Me Mohamed Ali Bathily, le ministre des Domaines et des Affaires  foncières
Me Mohamed Ali Bathily / photo archives

Le ministère malien des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Me Mohamed Ali Bathily, vient d’engager une lutte sans merci contre la fraude et la spéculation foncières.

Après une récente annulation de cinquante titres fonciers (près de 3.500 parcelles), il s’attaque à la servitude des rails dans deux communes du district de Bamako et à Kati (15 km de la capitale) où le domaine de l’Etat est illicitement morcelé et exploité par des particuliers qui y érigent maisons d’habitation et commerce.

« On va déguerpir les servitudes », a juré Me Bathily en rappelant qu’elles sont « inaccessibles et inaliénables », selon la loi.

Cette volonté affichée est bien accueillie au Mali où la spéculation foncière est considérée comme une bombe sociale à retardement.

Sur les 347 dossiers traités par le Médiateur de la République entre 2012 et 2013, les réclamations ont majoritairement porté sur les affaires foncières.

« Les litiges fonciers ne cessent de gagner en ampleur et en gravité, créant des situations potentiellement dangereuses pour la paix sociale », avait déploré le Médiateur, Baba Akhib Haïdara, en remettant son rapport au président de la République en mai 2014, Ibrahim Boubacar Kéïta.

Pour celui-ci, ces litiges « constituent une problématique récurrente qui exige aujourd’hui des solutions de rupture. Les frustrations et la colère que génère ce fléau sont déjà explosives « .

L’Etat est fréquemment accusé par l’opposition et la société civile de « brader des milliers d’hectares au détriment des paysans locaux », qu’il cède souvent à des multinationales ou à des particuliers dans des conditions opaques.

Dans un mémorandum, le Parti pour la renaissance nationale ( PARENA, opposition) affirme que 472.000 hectares ont été cédés à des étrangers et plus de 233.000 à des privés maliens, au détriment des populations qui « risquent d’être chassées des terres qu’elles exploitent depuis plusieurs générations ».

Mais, pour la direction de l’Office du Niger, « il n’y a jamais eu de cession des terres de l’Office qui appartiennent à l’Etat. Les exploitants y sont installés sur la base d’un bail.. En août 2010 par exemple, des baux attribuant 228.796 hectares à diverses personnes ont été résiliés pour non respect de la loi ».

Ces précisions ne convainquent pas les organisations de défense des paysans qui exigent, pour plus de transparence, que l’office publie la liste des bénéficiaires de terres et la nature des documents signés entre eux et l’Etat.

L’accaparement des terres agricoles s’étend visiblement à l’ ensemble du territoire malien. « Aujourd’hui, toutes les terres arables du pays sont concernées », déplore Massa Koné, secrétaire général de l’Union des associations et des coordinations d’ association pour le développement et la défense des droits des démunis.

« Je ne sais pas, dans dix à vingt ans, comment les gens vont vivre dans nos villages parce qu’il n’y aura plus de terres pour cultiver alors que la population augmente. Tout a été vendu à des riches opérateurs économiques dans des conditions obscures », déplore Siaka Samaké, un cadre originaire de Dialakoroba, à une cinquantaine de km de Bamako.

« Certains paysans mordent à l’appât du gain et vendent leurs terres agricoles à des prix vraiment dérisoires », souligne Broulaye Doumbia, un paysan local.

A ce rythme, ils condamnent les futures générations à enrichir le lot des désoeuvrés de la capitale ou de ceux qui émigrent en Europe voire ailleurs. Les bras valides qui choisiront de rester, doivent se résoudre à travailler comme ouvriers dans des exploitations privées à qui leurs parents auraient tout bradé, soulignent les organisations de la société civile.

Dans la majorité des situations conflictuelles dénoncées, ce sont les entreprises privées qui sont à l’origine du phénomène, mais toujours avec la « complicité du gouvernement ».

Selon de nombreux observateurs, l’Etat a mis en place un système de baux à long terme renouvelables. Donc ce sont les autorités nationales qui s’accaparent d’abord les terres, sous prétexte que la terre appartient à l’Etat. C’est ce système qui est actuellement combattu par le ministre Bathily.

D’après la coutume, ces terres sont le lieu de travail et la source de revenu des paysans. Et le droit coutumier existe au Mali mais, « il n’est jamais respecté, parce qu’un paysan ne pèse pas lourd face à une agence immobilière ou à un nanti », déplore Massa Koné.

Le sociologue Madou Sidibé tire la sonnette d’alarme : « en privant les ruraux de terres, on les prive d’avenir.. Cette dépossession peut entraîner des rancoeurs et, à terme, des violences », souligne-t-il.

Pour sa part, le Médiateur de la République préconise « une véritable brigade foncière d’assainissement sur toute l’étendue du territoire national ».

En dehors de l’annulation des titres litigieux ou frauduleux, le gouvernement envisage la mise en place d’un système informatisé du cadastre, en espérant qu’il permettra d’arrêter la fraude et spéculation foncière. F

Source: Agence de presse Xinhua