Les agropoles : une panacée pour l’agriculture africaine ?

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Les agriculteurs locaux n’ont plus accès au foncier car dépossédés de leurs terres.

Afrik.com | 8 décembre 2017

Les agropoles : une panacée pour l’agriculture africaine ?

Dans le but de favoriser l’investissement agricole, des pôles de croissance agricoles (agropoles) ont été créés au Bénin, souvent sous forme de partenariat public privé, ils sont censés être des pôles d’excellence visant à booster la productivité et contribuer à assurer la sécurité alimentaire. Dans son article, José Herbert AHODODE, analyse objectivement ces agropoles. Selon lui, lors de l’implantation de ces programmes, les droits des propriétaires coutumiers sont loin d’être respectés. Ces agropoles favoriseraient même l’accaparement de terre avec la complicité des autorités locales. Ajoutons à cela qu’ils sont réalisés sans souci de contextualisation pour s’adapter aux réalités locales. On comprend vite que ces agropoles sont plutôt fait pour enrichir des grands groupes que pour assurer la sécurité alimentaire des populations béninoises. L’idée semblait pourtant bonne sur papier...

La promotion du partenariat public-privé (PPP) comme stratégie de financement du secteur agricole en Afrique s’amplifie. Depuis quelques années, les pôles de croissance agricole se multiplient et occupent une place grandissante. Seulement, plusieurs questions subsistent encore quant à leur pertinence et on se demande, entre autres, si les agropoles sont la meilleure option pour le développement agricole ? Si c’est le cas, la pratique du PPP dans la dynamique des agropoles est-elle la meilleure Favorisent-ils réellement le développement de filières compétitives et inclusives des exploitations familiales ?

Qu’est-ce qu’un agropole ?

Les pôles de croissance agricoles (agropoles) sont développés sur des zones de terres agricoles dotées d’un fort potentiel, souvent irriguées ou potentiellement irrigables, et sur lesquelles les pouvoirs publics souhaitent favoriser la concentration des investissements publics et privés. Ils sont dotés d’infrastructures de soutien à la production, à la transformation et à la commercialisation des matières premières agricoles, et sont connectés aux marchés régionaux et internationaux pour l’achat d’intrants ou la vente des produits. Selon la BAD, 2016 : « Ces politiques pourraient conduire à une hausse des investissements du secteur privé orienté vers des domaines d’excellence et de haute productivité ». La promotion des pôles de croissance agricoles s’inscrit en effet dans une dynamique d’incitation à l’investissement privé à grande échelle dans l’agriculture, mise en avant par les Etats, les organisations internationales, les agences de développement, et les firmes agroalimentaires multinationales. Cette approche du développement agricole considère la lutte contre la faim essentiellement comme un défi d’augmentation de la production et des rendements, sans prise en compte des dimensions de revenus des plus pauvres, de destination de la production agricole, etc. Ainsi, les problèmes du monde agricole demeurent sans solution efficace. Il est donc opportun de s’interroger sur les failles du système car le fonctionnement des agropoles reste entaché de beaucoup de déviances…

Facilitation de l’accaparement des terres

La question foncière liée à l’accaparement des terres par les grandes firmes (sans politiques d’indemnisation crédibles) avec la complicité de l’Etat est un obstacle certain. L’Etat, étant détenteur des droits de propriété, décide de leur déploiement ou transfert vers les multinationales sous ordre de PPP. Ce positionnement de l’Etat induit certains agents à marchander la terre pour des bradages aux firmes par suite de commissions mirobolantes. Cela défavorise les agriculteurs locaux qui n’ont plus accès au foncier car dépossédés de leurs terres. En plus, la réalisation de nouveaux aménagements et infrastructures implique des redistributions du foncier. Les procédures (simplistes et réductrices) d’expropriation des terres, de compensation et de réinstallation des populations affectées sont peu négociées et s’accompagnent de nombreuses contestations. Dans le même temps, la défaillance du système judiciaire pénalise les paysans car ils sont incapables de faire valoir leur droit. La raison du plus fort étant toujours la meilleure, force est souvent restée à la loi du plus fort, c’est-à-dire l’Etat ou les privés disposant de moyens nécessaires pour « s’acheter » la justice…

Une approche dirigiste, peu inclusive

Par ailleurs, il faut remarquer que les exploitations agricoles sont faiblement intégrées avec aucune place pour l’innovation paysanne dans cette approche très « top down » : contrainte des producteurs à appliquer un paquet technologique sans tenir compte des spécificités locales. Il n’existe donc pas de mesures d’accompagnements pour la prise en compte des exploitations familiales « greniers des ménages » dans l’ordre de mission des agropoles. On en déduit que le modèle promu manque d’être inclusif pour les producteurs. Si la modernisation de l’agriculture commerciale est légitime, il n’en demeure pas moins qu’il faille réduire la diversité de l’offre en négligeant l’agriculture familiale, ne serait que pendant la phase de transition. Aussi, pour les termes du contrat de PPP, ils ne sont pas toujours clairs, équitables et efficients en raison des relations de copinage entre Etat et Entreprises dans l’implémentation des agropoles ; toutes choses ne favorisant guère leur essor !

Un système en faveur des grands groupes

L’effet de concurrence sur les marchés est une problématique soulevée par la défiscalisation à l’avantage des grands opérateurs privés. Accorder des incitations fiscales, douanières n’est pas mauvais en soi si les investisseurs privés respectent leur engagement à créer de la richesse et des emplois. Ce qui n’est pas le cas et, ces opérateurs sont plus compétitifs que les agricultures familiales, bénéficiant moins de soutiens. Ceci crée des distorsions, ce qui fait que les agropoles ne répondent pas à l’impératif d’égalité des chances économiques.

Quelles alternatives ?

Si l’intention derrière ces agropoles est louable, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre devrait être repensée. En scrutant les questions de commercialisation et du marché, il serait opportun de mettre en œuvre des stratégies idoines pour bénéficier des économies d’échelles entres acteurs. C’est l’avantage de l’approche « chaînes de valeurs » préconisant de tisser des liens entre secteurs et acteurs pour accroitre la productivité et la compétitivité des agents économiques. Pour répondre aux défis du développement agricole, il urge de changer de cap dans la pratique du PPP sous l’option des agropoles. Il faudrait définir le cadre légal en établissant les normes de manière inclusive en concertation avec toutes les parties. Il faut aussi veiller au respect des droits de propriété de tous les acteurs. Le partenariat soit gagnant-gagnant pour les divers acteurs et puisse résoudre les défis de coordination d’une approche multi-composante et pluri-acteurs. Investir davantage dans les infrastructures - transports, électricité, eau et TIC - afin d’améliorer l’accès aux marchés, aux intrants, aux technologies et aux ressources financières et investir dans les chaînes de valeurs pour rapprocher les agriculteurs des marchés seraient aussi des alternatives à envisager.

En définitive, le partenariat public-privé pourrait promouvoir le développement agricole via les agropoles si l’on change d’approche en respectant les droits et libertés des différentes parties prenantes. Une approche « par le haut » élitiste, discriminatoire, au détriment des droits de propriété, et bafouant les lois du marché et les réalités du terrain, pourrait déboucher sur des résultats inverses.

José Herbert AHODODE, agro socio-économiste béninois, acteur de la Société Civile.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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