Palme de l’huile glissante pour les banques de développement

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Ces quatre banques européennes ont été incriminées dans le rapport de HRW. Elles annoncent des mesures immédiates jugées insuffisantes.
Afrimag | décembre 2019

Palme de l’huile glissante pour les banques de développement

Le 25 novembre 2019, HRW publiait un rapport d’enquête mettant en cause quatre banques de développement européennes BIO (Belgique), CDC Group (Royaume-Uni), DEG (Allemagne) et FMO (Pays-Bas). En ligne de mire, le financement de Feronia, société de droit canadien opérant dans le secteur de l’huile de palme et en particulier l’activité de sa filiale en RDC, les Plantations et Huileries du Congo S.A (PHC) dont les activités sont associées à de graves négligences au plan environnemental et humain. Par Pierre-Samuel Guedj.

Ces quatre banques européennes ont été incriminées dans le rapport de HRW. Elles annoncent des mesures immédiates jugées insuffisantes.

HRW a interviewé plus de 200 personnes dont plus de 100 travailleurs dans les trois plantations, ainsi que des dizaines de fonctionnaires congolais et de dirigeants d’entreprises, parmi lesquels l’ancien PDG de Feronia et le directeur général de PHC.

L’enquête menée par l’ONG a permis de recenser de nombreuses violations des droits des travailleurs et d’atteintes à l’environnement : des salaires en dessous du seuil d’extrême pauvreté, des contrats temporaires continuellement renouvelés, des risques sanitaires du fait de l’utilisation de pesticides dangereux non maîtrisés et non communiqués aux travailleurs sans possibilité d’y consentir, l’impossibilité d’avoir accès à leurs résultats médicaux, ainsi que le rejet de leurs effluents dans les uniques sources d’eaux potables de la population.

Bien que HRW mette directement en cause la responsabilité des entreprises Feronia et PHC, ce sont bien les banques de développement européennes qui financent les entreprises qui sont principalement la cible de ce rapport. En effet, pour Luciana Téllez, chercheuse auprès de la division Environnement et droits humains de Human Rights Watch et auteure du rapport : « Ces banques pourraient jouer un rôle important pour favoriser le développement, mais elles sabotent leur mission en ne s’assurant pas que l’entreprise qu’elles financent respecte les droits de ses travailleurs et des communautés vivant dans les plantations » (…) « Les banques devraient insister pour que Feronia remédie aux abus et s’engage à mettre en place un programme pour y mettre fin. »

Aux fins d’éviter l’effet contre-productif des campagnes se limitant au name and shame, HRW a opté pour une stratégie de communication auprès des banques et des gouvernements en question en amont et en aval de la publication du rapport. A ce titre les quatre banques ont reconnu en amont de l’enquête avoir identifié ces risques et avoir mis en place des mesures pour y pallier. Cet effort de dialogue a abouti à la publication le même jour que le rapport de l’ONG, d’un communiqué conjoint de leur part, énonçant une série de 15 mesures à mettre en œuvre immédiatement aux fins de remédier aux abus recensés. De nombreuses mesures sont jugées concrètes et facilement contrôlable par l’ONG, mais celle-ci déplore toutefois l’absence d’un changement structurel de ces banques.

Il apparaît ainsi qu’au-delà de l’effort d’identification des risques, reconnu par l’ONG, le manque de diligence reproché réside dans l’absence de dispositifs de contrôle effectifs. Critique qui a amené les banques à préciser avoir dûment évalué l’écart entre les pratiques de Féronia et PHC et les exigences issues des normes internationales de l’industrie, tout en reconnaissant en creux la difficulté à mettre en œuvre des dispositifs de contrôles effectifs et à mobiliser du personnel disposant d’expérience et compétences appropriées.

Les banques indiquent également avoir élaboré un Plan d’action environnemental et social (PAES) dont l’objectif est de «garantir à terme que Feronia se conforme à la législation et aux normes internationales », notamment à la loi congolaise, aux normes de performance 2012 de l’IFC et aux critères de certification de la Table ronde pour une huile de palme durable (Roundtable on Sustainable Palm Oil – RSPO).

Ce dossier démontre combien il devient essentiel en particulier pour les banques de développement de renforcer les mécanismes en amont de l’allocation de prêts et pendant le cycle de vie des projets financés. La détention du capital par les Etats expose les Banques de développement à une attention et un devoir de vigilance plus grand.

Plus largement, cette enquête s’inscrit dans un contexte d’attention grandissante des parties prenantes envers les acteurs de l’investissement, comme en témoigne le récent rapport d’Oxfam et les Amis de la Terre qui classifie les banques françaises les plus polluantes selon leur part d’investissements dans les énergies fossiles. Et si HRW a opté pour une stratégie de dialogue constructif avec les banques en cause, d’autres optent pour des moyens plus offensifs tels que FIDH et l’ONG Project Expedite Justice qui ont déposé une plainte devant le TGI de Paris en septembre 2019 contre BNP Paribas pour complicité de torture, crimes contre l’humanité et génocide, blanchiment d’argent et recel de produits d’activités criminelles au Soudan…

Ainsi, ce rapport, qui appelle aussi l’ensemble des donneurs d’ordre de la filière huile de palme à la vigilance, notamment eu égard aux biais du dispositif de la RSPO identifiés, constitue avant tout un signal pour le secteur financier qui doit anticiper :

– une surenchère accusatoire venant en soutien de plaidoyers en faveur de régulations plus contraignantes sur le respect des droits humains par le secteur y compris à l’échelle de l’Union Européenne ;

– le besoin de répondre à une attente d’informations claires et concises pour emporter l’adhésion, qui passe par un dialogue ouvert avec les parties prenantes afin notamment de déterminer les priorités d’engagement ;

– la mise en œuvre de PAES plus exigeants, fixant des normes sociales et environnementales minimales, annonçant des agendas d’actions mesurables et déployant des mécanismes de contrôle et de résolution de litiges appropriés ;

– l’émergence d’un Yuka de l’investissement permettant au citoyen de mesurer en temps réel l’impact ESG des investisseurs…

Pierre-Samuel Guedj
Président d’Affectio Mutandi
Président de la Commission RSE du CIAN –
Conseil Français des Investisseurs en Afrique

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