Momath Bâ, directeur des opérations de Senéthanol : « Si le projet était arrêté, ce serait dommage pour Fanaye»

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Wal Fadjri | 3 novembre 2011

Momath Bâ, directeur des opérations de Senéthanol : « Si le projet était arrêté, ce serait dommage pour Fanaye»

Propos recueillis par Abou KANE

Il a mal quand il entend des personnes parler de délocalisation du projet qui devait être implanté à Fanaye vers d’autres endroits.Si le directeur des opérations de Senéthanol est habité par ce sentiment, c’est à cause de la valeur ajoutée qui pourrait, le cas échéant, filer entre les doigts des populations locales.Par ailleurs,outre les avantages économiques, Momath Bâ revient pour Walf sur les effets sociaux que le projet pourrait induire.

Wal Fadjri : C’est quoi Senhuiles-Senéthanol ?

Momath Bâ : Ce sont deux sociétés appartenant au même groupe : Senhuile, c’est pour faire de l’huile de tournesol et Senéthanol, c’est pour produire du bioéthanol. L’idée de la production de bioéthanol est venue bien évidemment avec la crise pétrolière et de l’appel du chef de l’Etat pour, disons, inciter des nationaux et également donc des capitaux étrangers à investir au niveau du Sénégal pour produire du bioéthanol. Dans un premier temps, il était décidé d’utiliser de la patate douce. Mais, l’on s’est très vite aperçu qu’il y avait des problèmes avec des organismes comme la Fao, notamment dans le mélange entre les produits alimentaires et le biocarburant. Aussitôt, on s’est tourné vers une autre opportunité, notamment l’huile de tournesol qui a la possibilité de créer la valeur ajoutée avec une exploitation de graines de tournesol pour faire de l’huile et l’utilisation du restant de la plante pour faire du bioéthanol.

Une semaine après les évènements tragiques de Fanaye, quels sont les sentiments qui animent le responsable de Senéthanol que vous êtes ?

C’est un sentiment de désolation et de tristesse. Vraiment, un projet de création d’emplois et pour faire un investissement pour le Fouta ne devait pas connaître l’aboutissement que nous avons connu. D’abord, on s’incline auprès des familles des victimes. Nous sommes aujourd’hui très préoccupés et je pense qu’on doit se tourner vers l’apaisement des cœurs, vers surtout la concorde sociale et vers une compréhension mutuelle. C’est cela qui m’anime aujourd’hui et c’est ce qui habite, d’ailleurs, tous les responsables du projet et nous tendons nos bras à toutes les familles des victimes. Il y a eu incompréhension. C’est pourquoi, nous voudrions parler à tout un chacun qui voudrait bien nous écouter pour qu’on puisse se comprendre mutuellement. Il faut, quand même, préciser que ces éléments-là ne se sont pas produits au niveau du projet, mais en dehors, lors d’une orientation budgétaire. Donc, c’est pour bien préciser qu’on ne se voit pas totalement à l’extérieur. Mais, de façon directe, j’avoue que ce n’était pas Senhuile et Senethanol qui étaient visés ou concernés dans cette affaire de meurtre.

Pensez-vous qu’on pouvait faire l’économie de ces affrontements meurtriers ?

Je pense que c’est aux acteurs directs qu’il faudrait poser la question. En ce qui nous concerne, on pense qu’il est toujours possible d’éviter la violence dans toute action de la vie. C’était évitable et je pense que, au niveau des acteurs principaux, il faut renouer le dialogue pour éviter pareilles situations.

D’aucuns pensent que vous avez péché dans l’approche en n’impliquant pas les populations locales…

Je pense que ce serait nous faire un mauvais procès. Ce que je peux dire, c’est que, en tant qu’investisseurs, nous avons fait ce que nous devions faire. Au niveau des services de l’Etat, également, nous avons noué le dialogue avec les populations à travers la tutelle qu’était la communauté rurale ainsi que les autres services administratifs. Je me rappelle bien que, quand je suis venu, j’ai fait le tour de toutes les localités pour saluer et discuter avec tout le monde : la jeunesse et même les groupes d’opposants. Je suis fréquemment allé à leurs réunions pour leur dire que nous étions prêts à nous ouvrir à eux et à leur demander toutes choses qui pourraient, peut-être, les déranger pour voir, ensemble, comment y remédier. Mais, il faut dire que la situation est un peu difficile et je pense qu’il y a des choses qui ne sont pas forcément liées au projet de façon directe.

Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet, notamment son processus d’implantation à Fanaye ?

Par rapport au processus, bien évidemment avec l’autorisation de mettre le projet au Sénégal, les bailleurs ont fondé les sociétés comme je l’ai dit. La démarche a été de passer par l’Apix. C’est moi-même qui ai conduit les documents de demande d’agrément au niveau de l’Apix. Cela a pris quelque temps. On nous a demandé encore quelques autres documents qu’on s’est évertué à nous procurer. Egalement, au niveau du site, il y a eu un travail avec la communauté rurale pour la délibération des terres. Ce qui a été fait et obtenu et nous avons eu le quitus du conseil régional, du service des Eaux et Forêts, etc. Nous avons même signé un protocole d’accord avec le ministère de l’Agriculture à travers, bien sûr, l’Isra. Donc, nous avons touché l’ensemble des services concernés. Et c’est cette démarche-là que nous avons entreprise dès le départ pour l’installation du projet. Bien évidemment, il y a eu une petite modification au niveau de l’étude d’impact que nous sommes en train de réactualiser avec les services compétents dans ce domaine. Mais, je pense que, dans quelques jours, ce sera fait.

Quels sont les axes majeurs de ce projet ?

Déjà, il y a la production de graines de tournesol qui vont être exportées avec une cadence de 550 tonnes par jour. C’est l’équivalent d’un bateau par mois pour le Sénégal. C’est une rentrée de devises très importante pour le pays. L’autre aspect, c’est l’utilisation de la main-d’œuvre locale autour de 2 500 personnes au niveau de Fanaye. Pas des ouvriers agricoles seulement. Il y a toutes les composantes d’une chaîne agro-industrielle. Egalement, au niveau du port de Dakar, pour l’activité d’exportation, il y a l’utilisation de 1000 personnes quasiment pour faire les bateaux. Ça, c’est la dimension main-d’œuvre avec tout ce que cela implique comme sociétés qui vont venir aussi accompagner le projet. Donc, il y a la production de bioéthanol qui nécessitera l’installation d’une usine qui, dès les premières récoltes, se mettra en place pour la production de bioéthanol.

Ceci nous permettra d’être autonome du point de vue électrique, de fournir notre propre carburant pour les équipements, c'est-à-dire les tracteurs, tous les engins agricoles qui sont assez importants et assez puissants. En plus de cela, l’excédent pourrait, bien évidemment, aider le Sénégal dans la lutte contre les hausses du pétrole et, également, la production de l’énergie électrique. Il y a d’autres aspects non moins importants et peut-être même plus importants. C’est l’aspect d’irrigation : amener de l’eau à 7 km dans la zone du Diéri qui est aride pour permettre de verdir l’espace notamment en faisant bien sûr notre culture, mais en permettant à l’ensemble des villages qui ne seront pas du tout dérangés de faire leur agriculture et de bien s’occuper de leur bétail. Nous allons mettre en place des cultures fourragères et donc irrigués qui permettront au bétail d’avoir de l’herbe 365 jours dans l’année à la place des quatre mois actuellement.

En plus de cela, nous allons mettre en place, dans la chaîne des synergies, une unité industrielle de production de dérivés de l’élevage, notamment du beurre, du fromage, mais également, de la viande pour permettre aux populations d’avoir des débouchés. Je pense que ce sont des choses importantes qui permettront aux populations d’avoir deux possibilités : s’adresser aux débouchés ou bien continuer leur méthode d’élevage historiquement encré ; ce sera leur choix. Il y a également que nous allons faire avec l’irrigation de l’eau des bassins de rétention pour les abreuvoirs du bétail. Il y aura également des cultures fourragères mais aussi de production d’aliments de bétail par le résidu de la plante. Egalement, on aura une production d’algues pour l’aliment de bétail. (…) Voilà, en gros, les axes.

ll y a aussi des axes qui sont sociaux. Nous avons, pour l’instant, un budget de 800 millions de francs pour aider les populations locales et aider la communauté rurale, à travers un comité de gestion de ce budget, pour faire des écoles, des classes, des cases de santé ou des centres de santé. Mais, pour également faire des forages. Nous avons déjà fait les sondages sur tout le périmètre et nous nous sommes rendu compte que nous sommes dans une zone qui a des difficultés parce que l’eau y est saumâtre en partie. Nous allons aider les populations à avoir de l’eau potable. Nous envisageons d’autres activités pour la jeunesse, notamment des terrains de football et d’autres possibilités.

Où en étiez-vous dans la mise en place de ce projet-là ?

Pour le projet lui-même, nous étions dans la phase de nettoyage des terres. Le matériel agricole est à 80 % arrivé. Les tracteurs, semoirs, semences et fertilisants sont tous parqués à Dimatt. On était en train de nettoyer les terres puisqu’on a emblavé à peu près 3 000 hectares. On avait donc commencé les 5 000 premiers hectares. Il y a également que nous sommes en train de construire une cité de 52 logements pour nos cadres plus des villas qui sont à mi-parcours sans compter les ateliers pour l’entretien de nos machines. On était également en train de faire le programme d’irrigation puisque les pompes sont arrivées mais les titriers ne sont pas encore là. Du point de vue social, on avait commencé mais timidement. Il y a des personnes qui sont parties à la Mecque. On était en train aussi de faire une classe à Houliot parce que, quand nous avons fait la visite, on s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose à faire en urgence. Aujourd’hui, Dimat est relié à cette localité par une grande piste de huit mètres de large. C'est-à-dire, au kilomètre zéro du champ, on a fait une piste de huit mètres de large sur neuf kilomètres. Egalement, nous avons relié Thiangaye à Bingol Sèno par une piste de huit mètres de large. On était en train de préparer la mise en place de latérite. Aussi, Bollel Bogol a été relié à la nationale par une piste de dix-huit km.

Suite aux évènements de Fanaye, le gouvernement a décidé de suspendre vos activités. Quelle lecture faites-vous de la mesure ?

Je pense que nous avons fait tout ce qu’on devait faire. Le gouvernement, s’il a décidé de faire une action, nous, nous ne pouvons qu’attendre. Parce que, quand même, nous sommes des Républicains, nous sommes venus ici pour investir, créer des emplois, créer de la valeur ajoutée pour la nation, donc pour le Sénégal. Si le gouvernement du Sénégal juge qu’il faudrait attendre et revoir de nouveau la chose, nous restons à l’écoute. On n’a pas d’autres commentaires à faire, à part que nous n’attendons que les directives gouvernementales.

Etes-vous aujourd’hui optimiste quant à une résolution rapide de cet épineux problème de gestion foncière ?

Je pense qu’on n’a jamais assez dialogué dans la vie. Le dialogue va se rétablir.

Aujourd’hui, d’aucuns parlent même de délocalisation du projet…

Je pense que ce serait très dommage pour Fanaye. Le promoteur principal a eu des considérations pour cette communauté rurale-là. Le projet n’est pas près du fleuve. On est allé loin dans le Diéri, dans la zone la plus difficile. Certainement qu’il y a aussi cet aspect de développement et de challenge, mais aussi le défi de faire quelque chose qui n’est pas facile. Alors, aujourd’hui, je pense que les gens vont regarder de plus près. On a créé des emplois. Ce mois-ci, j’y étais et on a payé plus de 900 personnes avec des salaires assez corrects puisque le plus petit ouvrier a eu 4 mille francs par jour. C’est presque le double de ce qui se pratique. C’est 60 mille voire même 150 mille francs que ces gens-là ont gagnés par mois. C’est vérifiable au niveau de nos fichiers sur place. Le projet fera 2500 travailleurs, il n’y a que deux à trois étrangers. Tout le reste, ce sont des Sénégalais. Je pense que ce serait quand même dommage pour la zone que j’ai vue et que j’ai pratiquée de perdre cette opportunité. Parce que, en fait, c’est vrai qu’il y a une dimension sylvo-pastorale. Mais, le projet aurait même créé des couloirs pour le bétail. Donc, il pouvait y avoir une cohabitation économique avec ce qui se fait. Economiquement, le Sénégal avait intérêt à créer 2 500 emplois plus les 1000 autres qui vont arriver. En tout cas, moi j’en appelle à la concertation, au dialogue en tant qu’ingénieur, expert industriel aussi. Il y a beaucoup de terres qui ne sont pas vertes et qui sont inoccupées. Il n’y en a qu’en Afrique et l’Afrique doit saisir cette opportunité d’utiliser ces richesses qui sont là et les mettre en valeur.

En termes financiers, quel est le coût total des investissements que vous avez mis dans ce projet-là

Le projet, c’est 100 milliards. En ce qui nous concerne, nous avons injecté à Fanaye presque 15 milliards pour le moment. Il y a des possibilités puisque ça peut être compensé si on était près du fleuve. Le promoteur a peut-être cherché à faire quelque chose de difficile et à aider plus. Mais, si on était plus près du fleuve, peut-être qu’on allait compenser un milliard. Parce que, déjà, rien que pour amener l’eau là-bas, ce sont plus de 2 milliards dépensés. Ce n’est pas donc un projet facile dans une zone facile. Et je pense que, ce que nous avons investi, on peut rebondir avec si on nous demande de délocaliser. Mais, ce serait dommage pour la zone.

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