Les belles histoires de l’agriculture familiale

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Djeneba Diarra, une agricultrice malienne, dans sa ferme d’Heremakono (Photo : Joe Penney/Reuters)

Éditorial de GRAIN publié par Reuters. (Traduction de GRAIN; English version)

Reuters | 7 novembre 2014

Les Nations Unies ont déclaré 2014 l’Année internationale de l’agriculture familiale. Dans le cadre des célébrations, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a publié son rapport annuel sur la “Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture”. Selon la FAO, les exploitations familiales occupent entre 70 et 80 pour cent des terres agricoles mondiales et produisent 80 pour cent de l’alimentation mondiale.

Mais sur le terrain, que ce soit au Kenya, au Brésil, en Chine ou en Espagne, les populations rurales sont marginalisées et menacées, déplacées, battues, voire assassinées par divers acteurs puissants qui convoitent leurs terres.

Une étude complète récemment publiée par GRAIN estime, après avoir examiné les données mondiales, que ce sont les petits agriculteurs qui nourrissent la planète, alors qu’ils n’occupent que 24 pour cent des terres agricoles, ou 17 pour cent si l’on exclut la Chine et l’Inde. Le rapport de GRAIN montre également que cette superficie ne cesse de s’amenuiser.

Comment la FAO peut-elle donc prétendre que les fermes familiales occupent 70 à 80 pour cent des terres agricoles mondiales ? Dans le même rapport, la FAO affirme que seulement 1 pour cent de toutes les exploitations agricoles mondiales ont une superficie supérieure à 50 hectares et que ces quelques exploitations contrôlent 65 pour cent de la superficie agricole mondiale, un chiffre nettement plus proche des résultats présentés par GRAIN.

La confusion provient de la manière dont la FAO se sert du concept d’agriculture familiale, qu’elle définit grosso modo comme toute exploitation gérée par un individu ou une famille (Elle admet d’ailleurs qu’il n’existe pas de définition précise. De nombreux pays, comme le Mali, ont leur propre définition.)

C’est ainsi qu’une énorme exploitation industrielle de soja, située dans la campagne argentine et dont la famille propriétaire vit à Buenos Aires, est comprise dans les « exploitations agricoles familiales » de la FAO. Et que dire l’Hacienda Luisita, un domaine en constante expansion, qui appartient à la puissante famille philippine des Cojuanco et se trouve depuis des dizaines d’années à l’épicentre de la lutte des Philippins pour la réforme agraire ? Peut-on parler dans ce cas d’exploitation familiale ?

Se fonder sur la propriété pour décider ce qu’est ou non une exploitation familiale masque les inégalités, les injustices et les combats dans lesquels sont plongés les paysans et les autres petits producteurs alimentaires dans le monde.

Cela permet à la FAO de peindre un tableau idyllique et d’ignorer, comme par hasard, le facteur peut-être le plus crucial affectant la capacité des petits paysans à produire de la nourriture : le manque d’accès à la terre. La FAO préfère centrer son message sur la nécessité pour les agriculteurs familiaux d’innover et d’améliorer leur productivité.

Toute une série de facteurs se combinent pour réduire toujours plus l’accès des petits producteurs alimentaires à la terre. Prenons deux exemples : la pression démographique qui provoque la division des fermes entre les membres de la famille, et l’expansion vertigineuse des plantations de monoculture.

Au cours des 50 dernières années, quatre cultures industrielles, le soja, le palmier à huile, le colza et la canne à sucre, se sont emparés de 140 millions d’hectares, un chiffre absolument stupéfiant. Et cette tendance s’accélère.

Les experts prédisent que dans les prochaines décennies, la surface mondiale occupée par les plantations de palmiers à huile va doubler, tandis que celle du soja augmentera d’un tiers. Mais ces cultures ne nourrissent pas les gens. Elles ne servent qu’à nourrir le complexe agroindustriel.

D’autres pressions chassent les petits producteurs alimentaires de leurs terres, en particulier l’incontrôlable fléau de l’accaparement des terres à grande échelle par les grandes entreprises. Rien que dans les dernières années, la Banque mondiale admet que quelque 60 millions d’hectares de terres agricoles fertiles ont été loués sur la base de baux à long terme, à des investisseurs étrangers et aux élites locales, dans les pays du Sud principalement.

Si certaines de ces transactions sont destinées à la production d’énergie, une grande partie prend la place de la production familiale, pour fournir des denrées alimentaires au marché international.

La petite échelle, ça marche mieux

Le paradoxe, toutefois, et aussi l’une des raisons pour lesquelles les petits producteurs nourrissent la planète tout occupant si peu de terres, est que les petites fermes sont souvent plus productives que les grandes.

Si les rendements des grandes exploitations du Kenya égalaient ceux des petits paysans, le rendement agricole du pays en serait doublé. En Amérique centrale, la production alimentaire de la région serait multipliée par trois. Et si les grandes fermes russes étaient aussi productives que les petites, le rendement du pays serait multiplié par six.

Une autre raison qui explique pourquoi les petits paysans nourrissent la planète est qu’ils font de la production alimentaire une priorité. Ils ont tendance à se concentrer sur les marchés locaux et nationaux et sur leur propre famille. En réalité, une grande partie de leur production n’entre pas dans les statistiques commerciales, mais elle touche ceux qui en ont le plus besoin : les pauvres en milieu rural et urbain.

Si les phénomènes actuels de concentration des terres se poursuivent, les petits paysans pourront bien travailler dur, être aussi efficaces et productifs que possible, ils ne seront tout simplement pas en mesure de continuer. Les données montrent que la concentration des terres agricoles entre les mains d’une minorité toujours plus réduite est directement liée à l’augmentation du nombre de personnes souffrant quotidiennement de la faim.

Selon une étude de l’ONU, les mesures soutenant activement les petits producteurs et les méthodes agroécologiques pourraient assurer un doublement de la production alimentaire mondiale d’ici dix ans et permettre aux petits paysans de continuer à produire et utiliser la biodiversité, à maintenir les écosystèmes et les économies locales, tout en multipliant les véritables opportunités d’emploi et en renforçant la cohésion sociale dans les zones rurales.

Les réformes agraires peuvent et doivent servir de tremplin pour que l’agriculture puisse prendre cette voie.

Les experts et les agences de développement n’arrêtent pas de dire qu’il faut doubler la production alimentaire dans les décennies à venir. Pour ce faire, ils recommandent généralement une combinaison de libéralisation du commerce et de l’investissement, assaisonnée de nouvelles technologies.

Mais ce choix ne fera qu’exacerber encore le pouvoir des grandes entreprises et créer davantage d’inégalités. La véritable solution est de confier le contrôle et les ressources aux petits producteurs eux-mêmes et de mettre en place des politiques agricoles qui les soutiennent.

Le message est clair : Nous devons de toute urgence rendre les terres aux petits paysans et donner au combat pour une réforme agraire authentique et complète un rôle central dans les luttes pour l’amélioration des systèmes alimentaires mondiaux.

L’intérêt de la FAO pour l’agriculture familiale manque de conviction. Il ne fait qu’ajouter à la confusion sur la question, tout en évitant de soulever les vraies questions.

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