À Total, la palme du greenwashing

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Pour produire plus d’agrocarburants, il faut augmenter la superficie des terres agricoles. Cela se traduit par la destruction de zones forestières, elle-même génératrice de gaz à effet de serre.

Zibeline | 2 janvier 2017

À Total, la palme du greenwashing

Total s’apprête à importer dans le sud de la France des quantités massives d’huile de palme, fruit d’une monoculture intensive, pour produire des biocarburants. Alors que l’Union Européenne, 2e importateur mondial, cherche à réglementer.

« La première bio-raffinerie de Total » est annoncée sur le site de La Mède, au bord de l’Étang de Berre. Une bio-raffinerie « de taille mondiale », précise la multinationale, qui prévoit la production de 500 000 tonnes de biodiesel HVO (huile végétale hydrotraitée) délivrées à l’année, dès 2018. Principalement à base d’huile de palme, « qui se mélange parfaitement au diesel, sans aucun impact sur la qualité du carburant ou sur les moteurs, et sans limite d’incorporation ».

Greenwashing

On connaît la tendance des grandes entreprises au greenwashing, et Total à cet égard est un cas d’école (lire notre article consacré à l’ouvrage d’Alain Deneault, Le Totalitarisme pervers). Aussi on ne s’étonnera pas de voir une ferme opposition au projet dénoncer son écologie de façade.

Le biocarburant est une fausse bonne idée, selon bien des organisations environnementales. Notamment Greenpeace, qui préfère d’ailleurs utiliser le terme agrocarburant, pour éviter qu’on n’assimile le préfixe au label biologique. « Remplacer les carburants fossiles, fortement émetteurs de gaz à effet de serre (GES), par ces nouveaux carburants, supposés renouvelables […] ne fait que déplacer le problème. Pour produire plus d’agrocarburants, il faut augmenter la superficie des terres agricoles. Cela se traduit par la destruction de zones forestières, elle-même génératrice de gaz à effet de serre.» En 2015, la Commission européenne a commandé un rapport à ce sujet, selon lequel les émissions de GES des biocarburants à base d’huile de palme sont équivalentes à… trois fois celles des combustibles fossiles.

Il vaut mieux avoir les idées claires sur l’huile de palme, car même si le grand public est déjà familier des dégâts causés par cette filière agricole au niveau de la biodiversité, de la déforestation et de la malbouffe, la question est complexe. On vous recommande vivement la lecture de La palme des controverses, ouvrage coécrit par deux chercheurs (IRD-Cirad). D’après Alain Rival et Patrice Levang, « boycotter l’huile de palme n’a que peu de sens, si pour la remplacer on convertit huit fois plus de forêts en champ de soja ou de tournesol ». Le palmier à huile, comme source de corps gras, est en effet comparativement plus performant que d’autres espèces, d’où son intérêt pour l’industrie. L’objectif, pour les défenseurs de l’environnement, n’est donc pas de se focaliser sur lui, mais selon Cécile Marchand, du réseau Les amis de la terre, « d’exclure du marché européen tous les agrocarburants dits de 1ère génération » (produits à partir de plantes destinées traditionnellement à l’alimentation). De cette façon, on limiterait l’expansion des cultures, en Indonésie et Malaisie notamment, avec son cortège d’expropriations, travail forcé, recours à la main d’oeuvre enfantine etc…

Le combat de tous

Face à Total et ses consorts, la convergence des luttes commence vraiment à prendre forme. Le 14 novembre à Martigues, une rencontre publique était organisée par Alternatiba, Les amis de la terre et la CGT. Fabien Cros, responsable CGT chez Total-La Mède, dénonce les nombreuses suppressions de postes que la transformation de l’usine en bio-raffinerie entraînera. Pour Catherine Bonnafé (collectif Alternatiba Martigues), il était primordial de mener une réflexion en commun avec les travailleurs. « Il faut penser la transition écologique dès aujourd’hui, et former les gens pour qu’ils puissent avoir une activité demain ». Le site de La Mède devrait pouvoir connaître une reconversion utile socialement et non nuisible à l’environnement… deux thèmes qui ne sont malheureusement pas les points forts des actionnaires de Total. Invités à la rencontre, les représentants de la multinationale ont fait savoir que pour eux « le sujet était déjà clos ».

D’autres structures sont concernées par les agrocarburants : les distributeurs ! Leclerc et Système U se sont engagés à exclure l’huile de palme de leurs carburants, et le 16 novembre, des activistes des Amis de la Terre sont intervenus au siège de Carrefour à Paris, déguisés en orangs-outans, pour demander à ce que l’enseigne se rallie au boycott. Cécile Marchand précise que le Parlement européen espère convaincre l’UE « d’exclure les huiles végétales des agrocarburants d’ici 2020, ce qui en gros enlèverait tout débouché à Total en Europe ». Les choses bougent, et ce n’est pas le moment de relâcher la pression sur les élus, européens comme nationaux. À l’échelle locale, certains sont déjà mobilisés ; le Maire de Martigues a ainsi émis un avis défavorable au projet de Total à La Mède. À l’heure où l’Étang de Berre présente sa candidature au patrimoine mondial de l’Unesco, il est de toute façon urgent de remettre tout le monde autour d’une table pour réfléchir à l’avenir en articulant questions environnementales, industrielles, territoriales et sociales.

GAËLLE CLOAREC
Décembre 2017

 

Huile de palme « durable » ?

On trouve de l’huile de palme dans énormément de produits : des pâtisseries industrielles aux dentifrices, en passant par la lessive ou les rouges à lèvres. La production mondiale a augmenté de façon exponentielle ces dix dernières années, un phénomène accéléré par son usage comme carburant. Les Amis de la terre estiment qu’à elle seule, la bio-raffinerie de La Mède doublerait la consommation française : « ce projet représente autant d’huile de palme que 6 milliards de pots de Nutella ». En réponse aux critiques portant sur le redoutable impact de cette monoculture intensive, une Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO) a été mise en place en 2004. Mais une enquête d’Amnesty International révèle que l’organisme « agit comme un écran en empêchant tout examen approfondi des pratiques des entreprises », ses critères étant extrêmement faibles, et fondés sur un système d’évaluation superficiel.

G.C.
Décembre 2017

 


Photo : 2 janvier 2015. Kisangani, Province Orientale, RD Congo. Une femme prépare l’huile de palme utilisée pour la consommation alimentaire et la production de savon. Photo Monusco Abel Kavanagh.

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