Bolloré en Afrique, la saga judiciaire

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Survie | Publié le 14 novembre 2013 (rédigé le 2 novembre 2013)

Bolloré en Afrique, la saga judiciaire

par Alice Primo

Le groupe Bolloré, expert patenté des poursuites en diffamation et autres intimidations permettant de bâillonner toute critique, alimente à nouveau l’actualité judiciaire. Mais, cette fois-ci, pas uniquement à son profit.

On connaît le goût prononcé du groupe Bolloré pour les poursuites en diffamation contre les rares voix qui osent critiquer ses activités, notamment en Afrique (Billets n°205 et 220, septembre 2011 et janvier 2013). Mais l’intimidation peut passer par d’autres formes, comme l’usage quasi systématique du droit de réponse (notamment auprès de Billets d’Afrique, en juillet puis en août 2010).

Et cela est valable aussi sur le continent africain : le journal camerounais « Le Quotidien de l’économie » avait par exemple dû publier, le 2 avril dernier, un droit de réponse de la direction générale de la Socapalm, contrôlée par le groupe Bolloré. Cette réaction à un article publié un mois plus tôt et qui contenait selon le producteur industriel d’huile de palme de « graves accusations » sur l’accaparement de terres et les conflits avec les riverains, se concluait en mettant en garde contre la divulgation d’«  accusations sans fondement, et qui pourraient valoir à leurs auteurs des poursuites pénales, pour diffamation ». Dans un pays où la justice est aussi incorruptible et impartiale que le régime est démocratique, cela fait évidemment réfléchir.

En France, la liste de journalistes poursuivis par Bolloré depuis 4 ans ne cesse de s’allonger : Benoît Collombat et France Inter, sur toutes les activités de Bolloré au Cameroun ; la photographe Isabelle Alexandra Ricq, sur Socapalm ; Benoît Collombat (encore !), David Servenay et Rue 89, sur Socapalm ; Fanny Pigeaud et Libération, sur Socapalm ; et depuis cet été, Ivan du Roy, Agnès Rousseaux, Nadia Djebali et Bastamag sur l’accaparement des terres entre autres par Socapalm, ainsi que Rue 89 (encore !) qui avait signalé cet article sur son propre site. Bolloré prétend désenclaver l’Afrique, mais n’hésite pas à encombrer les tribunaux.

Bâillonnez au canon !

Ces poursuites-bâillons, ou SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation), ne visent pas que des journalistes, dont les rédactions sont par ailleurs toujours peu enclines à s’en prendre à un annonceur aussi important que Bolloré, qui contrôle entre autres le groupe de pub Havas. Des ONG ont aussi ses faveurs judiciaires : ainsi l’association française Sherpa, suite à une procédure initiée fin 2010 avec une ONG allemande et de deux ONG camerounaises auprès de l’OCDE sur les manquements de Socapalm aux « principes directeurs » édictés par cette institution libérale vis-à-vis des multinationales. Mais pour faire bonne mesure dans le cadre de la concertation ouverte avec Sherpa sous l’égide de l’OCDE, le groupe Bolloré a finalement retiré sa plainte.

Pas question de reculer, en revanche, vis-à-vis de l’ONG Green Scenery, au Sierra Leone : elle est également poursuivie en diffamation devant la justice sierra-leonaise, pour un rapport très critique publié en mai 2011 sur un projet de plantation de palmiers à huile. Elle y dénonçait l’octroi par le gouvernement, dans des conditions opaques, de 6500 ha (pourtant utilisés par 9000 agriculteurs de 40 villages) à une filiale locale de la holding financière SOCFIN, enregistrée au Luxembourg et contrôlée par Bolloré et l’homme d’affaires belge Hubert Fabri. Un cas d’intimidation de plus, selon un responsable du réseau international GRAIN, qui déclarait dans une tribune cosignée par 12 ONG le 3 juin dernier : « Des pratiques similaires par des filiales de la SOCFIN ont été signalées ces dernières années au Cambodge, au Cameroun et au Libéria où Bolloré ou SOCFIN ont utilisé la menace de poursuites judiciaires contre les ONG et les médias pour faire taire les critiques ».

Mais au Sierra Leone, la contestation se poursuit, il faut donc sortir l’artillerie lourde : 5 membres d’une association de villageois mobilisés pour récupérer leur foncier (la « Malen Affected Land Owners Association », MALOA) ont été arrêtés les 7 et 16 octobre, et seront jugés le 15 novembre. Il leur est reproché d’avoir détruit des palmiers de la plantation, sur la base d’une plainte de la filiale de SOCFIN et d’un étrange témoignage : un motard affirmant avoir vu un groupe de personnes dans la plantation en pleine nuit, mais sans pouvoir identifier aucune d’elles.

Dans le box des accusés

Mais Bolloré ou ses complices se retrouvent parfois du côté des accusés. La société et sa filiale Bolloré Africa Logistics, n°1 de la concession portuaire en Afrique, étaient accusées depuis octobre 2011 par son (petit) concurrent français Necotrans de «  concurrence déloyale » et de « s’être rendues complices de la violation par l’Etat [guinéen] de ses engagements contractuels » pour la gestion du port de Conakry. Necotrans, qui avait obtenu le marché de concession portuaire et déclare avoir déjà investi 30 millions d’euros dans des aménagements, a été écarté en 2011 par le nouveau président fraîchement élu, Alpha Condé, au profit de Bolloré. En dédommagement, il réclamait 100 millions d’euros au nouveau concessionnaire : le tribunal de Nanterre, peu convaincu de la responsabilité de Bolloré, qui utilise désormais pour son compte les investissements de son concurrent, ne l’a condamné à lui verser que 2,1 millions d’euros (Le Monde, 10/10). Bolloré, perdant sur le papier, sort largement vainqueur ! Quant à l’accusation de Necotrans selon laquelle Bolloré aurait «  financé la campagne électorale d’Alpha Condé » grâce à l’agence de communication Euro RSCG qu’il contrôle, l’enquête ouverte par le parquet français a déjà été classée sans suite.

Mais la tempête judiciaire pourrait venir de Belgique, dont la presse vient de révéler la mise en examen d’Hubert Fabri, qui détient avec Vincent Bolloré la holding luxembourgeoise SOCFIN... et une pléiade de sociétés, dont nombre d’entre elles, basées dans des paradis fiscaux, ont tout de sociétés écran. Cette constellation d’entités juridiques distinctes a amené la justice belge à lancer des commissions rogatoires en France, au Luxembourg en Suisse, au Liechtenstein et à Guernesey.

Comme le détaille Mediapart (18/10), l’homme d’affaires belge, qui dirige avec Vincent Bolloré un vaste empire de plantations industrielles et siège au conseil d’administration de son groupe, est inculpé d’évasion fiscale, faux bilans et blanchiment... dans la gestion de ces sociétés que Bolloré contrôle indirectement, en tant que premier actionnaire de la holding faîtière (38,7 % du capital), la fameuse SOCFIN.

La réponse que donnera la haute cour fédérale suisse à la demande de coopération de la justice belge pourrait être déterminante pour la suite de ce qui, enfin, ressemble à une véritable affaire judiciaire...

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