Sénégal : L'affaire Senhuile ne montre aucun signe d'appaisement

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(Photo : Re:Common)

Q Code Magazine | 25 mars 2015

Traduit de l'Italian par GRAIN

SÉNÉGAL : L’AFFAIRE SENHUILE NE MONTRE AUCUN SIGNE D’APPAISEMENT

GIULIA FRANCHI
Re:Common

SENHUILE S.A., LE TRÈS CONTESTÉ CONSORTIUM AGROALIMENTAIRE ITALO-SÉNÉGALAIS PROPRIÉTÉ DU GROUPE FINANCIER TAMPIERI DI FAENZA, QUI ALIMENTE DE NOMBREUSES CONTROVERSES, FAIT À NOUVEAU PARLER DE LUI. ET CE N’EST MÊME PAS POUR UNE BONNE NOUVELLE.

Après l’embarrassant licenciement, puis l’arrestation, en juin 2014, de Benjamin Dummai, son administrateur délégué en poste à l’époque, pour détournement de fonds à hauteur de près d’un demi-million de dollars, au Sénégal, le groupe Tampieri a pris des mesures urgentes pour sauver la face - et ses investissements – et opéré une restructuration de la gestion du projet dont elle ne cesse de faire l’éloge.

Suite à un important effort de communication, les managers de Faenza ont mis en application la solennelle déclaration faite à la presse au lendemain de l’arrestation de Dummai, à savoir la nécessité que l’Italie reprenne de près le contrôle du projet, et, en substance, rectifie le tir là où l’« ancienne direction » avait semé malaise, mécontentement et, surtout, creusé le déficit budgétaire.

Malheureusement, malgré les efforts consentis et les sourires affichés, le « projet Sénégal » continue d’empêcher de dormir l’Administrateur délégué du Groupe Tampieri, et, surtout, à déplaire du tout au tout au Collectif pour la défense de la réserve de Ndiael, qui lutte, depuis le début, contre le vol de terres que suppose ce projet.

« La concession des 20 000 hectares occupés par des éleveurs et des cultivateurs du Nord du pays à la société Senhuile a constitué une erreur historique », a déclaré le Collectif dans un courrier adressé, en octobre dernier, au Président de la République du Sénégal, dans lequel il demandait son intervention immédiate en faveur de la restitution des terres à celles et ceux dont la survie en dépend.

Cela revient quasiment à dire qu’il est inutile d’essayer de corriger quelque chose qui a été pensé, développé et construit de manière erronée dès le départ, comme le décrivent Maura Benegiamo et Davide Cirillo dans leur rapport détaillé sur cette affaire, publié en octobre dernier et téléchargeable ICI.

Mais la « nouvelle direction » n’a pas fini de s’attirer des courroux. La décision de licencier plus de 80 personnes, elle aussi motivée par la nécessité de « redresser » les erreurs de l’« ancienne gestion », a soulevé la protestation des employés et suscité l’intérêt de la Confédération démocratique des syndicats libres du Sénégal (CDSL). Lors d’une visite dans la région de Saint Louis, où est établie l’entreprise, le Secrétaire général de la Confédération a déploré les conditions difficiles dans lesquelles travaille le personnel. Il a également lancé un appel à l’intention des autorités, afin qu’elles réagissent rapidement pour permettre aux employés de consolider leurs positions.

Mais, loin de se montrer convaincante et allant même jusqu’à jeter de l’huile sur le feu, l’entreprise a décidé de licencier son personnel pour motif économique, après avoir augmenté son capital social de 10 millions à 3 milliards de francs CFA (de près de 15 000 à 4,5 millions d’euros). « Maladresse ou incohérence ? » s’interroge la presse locale.

Et c’est alors que la « nouvelle direction » tentait encore de trouver des réponses adéquates à fournir à la presse et d’apporter aux protestations locales qu’est intervenu le dernier coup de théâtre.

Benjamin Dummai, l’homme fort de l’ancienne direction, qui a joué un rôle fondamental dans la mise en place d’une architecture complexe de structures imbriquées les unes dans les autres remontant jusqu’au Panama - que nous avions décrites dans nos colonnes-, n’entend pas être le seul bouc émissaire et contre-attaque.

Après des mois de silence, et de manière tout à fait inattendue, il assigne le Groupe financier Tampieri et Senhuile S.A. en justice pour 14 chefs d’accusation allant de l’augmentation fictive du capital social à des fins frauduleuses, au blanchiment d’argent, en passant par la fraude et l’émission fictive d’actions.

Pour mener cette bataille, Dummai a choisi de se faire représenter par un avocat d’exception, Cledor Cire Ly, qui assure déjà la défense du fils de l’ex-président sénégalais Karim Wade, arrêté en 2013 pour avoir accumulé illicitement 1,4 milliard de dollars lors des 12 années de pouvoir de son père.

Ironie du sort, Cleodor Cire Ly se trouve aussi être l’avocat des employés licenciés par Senhuile, qui, pourrait-on le penser, pourraient difficilement être en mesure de payer les mêmes honoraires que Karim. Ces mêmes employés qui, cependant, lors des protestations ayant suivi le licenciement, demandaient haut et fort le retour de Dummai.

Lorsque nous avions commencé à raconter cette histoire, il y a une paire d’années, aux côtés et en soutien aux communautés locales en lutte contre un énième abus sur leur territoire, nous n’aurions jamais pensé que cette saga atteindrait de telles proportions, et que les intérêts impliqués seraient ceux qu’ils sont, et qu’ils seraient si nombreux.
Il était également inimaginable qu’après deux années de travail, au lieu de trouver des réponses, nous serions amenés à nous poser encore plus de questions.

Personne n’a jamais voulu nous dire pourquoi une structure si obscure était nécessaire pour produire des agrocarburants (ou même de l’huile de tournesol, du riz, du maïs ou des arachides). Personne n’a jamais voulu non plus nous dire pourquoi une dizaine de sociétés entre l’Italie et le Sénégal, liées d’une manière ou d’une autre à ce projet, avaient été ouvertes puis fermées, au cours des dernières années.

À la lumière des derniers faits, Tampieri, voire Dummai en personne, par l’intermédiaire de son illustre avocat, se montreront peut-être désireux d’en dire un petit peu plus sur cette histoire.

Pas tant à nous, mais aux éleveurs de la région de Saint Louis, condamnés à survivre en payant les conséquences de ce bras de fer entre « nouvelle » et « ancienne » direction, mais pour lesquels ce conflit a peu d’importance, étant donné qu’ils s’opposaient au projet dès le départ, qu’ils continuent de s’y opposer maintenant et qu’ils s’opposeront à sa nouvelle version « rénovée ».

C’est à eux que des explications doivent être données, à eux qui s’opposent, au quotidien, à celles et ceux qui, de manière répétée, semblent faire fi des effets de leurs propres actions sur leurs vies. Qu’il s’agisse de politiques, d’affairistes sénégalais ou d’entrepreneurs maladroits ou sans scrupules de notre pays.
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