«On se dirige vers une agriculture financiarisée»

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Lors d'un rassemblement de la Confédération paysanne, le 15 mars 2012 à Annebault (Calvados), pour dénoncer la vente de terres agricoles (AFP/Archives / CHARLY TRIBALLEAU)
Journal de l'Environnement | 11 décembre 2018

«On se dirige vers une agriculture financiarisée»

par Marine Jobert

D’ici 2022, un tiers des agriculteurs partiront en retraite. Un phénomène qui va aggraver la ‘tertiarisation’ en cours de l’agriculture, comme s’en alarmait un récent rapport parlementaire sur le foncier agricole. Des craintes que partagent les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), qui tenaient leur congrès annuel ce 7 décembre. Retour sur les enjeux du secteur, avec le président de la Fédération nationale des Safer, Emmanuel Hyest.

Avez-vous l’impression que l’agriculture française est à un moment charnière de son histoire?

Emmanuel Hyest - Oui, on est à un moment historique, avec des enjeux majeurs. A la fois sur la protection du foncier et sur les transferts de terres en cours, via des sociétés. Ce phénomène sociétaire n’est pas nouveau en soi. C’est son utilisation dans un but de déroger aux règles permettant de lutter contre l’accaparement des terres qui est nouveau. Jusqu’à il y a 5 ans, on conseillait aux gens qui détenaient des terres agricoles de les garder dans leur patrimoine personnel. Des conseillers se sont alors rendu compte que si on faisait entrer ces terres dans des sociétés agricoles, la vente sous forme de parts permettait de passer à travers l’obligation d’envoyer une déclaration d’intention d’aliéner à la Safer et que celle-ci n’avait aucun moyen d’intervenir. Jusqu’en 2014, on n’était même pas au courant… et depuis la loi d’avenir, la Safer est seulement notifiée, sans possibilité d’intervenir, sauf en cas de vente totale, ce qui n’arrive jamais. Le phénomène s’accélère, et ce dans tous les secteurs de l’agriculture. Ce qui est vraiment nouveau, ce n’est pas le fait de voir des exploitations s’agrandir, mais bien que certains procèdent à des reprises d’exploitation jusqu’à une fois par an!

JDLE - Vous proposez même de freiner l’augmentation des inégalités de taille entre les exploitations… faut-il donc décider d’une taille maximale?

Emmanuel Hyest - Il n’en a jamais été question encore, mais il faudrait effectivement définir une taille maximale. Aujourd’hui, dire que les exploitations françaises ont une surface moyenne de 63 hectares[1] (contre 28 ha en 1988, comme le rappelle le rapport des députés Anne-Laurence Petel et Dominique Potier), ça ne veut plus rien dire. C’est l’écart-type qu’il faut regarder… A ce rythme-là, cela va devenir irréversible. Et on se dirige vers une agriculture financiarisée, avec un modèle anglo-saxon, où il n’y a plus d’agriculteurs en tant que tels, mais des sociétés financières qui possèdent des exploitations, avec des gérants salariés. La première génération a encore la main grâce à des capitaux familiaux, mais elle est progressivement remplacée par des salariés.

Le phénomène totalement nouveau, et pour moi le plus inquiétant, c’est que, s’il y a toujours eu des gens qui ont acheté du foncier, c’était dans l’objectif de spéculer. Aujourd’hui, l’objectif est bien d’acheter les terres pour les exploiter.

JDLE – Et les gens qui achètent sous cette forme sociétaire ne sont pas nécessairement des ‘accapareurs venus de l’étranger’…

Emmanuel Hyest - Dans le monde, l’accaparement se fait par des nationaux. En France aussi, même si on ne sait pas trop qui est derrière les holdings…

JDLE - Vous devez avoir une idée de ceux qui investissent massivement via ces sociétés…

Emmanuel Hyest - On peut se poser la question de savoir s’il y a pas de grands groupes agro-alimentaires et financiers derrière… On entend aussi, dans les territoires, que la grande distribution aimerait bien acheter des terres et on a même eu des demandes. Et pas forcément seulement dans la filière bio.

JDLE – Vous appelez à placer le foncier sous la protection de la nation. C’est solennel… et ça consiste en quoi?

Emmanuel Hyest – La terre n’est pas un bien commun, comme l’air et l’eau, elle reste un élément de patrimoine. Mais on pourrait inscrire dans le code rural que le foncier, au sens large, serait protégé, au même titre que les forêts et les zones naturelles. Et cette protection ne pourrait être levée qu’après passage devant une commission de déclassement. Ce n’est pas un enjeu corporatiste que de dire qu’il faut arrêter de construire n’importe comment et de gaspiller des terres. L’enjeu est celui de la souveraineté alimentaire, même s’il est vrai que la France, aujourd’hui, n’est pas autonome sur ce plan-là. Et l’Europe importe l’équivalent de 35 millions d’ha. Nous attendons l’ouverture de discussions pour une loi agricole en 2019, une partie concernant le foncier et une partie la régulation.

[1] en 2016
  •   JDLE
  • 12 December 2018
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