le rôle de prestataire, tantôt celui du gestionnaire du Parc. Ajouté à cela, le fait même qu’il ait également effectué tous les paiements d’achats de matériels auprès de ses propres filiales. Lesquels matériels, selon la quasi-totalité des rapports émis autour de ce projet, étaient les plus chers du marché. Des détails exclusifs à découvrir dans le prochain acte.

A lire dans cette série (à lire bientôt):

    Les incroyables surfacturation au cœur du projet Bokanga Lonzo
    Ce que l’IGF reproche réellement à Augustin Matata et les gestionnaires du projet de Bukanga Lonzo
    Le rôle trouble d’Africom, société sud-africaine au cœur du fiasco de Bukanga Lonzo
    Vers un procès autour du fiasco de Bukanga Lonzo
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