Après une offensive discrète au Kazakhstan, la Chine lorgne les terres russes inexploitées

Le Monde | 20.04.09

Alexandre Billette

L'affaire avait soulevé une polémique dès 2003 : l'annonce, par le quotidien China Daily, de la location par la Chine de terres arables au Kazakhstan voisin avait d'abord obligé les autorités kazakhes à démentir l'information. Un tel projet a pourtant bel et bien été lancé : plus de 7 000 hectares de terres ont été attribués à une société mixte sino-kazakhe, et plus de 3 000 paysans chinois ont pris la route de la région d'Alakol, à la frontière chinoise, pour exploiter des champs de soja et de blé.

Mais devant le malaise suscité par cette location -- sur dix ans -- d'une parcelle du territoire national, le gouvernement kazakh a toujours préféré faire preuve de discrétion à ce sujet. Le pays ne reconnaît que cinq endroits utilisés par des puissances étrangères sur son sol : il s'agit de zones militaires "prêtées" à la Russie depuis l'effondrement de l'Union soviétique, à l'instar de la base spatiale de Baïkonour.

Officiellement, les terres arables louées à la Chine n'existent donc pas. C'est que les autorités kazakhes craignent la réaction de la population rurale devant la "concurrence déloyale" représentée par l'arrivée en masse de paysans chinois, dont l'équipement agricole est supérieur au vieux matériel soviétique encore utilisé sur la plupart des exploitations kazakhes.

Pour la Chine, qui souffre d'une pénurie de terres cultivables, l'attrait de ces régions d'Asie centrale est évident. Dans la région chinoise d'Ili, située de l'autre côté de la frontière kazakhe, 1,7 million de paysans se disputent quelque 267 000 hectares de terres.

Selon les estimations du ministère chinois de l'agriculture, le pays produira, en 2015, environ 20 millions de tonnes de soja, soit seulement 40 % de ses besoins annuels. Du coup, Pékin s'intéresse non seulement aux plaines d'Asie centrale, mais également aux terres vierges du grand voisin russe.

ELDORADO AGRICOLE

Au début des années 2000, c'était essentiellement le secteur de la sylviculture qui attirait les exploitants chinois. Mais un raidissement de la législation russe avait alors fait capoter les projets développés par des sociétés mixtes russo-chinoises créées pour l'occasion.

Désormais, le soja est l'activité la plus porteuse, notamment dans l'Extrême-Orient russe, dans les provinces de Khabarovsk et la région autonome du Birobidjan, situées à 6 000 km de Moscou mais à 2 000 km seulement de Pékin. Pour les onze premiers mois de 2008, plus de 420 000 tonnes de soja ont été ainsi exportées vers la Chine.

Pour celle-ci, la Russie fait figure d'eldorado agricole : selon les estimations des experts russes, plus de 20 millions d'hectares de terres arables n'y sont pas exploités, et les prix y sont inférieurs à ceux pratiqués en Chine. Les terres proposées à la location sont de bonne qualité, avec un rendement estimé à 3 000 kg de soja par an et par hectare, soit deux fois plus que dans les exploitations chinoises.

Avec une telle quantité de terres exploitables et les besoins immenses de la Chine, la ruée vers les terres russes pourrait s'amplifier. Pour le moment, les autorités russes voient plutôt d'un bon oeil l'exploitation de ces terres auparavant inoccupées, qui leur permettra de prélever une taxe sur l'exportation des produits agricoles.

Mais l'arrivée massive de paysans chinois pourrait aussi engendrer des tensions avec la population locale, d'autant que la crise économique sévère que traverse le pays risque d'alimenter des réactions xénophobes.

Selon le dernier recensement russe, quelque 35 000 Chinois vivraient en permanence dans le pays. Mais, de l'aveu même du ministère de l'intérieur, entre 400 000 et 700 000 Chinois seraient, en réalité, installés sur le territoire russe.

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