Les accords Mercosur vus d’Amérique latine : 3 témoignages du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil

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CCFD-Terre Solidaire | 28.01.2021

Les accords Mercosur vus d’Amérique latine : 3 témoignages du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil

Renforcement de l’agro-industrie tournée vers l’exportation, menaces sur l’agriculture familiale, absence de débat public... Trois des organisations partenaires que nous soutenons au Paraguay, au Brésil et en Argentine alertent sur les risques sociaux et environnementaux des accords de libre-échange prévus entre l’Union européenne et le Mercosur

« Les agrocarburants vont capter les récoltes de maïs, aliment de base des populations autochtones »

Au Paraguay Guillermo Ortega est coordonnateur des formations au centre d’études sociales rurales pour l’organisation Base investigaciones sociales (Base-IS).

« De plus en plus de communautés autochtones sont affectées par l’avancée de l’agroindustrie. La situation est particulièrement tendue dans les départements frontaliers avec le Brésil et l’Argentine. C’est une expansion sauvage et très violente, sans les moindres précautions et restrictions.

Nous avons toutes les raisons de craindre une aggravation de la situation.

L’accord va pousser les grands producteurs à chercher à exploiter de nouvelles terres, notamment dans des lieux [1] où des organisations paysannes sont en lutte pour accéder à la terre.

Les grands propriétaires ont une méthode implacable pour chasser les familles paysannes.

Cela commence par la pression : aspersions de pesticides, mort d’animaux domestiques, champs détruits ; puis vient une offre de location des terres (avec de petits loyers payés après récolte seulement), voire l’achat à bas prix ; ensuite vient la persécution de celles et ceux qui résistent encore, par le biais de mesure fiscales trafiquées ou d’agressions physiques, jusqu’à l’assassinat.

Les lois protégeant les communautés autochtones, les plus vulnérables, sont piétinées par l’agroindustrie, qui achète des juges, la police, le fisc.

Autre impact prévisible de l’accord : une très forte hausse des prix du maïs, aliment de base des communautés rurales.

Les récoltes vont être aspirées par l’industrie des agrocarburants, asséchant le marché alimentaire [2].

La voix du Paraguay, petit pays, est mineure au sein du Mercosur.

Les producteurs locaux de soja sont, pour l’occasion, adversaires de l’accord, en particulier parce qu’il interdirait la réutilisation de semences commerciales d’une année sur l’autre, pour protéger les profits des grands semenciers.

Les éleveurs familiaux de même se voient lésés, car l’accord va d’abord profiter aux exportateurs. La filière viande est contrôlé à près de 70 % par des entreprises brésiliennes, qui ont le monopole des équipements frigorifiques.

Les communautés paysannes se sentent très démunies et ne disposent que de très peu d’informations sur l’accord, dont l’élaboration leur a été totalement occultée. Il n’existe aucun débat sur le sujet dans le pays. »

« L’agroindustrie, déjà dans l’irresponsabilité totale, va encore gagner du terrain ! »

En Argentine, Juan Carlos Figueredo accompagne les peuples autochtones dans la protection de leurs droits au sein de l’organisation argentine Instituto de cultura popular (Incupo, Argentine).

« Je vis dans le Chaco, au nord de l’Argentine, au milieu des forêts et des collines.

Mais aussi des fumigations de pesticides, des eaux et des terres contaminées, des malades de la pollution, des enfants malformés…

C’est la grande plaie de l’agroindustrie, qui exploite la terre comme un minerai dans tout le Mercosur.

L’Argentine est déjà l’un des plus gros consommateurs de pesticides, une folie sanitaire et environnementale, une irresponsabilité totale.

Et l’accord, qui vise à dynamiser les exportations de grains, viande ou éthanol de canne à sucre vers l’Europe, va étendre la frontière agricole et démultiplier la contamination chimique et sanitaire.

Les premières victimes sont les familles agricultrices, peu émettrices de CO2, qui fournissent l’essentiel des aliments sains du pays.

L’industrie automobile, déjà en crise, s’attend à un crash, et la perte quelque 200 000 emplois supplémentaires si l’accord entre en vigueur.

Les premières victimes sont les familles agricultrices

Le gouvernement, pour sa part, ne voit que les devises attendues des exportations agricoles. Un retour au colonialisme !

D’ailleurs, une bonne part des bénéfices échappera au pays, accaparés par des pôles à capitaux concentrés.

La population est totalement désinformée, car l’élaboration de l’accord a été menée dans le plus parfait secret.

Nous ne disposons même pas de la version finale, alors que l’Argentine a aussi signé l’accord d’Escazú [3] qui renforce les droits de l’environnement et de sa défense.

L’Incupo est l’une des seules organisations qui tente de pousser un débat public.
Nous faisons campagne avec des organisations autochtones, de l’agriculture familiale, de solidarité internationale.

Mais les gens ont la tête ailleurs, avec la crise économique et la pandémie du covid-19.

La solidarité internationale est donc plus que jamais nécessaire, également parce que les impacts sur la forêt, le climat ou la qualité des aliments ne concernent pas que le Mercosur. »

« L’agriculture familiale sera menacée par la concurrence des firmes européennes »

Au Brésil, Maureen Santos est coordinatrice du groupe national d’appui de la Fédération des organismes d’assistance sociale et d’éducation (Fase).

« Nous redoutons fort de voir des entreprises européennes concurrencer l’agriculture familiale, qui nourrit le pays.

L’accord va inciter à l’accroissement des productions agricoles destinées à l’exportation — soja, éthanol de canne à sucre, viande bovine —. Ces cultures détruisent l’agriculture familiale, génèrent la déforestation et surutilisent les pesticides, dont le Brésil est l’un des plus importants consommateurs au monde, y compris de produits interdits dans l’Union européenne.

L’accord amplifierait des dégradations sociales et environnementales, qui se sont déjà fortement accrues depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

L’accord amplifierait des dégradations sociales et environnementales, qui se sont déjà fortement accrues depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

D’une manière générale, l’accord aurait un impact négatif dans de nombreux domaines, touchant à la souveraineté alimentaire, aux droits humains (communautés autochtones et paysannes, femmes, etc.), aux émissions de CO2...

Essentiellement commercial, il n’a aucune prétention environnementale ni d’équité sociale. Nous le percevons très négativement.

C’est aussi le cas du secteur industriel, qui redoute l’afflux de biens manufacturés.

En revanche, le puissant secteur de l’agro-négoce soutient bien évidemment l’accord.

Dans l’opinion publique, le débat reste sporadique, réactivé en particulier lors de la publication de chiffres sur la progression de la déforestation. Mais hélas, les promesses de retombées économiques génèrent une appréciation générale globalement positive.

Pour sa part, Fase est très mobilisée. Elle produit des argumentaires et participe activement au large Front contre l’accord UE-Mercosul [4], qui s’est allié avec plusieurs parlementaires de gauche et écologistes. »

Propos recueillis par Patrick Piro

[1] dans les départements de Concepción et Caaguazú

[2] Dans le département de San Pedro, 135 000 hectares de maïs, de plus transgéniques, sont déjà dédiés aux agrocarburants.

[3] L’accord d’Escazu est le seul instrument juridique contraignant régional (latino-américain et caribéen) pour l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice en matière environnementale. Il s’agit d’une suite à la Conférence Mondiale sur l’Environnement (Rio+20)

[4] Mercosur en espagnol

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