Interview - Lucie Tétégan, présidente de l’ADEPA

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En même temps qu’on parle de l’accaparement des terres, c’est important de parler de l’accaparement des eaux.
Pôleafrique.info | 26 décembre 2017

Interview / Fêtes de fin d’année- Lucie Tétégan, présidente de l’Association ouest africaine pour le développement de la pêche artisanale (ADEPA) : « Il faut éviter d’acheter le poisson longtemps congelé »

Interrogée en marge de l’atelier de formation sur les directives de la gouvernance foncière de la FAO à l’endroit des acteurs de la société civile tenu à Abidjan du 18 au 20 décembre 2017, Lucie Tétégan, présidente de l’Association ouest africaine pour le développement de la pêche artisanale (ADEPA) insiste sur les conséquences de la pêche illicite.

Lorsqu’on évoque la gouvernance foncière, vous insistez sur la pêche artisanale. Pourquoi cela est-il important pour vous ?

En même temps qu’on parle de l’accaparement des terres, c’est important de parler de l’accaparement des eaux parce que les eaux sont situées sur des territoires. En plus des eaux, nous avons les terres environnantes qui entourent les eaux. Des pêcheurs vivent sur ces terres et leur milieu de travail, ce sont les eaux. Dans ces eaux, il y a des conflits.

Quel type de conflit ?

Nos Etats signent des accords avec des pêcheurs industriels. Et ces bateaux de pêche industrielle entrent dans les eaux territoriales. Les eaux territoriales sont délimitées. Il y a la partie réservée à la pratique de la pêche artisanale. Les petits bateaux ne peuvent pas aller loin. Quand les gros bateaux finissent de prendre les poissons en haute mer, ils s’incrustent dans la partie réservée à la pêche traditionnelle et s’accaparent le poisson.

Quelles sont les conséquences de ce type de conflit en mer ?

Les conséquences sont que les pêcheurs traditionnels n’auront pas suffisamment de ressources à pêcher. Ce qui est grave, c’est que ces gros bateaux entrent en collision avec les pirogues. Ce sont des accidents en mer. Un accident sur terre a ses conséquences à plus forte raison sur l’eau. Quelle que soit la façon dont vous savez nager, vous allez disparaître sous l’eau. En août 2013, aux larges de Grand-Bassam, trois pêcheurs artisanaux sont allés pêcher vers 23 heures et ils ont été renversés par un bateau. Ces trois pêcheurs ont disparu sous l’eau. Le plus âgé avait 40 ans. Ce sont des familles endeuillées, des épouses et des enfants qui restent seuls.

A côté de ces conséquences, quelle est l’incidence sur la sécurité alimentaire ?

Ces gros bateaux qui viennent prendre les poissons, ne les vendent pas ici. Ils vont les revendre chez eux. Ils viennent parce qu’il n’y a plus de poissons chez eux. Ils signent des accords avec les Etats pour venir pêcher en haute mer. Si nous prenons le cas de la Côte d’Ivoire, sachez que le pays importe du poisson. Pourtant on sait que la pêche artisanale fournit du poisson. C’est l’une des raisons. Tout ce que je viens de citer fait partie de la pêche illicite. Et il y a plusieurs aspects.

Vous évoquez aussi la qualité du poisson, est-ce l’une des conséquences de la pêche illicite ?

Les gros bateaux utilisent parfois des engins de pêche qui sont prohibés. Ils ne respectent pas toujours la réglementation en vigueur, non seulement au plan international, mais aussi au niveau national. Au niveau des pêcheurs artisanaux, certains ne respectent pas non plus la réglementation parce qu’il y a des engins de pêche interdits qu’ils utilisent. Il est interdit de pêcher avec des pesticides. Vous verrez que des pêcheurs le feront parce que c’est plus facile d’avoir beaucoup de poisson. Si vous êtes un acheteur ou un consommateur de poisson, et que vous ne savez pas comment reconnaître le poisson pêché par pesticide, vous l’achèterez.

Y a-t-il des risques à en consommer ?

Oui. Les pesticides sont toxiques.

Comment reconnaître ce poisson alors ?

En général, le poisson pêché avec des pesticides est blanchâtre. Il est tout blême. Quelques fois, vous verrez de petites tâches sur ce poisson.

Est-ce évident pour le consommateur lambda ?

Ce n’est pas évident. C’est pour cela qu’au niveau de notre organisation, nous sensibilisons beaucoup les pêcheurs. Nous leur demandons de préserver la ressource. Si le pêcheur ramasse tout le poisson, il en aura plus. La disparition de la ressource est une conséquence pour lui-même et sa propre famille. Nous faisons également le plaidoyer.

Votre plaidoyer trouve-t-il écho favorable ?

Nous faisons le renforcement des capacités aux professionnels du domaine, nous renforçons les capacités des ONG du domaine au niveau technique. Plus ils sont formés, plus ils auront une plus-value au niveau économique. Cela va aider au plan social leurs familles. Nous les formons pour qu’ils soient capables d’influencer les décisions qui seront prises. Que ce soit au plan local, au plan national ou au plan international. Ce qui se passait, c’est que les grands décideurs parlaient de la pêche sans les pêcheurs. Aujourd’hui, de plus en plus les gouvernants se réfèrent aux organisations professionnelles de pêche dans leur pays. Au niveau régional, cela commence à venir.

C’est en cela que j’ai beaucoup aimé les directives volontaires de la FAO, non seulement sur le foncier, mais en même temps sur la pêche artisanale. Le 10 juin 2014, la FAO a pris ces directives pour reconnaître l’importance de la pêche artisanale. C’est une grande joie pour nous qui accompagnons ce secteur. Les acteurs de la pêche ont été consultés avant la mise en œuvre de ces directives.

C’est déjà l’heure des festivités de fin d’années, que conseillez-vous de manière pratique aux consommateurs de poissons ?

Il faut demander l’origine du poisson. Il faut faire la traçabilité du poisson car lorsque la chaîne de froid est interrompue, c’est un désastre.

Dès qu’il est pêché, le poisson est encore bon. Il contient des protéines. Quand il n’est plus dans de bonnes conditions d’hygiène, de conservation et de sécurité, il perd les aspects nutritionnels. En cette fin d’année, il faut éviter d’acheter le poisson longtemps congelé. Les nutritionnistes déconseillent de manger un aliment conservé au froid pendant plus d’une semaine.

Interview réalisée par Nesmon De Laure

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