Terres arables : Le Mali au coeur des convoitises

Les paysans de la région de Ségou, près du fleuve Niger espèrent que les étrangers financeront des canaux d'irrigation.

Le Monde | Bilan Planète | 9 novembre 2009

Les producteurs locaux sont inquiets : ils craignent une mainmise des étrangers sur les terres et l'eau du pays. Le gouvemement, lui, mise sur leurs investissements pour developper les infrastructures.

Niono, Ségou, Tongorongo

Envoyée spéciale

IIs ont des mines inquiètes. Ce matin de janvier, à Niono, dans Ie centre du Mali, des petits producteurs de riz sont réunis au siège de leur syndicat, Ie Sexagon. En bout de table, Lamine Fané se lance: « La politique du gouvemement est tournée vers les investisseurs etrangers. Mais, nous, qu'allons-nous devenir? » Il enchaîne : « Si on installe de grands opérateurs privés, Ie réseau d'eau pourra-t-il satisfaire tout Ie monde? » Dans les exemples qu'il a en tête, les étrangers se portent candidats pour exploiter des milliers d'hectares, quand les paysans en cultivent trois en moyenne dans cette zone de l'Office du Niger.

Lors de la création de l'établissement public par l'administration française dans les années 1930, Ie potentiel de la zone était estimé à 1 million d'hectares. Aujourd'hui, 80 000 sont cultivés. Le gouvemement a confié à l'Office la mission d'en faire exploiter 120 000 de plus d'ici à 2020. Ici, il y a de quoi rendre Ie Mali autosuffisant en riz voire d'en faire une puissance exportatrice. Mais faute de moyens, l'Etat compte sur les capitaux étrangers pour mettre des terres en culture, construire des routes et des canaux d'irrigation.

Les paysans ont fait l'addition : parmi les projets d'extension, ceux portés par les étrangers concernent 360 000 hectares, contre 9 000 pour ceux des petits paysans. Leur inquiétude est alimentée par Ie gigantisme des dossiers et la crainte des expulsions. Ils citent des aménagements sur 14 000 hectares financés par Ie gouvernement amricain en coopération avec Ie Mali, sous Ie nom de Millennium Challenge Account. Une partie des terres nouvellement irriguées seront distribuées aux autochtones. Mais Ie reste?

L'octroi de 100 000 hectares à la société Malibya, liée a la famille du dirigeant libyen, Ie colonel Kadhafi, fait grand bruit : « Les hectares des Libyens sont au début des canaux d'irrigation, ils seront servis en eau avant nous", regrette un paysan. « Meme s'ils disent opérer dans Ie cadre de la coopération, nous ne comprenons pas bien quels sont les interets derrière tout cela », résume Mamadou Goïta, de l'ONG malienne Afrique verte. Les producteurs redoutent aussi les intentions des Chinois de developper la canne à sucre, gourmande en eau.

Ce n'est pas l'inquiétude qui règne à l'Office du Niger, mais l'optimisme. Tous ces projets sont qualifiés par Seydou Traore, Ie PDG, de « précurseurs ».  Les aménagements ne se feront pas du jour au lendemain. Les Libyens, auxquels des baux de trente ans renouvelables ont été octroyés, commencent par 25 000 hectares. Seydou Traore rallonge la liste dressée par les producteurs : un projet de culture de canne à sucre d'un groupe à capitaux américains et sud-africains, pour 15 000 hectares. Et 11 000 autres attribués à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où seront installés des ressortissants des huit pays membres.

« Je suppose que tous ceux qui viennent chercher des terres veulent exporter, mais nous pensons qu'il en reviendra un peu pour Ie Mali », lâche M. Traore. Tout juste ajoute-t -il qu'il faut s'assurer que les paysans ne deviendront pas des ouvriers agricoles. li reclame aussi des écoles et dispensaires. Le PDG est conscient  que Ie partage de l'eau s'annonce  difficile. A vingt minutes de piste de Niono, de rares parcelles de riz de « contre-saison » -- l'eventuelle deuxième récolte de l'année -- verdissent Ie paysage. Pour la première fois, la redevance à acquitter auprès de l'Office pour utlliser ses canaux d'irrigation est la même que pour la récolte principale, contre 10 % du montant auparavant.

« C'est parce qu'ils veulent garder l'eau pour la culture de la canne à sucre des Chinois et des Americains », suppose Faliry Boly, du Sexagon. Son syndicat s'interroge sur l'attitude future du gouvemement. Le 10 avril, un remaniement ministeriel a été annoncé. L'Office du Niger va devenir un secretariat d'Etat rattaché au premier ministre et basé à Bamako, la capitale. Faut-il s'en inquiéter?

Pour l'heure, les paysans voudraient profiter de l'engouement qu'a suscité la flambée des cours. De plus en plus, ils se regroupent en cooperatives pour vendre à meilleur prix. Ils ont applaudi l' « initiative riz », lancée par Ie gouvemement en 2008, qui a subventionné les engrais à hauteur de 50 %. Mais ceux-ci ne sont pas arrivés a temps. En amont du fleuve, à Tongorongo, village situé hors de la zone de l'Office, on a pu en revanche en profiter.Alors l'espoir tenait. Allassan Maïga, qui suit la production de 33 villages, fait Ie compte: « Nous avons 3 500 hectares et nous n'en cultivions que 2 300. Ce sera 3 050 en 2009. »

Amadou Moussa Tanapo a beneficié en plus d'herbicides apportés par une fondation française, Farm. On a pu cultiver cinq hectares au lieu de deux. « Je n'avais jamais assez de riz pour nourrir ma famille. Cette année, cela devrait suffire », dit -il. Dans ces villages où les paysans sourient, on n'entend pas, pour l'heure, parler d'investissements etrangers.

Laetitia CIavreul

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