En Indonésie, l’huile de palme contre le climat et les droits humains

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Photo : Human Rights Watch
Reporterre | 12 juin 2021

En Indonésie, l’huile de palme contre le climat et les droits humains

Lorène Lavocat (Reporterre)

L’ONG Humans Rights Watch dénonce des violations des droits humains et des destructions environnementale en Indonésie. Elles sont perpétrées par les entreprises qui déforestent les tourbières pour implanter des productions intensives d’huile de palme. Une huile destinée en bonne partie au marché occidental.

L’huile de palme nuit gravement aux droits humains, selon un rapport de Human Rights Watch (HRW), publié jeudi 3 juin. L’ONG a enquêté en Indonésie, premier producteur mondial de ce produit prisé pour l’alimentation et la fabrication d’agrocarburants : certaines entreprises y ont étendu leurs plantations «sans véritable consultation des habitants locaux et sans compensation adéquate pour la perte de leurs terres agricoles ou de leurs moyens de subsistance, constate le rapport. La police a harcelé, intimidé et poursuivi les villageois qui ont résisté ou protesté.»

L’ONG s’est intéressée à l’exploitation de l’huile de palme dans la région du Kalimantan occidental, sur l’île de Bornéo, couverte en grande partie — sur 1,7 million d’hectares — de tourbières tropicales : cet écosystème particulier «ne couvre que 2 à 3% de la surface terrestre de la Terre, mais stocke environ 25% de son carbone terrestre, rappelle Andreas Harsono, de Human Rights Watch, joint par Reporterre. 38% des tourbières tropicales se trouvent en Asie et l’Indonésie est le pays avec les zones de tourbe les plus grandes et les plus profondes, ce qui signifie le stockage de carbone le plus important.»

L’agro-industrie, rouleau compresseur dans un écosystème unique

Car pour étendre la culture de palmiers à huile, les compagnies détruisent méthodiquement ces zones humides : «Elles creusent des fossés ou des canaux larges et profonds pour drainer les zones tourbeuses et défrichent les forêts sur les terres où elles prévoient de planter des palmiers, explique à Reporterre Juliana Nnoko-Mewanu, autrice du rapport. Ce drainage a de graves répercussions sur l’environnement et le climat, comme les fortes émissions de CO2 dues à l’oxydation de la tourbe, l’affaissement des terres et la vulnérabilité des sols aux incendies et aux inondations.» Tandis que les communautés locales pratiquent depuis longtemps la culture à petite échelle de riz et de palmiers à noix de coco, le rouleau compresseur de l’agro-industrie vient menacer cet écosystème unique.

Parmi les entreprises présentes dans la région, l’ONG s’est penchée sur l’une des plus grandes sociétés sud-coréennes opérant en Indonésie : PT Sintang Raya. Elle a collecté de nombreux témoignages prouvant des violations des droits humains : accaparement et spoliation des terres des habitants, intimidations… Le tout couvert par les autorités gouvernementales. «[PT Sintang Raya] ne m’a pas parlé, mais ils ont pris mes terres, a ainsi déclaré une femme de 48 ans à HRW. Nous nous sommes plaints. […] Nous avons fait un rapport à la police, mais ils n’ont toujours rien fait.» D’après l’association, «ni le gouvernement ni l’entreprise ne les ont consultés ou indemnisés de manière adéquate pour la perte de leurs terres agricoles et de leurs moyens de subsistance». «Les autorités gouvernementales ont harcelé et menacé les membres des communautés qui ont manifesté contre l’expansion des plantations de PT Sintang Raya, ajoute l’ONG, procédant à des arrestations massives, des détentions arbitraires et des poursuites abusives.»

Celles et ceux qui ont pu conserver leurs terres rencontrent d’autres difficultés : l’exploitation à grande échelle et en monoculture des palmiers à huile a attiré nombre de ravageurs, tandis que le drainage des tourbières a significativement augmenté la salinité des sols. «Les compagnies utilisent des pesticides pour se débarrasser de ces ravageurs, précise Juliana Nnoko-Mewanu. Le ravageur se tourne alors vers les fermes communautaires et les cocotiers car les membres de la communauté n’ont pas les moyens ou les pesticides pour gérer les infestations, ce qui entraîne des effets dévastateurs sur leurs rendements.»

Si HRW tire la sonnette d’alarme avec un rapport diffusé aux quatre coins de la planète, c’est que ce cauchemar indonésien a des racines internationales, et notamment européennes. «Une grande partie de l’huile produite par l’entreprise est exportée vers la Chine, l’Inde et l’Union européenne», explique Mme Nnoko-Mewanu. Depuis quelques années, la demande est exponentielle sur le vieux continent, encouragée par les besoins du secteur agroalimentaire et la croissance des agrocarburants.

Un combat écologiste international

En France, la longue bataille menée entre autres par Greenpeace et les Amis de la Terre contre les agrocarburants a porté ses fruits : début avril, le tribunal administratif de Marseille a prononcé une annulation partielle de l’autorisation de la raffinerie de Total à La Mède (Bouches-du-Rhône) et a enjoint à la compagnie de réaliser une nouvelle étude afin de prendre en compte les incidences climatiques de l’huile de palme importée.

«En 2020, il y aura zéro huile de palme importée en France pour les carburants, se réjouit Sylvain Angerand, de l’association Canopée. Il faut maintenant que les autres pays européens bougent.» Or, à Bruxelles, la partie est encore loin d’être gagnée, selon Juliana Nnoko-Mewanu : «En 2017, l’Union européenne a publié une résolution plafonnant l’importation d’huile de palme, avec l’ambition d’éliminer l’importation à l’avenir… Mais cette décision a été dénoncée par l’Indonésie, puis “cassée” par l’Organisation mondiale du commerce, regrette-t-elle. Grâce à cette victoire, les exportations de biodiesel vers l’UE peuvent être rétablies. Désormais, la Commission européenne négocie actuellement avec l’Indonésie un accord de libre-échange». Le combat continue.

 
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