La colère des paysans africains dépossédés de leurs terres

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Terres irriguées à Tombouctou sur le fleuve Niger, au Mali. (Photo AFP)

Géopolis | 11 juin 2015

La colère des paysans africains dépossédés de leurs terres

Par Martin Mateso

Dépossédés de leurs terres par des étrangers, des paysans africains s'en prennent aux intérêts du groupe français Bolloré en Afrique de l'Ouest. Dans certains pays, comme au Burkina Faso, les petits agriculteurs pourraient ne plus pouvoir s’alimenter dans moins d'une décennie. C’est ce qu’explique à Géopolis, Maureen Jorand du Comité contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire).

Le CCFD dénonce un phénomène qui aurait pris des proportions inédites sur le continent africain? On parle de plusieurs millions d’hectares confisqués aux paysans.

Il est très difficile d’estimer précisément l’ampleur du phénomène pour plusieurs raisons : les contrats et les transactions foncières sont rarement publics. Des organisations ont commencé à faire un recensement du phénomène sur le terrain, pays par pays. C’est le cas de la Copagen (une coalition d'organisations paysannes et de la société civile présente dans neuf pays africains). Elle a mené une étude de plusieurs années sur les accaparements dans neuf pays : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Les conclusions sont alarmantes.

Alors qu’on estimait le phénomène à un million d’hectares sur cette zone au cours des dix dernières années, l’étude montre que ce sont 2.313.400 d'hectares de terres qui ont été accaparés. A ce rythme, comme l’a rappelé le syndicat paysan La Via Campesina, dans moins d’une décennie, le Burkina Faso par exemple n’aurait plus de terres pour les petits paysans. Alors comment nourrir sa population ?

Cette spéculation foncière met clairement en péril la sécurité alimentaire de ces pays. En effet, ces terres sont cédées aux grands investisseurs privés au détriment des petits paysans. Or, ces derniers fournissent 60 à 70% de l’alimentation dans ces pays. Leur enlever les moyens de produire, c’est mettre en danger l’accès à l’alimentation de l’ensemble de la population.

Par ailleurs, on observe que les grands investissements dans l’agriculture en Afrique se font beaucoup dans les cultures de rente, c’est-à-dire les cultures d’exportation comme le café, le cacao, le coton, l’hévéa… Ces productions ne répondent pas à l’enjeu de nourrir les populations locales.

Les paysans ont-t-ils la possibilité de négocier avec les sociétés agro-industrielles, les Etats tiers et les fonds d’investissement qui font main basse sur leurs terres?

Il y a plusieurs problèmes à souligner. Tout d’abord, les populations n’ont parfois pas connaissance de la mise à disposition de larges surfaces de terres aux investisseurs privés. Ils découvrent cet accaparement une fois les machines arrivées sur leurs terres. Elles ne sont jamais réellement consultées, c’est-à-dire associées à la définition des besoins et des projets destinés à y répondre. Car rien n’oblige aujourd’hui les investisseurs à le faire.

Les paysans tentent de négocier avec les entreprises mais cela a lieu en général une fois les impacts négatifs avérés. Et il faut s’interroger sur le rapport de force déséquilibré entre une multinationale et une organisation paysanne regroupant quelques dizaines de producteurs.

Cet enjeu est central dans les nouvelles formes d’accaparements de terres que nous observons. Car les entreprises l’ont bien compris : de tels cas nuisent à leur image et leur réputation. Elles ne souhaitent donc plus acquérir directement le foncier. Elles privilégient la signature de contrats avec des paysans qui produisent et revendent à l’entreprise, qui leur fournit semences, intrants (engrais, pesticides) et conseils techniques.

C’est le modèle choisi aujourd'hui pour investir dans l'agriculture, comme l’illustrent les projets de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Une initiative lancée par le G8 en 2012 pour lutter contre la faim et la pauvreté en Afrique.

Nous l'avons observé sur le terrain, et notamment en Côte d’Ivoire, cela se traduit par des accaparements de terres indirects. La contractualisation peut rapidement entraîner un endettement massif des paysans lorsque ceux-ci perdent leurs récoltes à cause d’un évènement climatique imprévu comme une inondation. Obligés de payer les services fournis par l'entreprise, les paysans se retrouvent acculés à céder une partie de leurs terres.

Peut-on dire que les pouvoirs publics dans ces différents pays sont complices?

Il est sûr que les pouvoirs publics dans ces pays ont une responsabilité dans ce phénomène, soit parce qu’ils cèdent eux-mêmes des terres ou qu’ils en facilitent l’accès à certains acteurs dans un contexte législatif faible. Mais cela va au-delà des gouvernements africains. Les gouvernements américains, anglais, français et d'autres sont également responsables de cette situation. Car ils soutiennent aujourd’hui ces entreprises sans s'assurer que l’investissement ne se traduise pas par un accaparement de terre.

Par exemple, pendant trois ans (2012-2014), l’Agence française de développement (AFD) avait pris des actions dans la Socapalm, une des entreprises pointées du doigt dans la mobilisation actuelle contre le groupe Bolloré et dont les impacts négatifs et en particulier les accaparements de terres, avaient été documentés depuis 2011. Les Etats du Nord, comme la France, qui financent l’activité de ces investisseurs en Afrique doivent donc également prendre leur part de responsabilité.

Quelles solutions préconise le CCFD pour arrêter les dégâts et préserver les droits des populations paysannes?

Si l’on souhaite mettre fin à tous les accaparements actuels, et prévenir les futurs, alors les Etats doivent mettre en place des législations foncières qui permettent de sécuriser l’accès au foncier des populations locales et un encadrement des investissements privés prenant en compte les impacts sur la terre, les ressources naturelles et le droit à l’alimentation.

Dans tous les cas, plutôt que de se reposer sur des multinationales sans capacité de suivre l’impact au niveau local, les Etats devraient réorienter leurs financements vers les premiers investisseurs dans l’agriculture et pour la sécurité alimentaire: les petits paysans.

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