Foncier au Burkina : « L’accaparement des terres est un phénomène d’appauvrissement de la population », déclare Léon Koama

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Léon Koama, inspecteur des impôts (Photo : LeFaso.net)
LeFaso.net | 8 février 2022

Foncier au Burkina : « L’accaparement des terres est un phénomène d’appauvrissement de la population », déclare Léon Koama

Au Burkina Faso, la terre demeure le principal capital en raison de son caractère stratégique pour le développement socio-économique du pays. Cependant, durant ces trois dernières décennies, le foncier fait l’objet de convoitises, attire les investissements et est source de richesse économique. Cet intérêt accru pour la terre n’est pas sans conséquence sur sa gestion.

L’article 95 de la loi sur la Réorganisation agraire et foncière (RAF) de 1984, 1991, 1992 et 1996 précise que l’une des prérogatives de l’Etat est d’assurer « l’appui, le suivi et le contrôle de la gestion de son propre domaine foncier, de celui de collectivités territoriales et du patrimoine foncier des particuliers. » Pourquoi le phénomène d’accaparement des terres persiste en dépit des textes juridiques sur le foncier ? Quelle est la place des lois et le rôle des acteurs dans le processus d’accaparement des terres ? Quelles réformes faut-il envisager pour une gestion saine du domaine foncier national ? Autant de questions que se posent sûrement les Burkinabè

Lefaso.net est allé à la rencontre Léon Koama, inspecteur des impôts, le mardi 8 février 2022 pour mieux cerner le fond du débat. Rappelons qu’il a soutenu son master en septembre 2021 sur le thème « Accaparement des terres au Burkina Faso : cas de la province du Kadiogo » sous la direction de Ousmane Zoungrana, inspecteur des impôts et directeur des affaires domaniales et foncières. Dans cette interview, Il aborde les raisons et l’impact de cette crise sur la vie des populations. En plus, il envisage quelques solutions tant au plan législatif qu’institutionnel qui pourraient guérir ce mal.

Lafaso.net : À quand date ce phénomène dit "accaparement des terres" ?

Léon Koama : Au niveau mondial, le phénomène dit « accaparement des terres » a fait son apparition en 2008 et s’est inscrit dans un contexte de rétrécissement de l’offre en terres arables, de stress hydrique croissant, et de hausse de la demande alimentaire aggravée par la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. Au Burkina Faso, l’on a pu constater que la naissance dudit phénomène est conséquente à l’adoption de la loi de 2008.

Il s’agit notamment de la loi n° 057- 2008/AN du 20 novembre 2008 portant promotion immobilière au Burkina Faso. Il s’est accentué avec la loi 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural au Burkina Faso. Cette loi est venue bouleverser l’ossature de la gestion des terres du pays et a eu raison sur la loi mère du foncier (la loi portant réorganisation agraire et foncière (RAF) de 1996) ayant conduit sa relecture en 2012 (loi n° 034 - 2012/AN du 2 juillet 2012 portant RAF au Burkina Faso).

Quelles sont les causes de ce phénomène que vous évoquez dans votre document ?

Les textes sont l’une des causes du phénomène. Dans notre étude, 39% des enquêtés sont des « démarcheurs », des membres de commissions foncières villageoises, des membres des commissions villageoises de développement). Ils classent les textes en tête des causes du phénomène d’accaparement. 100% des personnes interviewées (députés, maires, conseillers municipaux, ministres, directeurs généraux de sociétés d’État, chefs de services étatiques et municipaux en charge des domaines, directeurs de société de promotion immobilière, etc.) de la province du Kadiogo indiquent que les textes ont favorisé l’affluence des usagers sur les terres. Plusieurs constats le prouvent aisément et l’on peut retenir les activités de la promotion immobilière.

Ces dernières années, on constate l’acquisition de terres dans des conditions parfois troubles par les promoteurs immobiliers, de vastes étendues de terres aux alentours des grandes villes, principalement Ouagadougou et Bobo Dioulasso, afin de réaliser leurs projets immobiliers, qui ressemblent fort à des lotissements. Lors de nos travaux sur le terrain, nous sommes tombés sur un cas dans une commune rurale de la province du Kadiogo où, en une année, un promoteur a acquis plus de 2 000 ha. Toujours dans la même commune, en trois ans, le conseil municipal a fait 28 délibérations au profit de seize promoteurs immobiliers sur plus de 8 000 ha.

Il y a aussi l’accroissement des demandes de terrains par les particuliers en vue d’édifier des fermes, béni par les textes. À titre d’exemple, le service du cadastre et des travaux fonciers de la région du Centre a reçu 3 175 demandes de terrains entre 2015-2020 pour une superficie totale de 6 024 ha.

La délivrance de l’attestation de possession foncière rurale (APFR) à titre individuel constitue aussi une porte ouverte aux ventes des terres rurales. Dans notre étude, dans la commune de Koubri (localité située à quelques vingtaines de km de Ouagadougou), l’APFR à titre individuel est 15 fois supérieure à celle collective. En dehors des textes, l’accaparement des terres s’explique aussi par le comportement des acteurs de la chaîne foncière caractérisé par la spéculation foncière, le démarchage, la corruption, l’influence des chefs traditionnels et autres. Nous pouvons aussi citer comme cause d’accaparement la pression des agglomérations : les terres rurales ont subi une pression d’agglomération de 4,46% en 1996, 11,95% en 2012 et 15,97% en 2020. Cela correspond à une croissance par rapport à 1996 de 167,87% en 2012, puis 257,92% en 2020.

Cet acharnement impacte sans doute la vie des populations à la base. Lesquels ?

Il faut dire que le phénomène de l’accaparement des terres est devenu une véritable menace pour le Burkina Faso notamment dans la région du Centre (Ouagadougou). Cela a des impacts tant du point de vue social qu’économique. Accaparer une terre c’est acquérir un droit foncier aux dépens des populations qui y travaillent et y vivent des ressources issues de cette terre. En effet, lorsqu’une poignée de personnes s’accapare de la majorité des terres, cela supprime l’équité, l’inclusion et encourage la discrimination et les abus.

D’abord, il y a de graves violations des droits de l’Homme dans la mesure où chaque habitant à droit à un logement décent. Aussi, cet acharnement peut conduire à des expulsions de certaines communautés. Enfin, nous avons des cas de destruction de biens culturels par les nouveaux maîtres des lieux, des intimidations des populations etc. C’est le cas d’une vieille dame qui voit sa maison se détériorer à la suite d’un projet d’aménagement de la mairie de Tanghin Dassouri, dans le village de Zekounga, (localité située à 15 km à l’ouest de Ouagadougou.)

Du point de vue économique, je pourrai paraphraser Drissa Preira qui disait ceci : « L’accaparement des terres est un phénomène d’appauvrissement de la population. Il ne sert qu’à séparer carrément les populations de leurs terroirs. Le fait de dire que cela va créer l’entrepreneuriat n’est pas vrai. Ils seront des ouvriers agricoles très mal payés. Ils ne pourront pas envoyer leurs enfants à l’école ou au dispensaire…. Ils ne pourront jamais atteindre l’autosuffisance. L’accaparement des terres ne va en aucun cas enrichir les populations encore moins le pays. C’est plutôt de la fuite des richesses. »

Est-ce qu’on peut dire sans risque de se tromper que la promotion immobilière est un "mal nécessaire" ?

Non, nous ne pouvons pas dire que la promotion immobilière est un « mal nécessaire », c’est une nécessité même pour le Burkina Faso qui se veut être un pays émergent. Vous n’êtes pas sans ignorer que se loger fait partie des droits fondamentaux et universels. Or, on constate que dans nos contrées, le problème de logements se pose avec acuité. Donc, recourir aux sociétés de promotion immobilière est capital.

Le hic, c’est que la promotion immobilière que nous vivons aujourd’hui n’est pas de la promotion immobilière, mais plutôt une promotion foncière. La promotion immobilière, pour les profanes, est l’activité du promoteur immobilier qui consiste à acquérir un terrain, l’aménager, construire des logements puis procéder à leur vente, les mettre en location ou encore faire de la location-vente. Par contre, la promotion foncière est l’activité qui consiste à acquérir un terrain, l’aménager selon les exigences des textes d’urbanisation en vigueur et procéder à sa vente.

La débâcle observée dans le milieu de cette activité est le manque de rigueur de l’État central pour faire respecter ses propres textes et le comportement des acteurs de la chaîne foncière. On a souvent envie de dire que tout est permis au Burkina Faso, tout dépend de la quantité d’argent qu’on possède. En somme, la promotion immobilière n’est pas un « mal nécessaire » ni même un couteau qui soit tranchant ou non, mais une obligation pour l’Etat pour venir à bout de problèmes de logements, mais avec des promoteurs responsables, capables avec des règles strictes de gestion. Nous pensons que le ministère en charge de l’urbanisme est sur le bon chemin, mais à quel prix ?

Que faire pour sortir de cette crise foncière au Burkina Faso ?

Pour sortir de cette déplorable situation, plusieurs solutions sont envisageables. La plus radicale serait de déclarer la terre comme la propriété exclusive de l’Etat. Et ceci, comme l’avait fait la révolution d’août 1984 avec des réaménagements pour tenir compte de l’évolution de la vie socio-politique et économique du pays. L’avantage de ce modèle est que l’Etat sera présumé propriétaire de tous les terrains. Toutefois, il ne s’agira pas d’une préemption exhaustive. L’on devra retenir qu’elle ne sera pas opposable aux personnes ou aux collectivités qui occupent des terrains sur lesquels elles exercent des droits de jouissance individuels ou collectifs qui pourront être constatés et sanctionnés par la délivrance d’un titre d’occupation.

La loi 034 portant RAF au Burkina Faso de 2012 est déjà un atout pour y parvenir. L’article 5 de ladite loi dit : « Il est créé un domaine foncier national au Burkina Faso. Le domaine foncier national constitue un patrimoine commun de la nation et l’Etat en tant que garant de l’intérêt général, organise sa gestion conformément aux principes énoncés à l’article 3 ci-dessus ».

Ensuite, il faudra envisager une refonte de tous les textes portant gestion foncière et domaniale dans un document de référence qu’on pourrait appeler « code unique du foncier », pour harmoniser les pratiques en la matière. Il ne faut pas se leurrer, de nos jours, le problème foncier que nous vivons est incontestablement lié à la multitude de textes gouvernant le foncier, chose à laquelle la première version de la RAF de 1984 a voulu mettre fin.

Aussi, pour être en harmonie avec ce qui précède, on pourrait se départir de l’architecture actuelle de gestion du foncier par la création d’une Agence nationale du foncier. Par cet acte, l’Etat pourra accélérer sa politique de gestion foncière, tel le renforcement des outils de gestion foncière (le cadastre et le système d’information foncière). Enfin, il faut une mise en place effective de tous les organes et instruments d’aménagement du territoire. Si de tels organes et instruments étaient à jours, le désordre sur le foncier actuel serait un mauvais souvenir. Une planification efficace est un gage de mieux être pour tous.

Dofinitta Augustin Khan
Rachid Sow (Stagiaire)
Ange August Paré (Monteur)
Lefaso.net

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