Accaparement des terres et aménagement du territoire, selon Franck Ndjimbi

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Franck Ndjimbi, consultant en gestion des ressources naturelles, ancien directeur de la valorisation et de la communication à l’Agence nationale des parcs nationaux - Gabonreview.com
Gabon Review | vendredi 07 décembre 2012

Accaparement des terres et aménagement du territoire, selon Franck Ndjimbi

Publié par Désiré-Clitandre Dzonteu

En marge d’un atelier récemment animé pour le compte de Brainforest, Franck Ndjimbi, consultant en gestion des ressources naturelles, ancien directeur de la valorisation et de la communication à l’Agence nationale des parcs nationaux, a été interviewé sur la sécurisation du foncier rural au Gabon, l’aménagement du territoire, l’accaparement des terres… Bref, les questions foncières mises en exergue ces derniers temps par l’agriculture industrielle extensive.

Gabonreview : Vous avez animé dernièrement un atelier sur les questions foncières. De quoi s’est-il agi réellement ?

Franck Ndjimbi : Cet atelier organisé à l’adresse de la société civile environnementale gabonaise par Brainforest faisait suite à une étude que nous avons menée pour Forest European Research Network (Fern) et la World Rainforest Movement (WRM) sur les impacts des agro-industries sur les populations locales du Gabon. De cette étude, nous avons sorti les aspects fonciers, qui reposent essentiellement sur le mécanisme qui a conduit l’État gabonais à attribuer de grandes superficies de terre à des multinationales agroindustrielles telles qu’Olam et Siat.

Dans le cadre du projet d’hévéaculture d’Olam dans le Woleu-Ntem, on a assisté à une opposition entre la législation brandie par les autorités et les pratiques coutumières. Etions-nous là dans un cas d’insécurité foncière ?

Oui, nous sommes bel et bien là dans un cas d’insécurité foncière. Mais, la question va bien au-delà. Nous pensons, toute analyse faite, que dans le cas qui nous concerne, nous sommes moins dans une logique d’investissement direct étranger que dans une logique d’accaparement des terres. Au-delà du conflit entre droit positif et droit traditionnel sur la question foncière, la vraie question est celle du processus d’attribution des terres, qui semble s’être affranchie aussi bien des lois nationales que des pratiques coutumières. Au total, tout ceci crée une situation en contradiction totale avec le mode de vie des populations et leurs droits fonciers légitimes.

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Maraîchage à Libreville - D.R.
Qu’entend-on par insécurité foncière ?

L’insécurité foncière c’est ce qui s’est manifesté par ces mouvements qu’on a eu en Amérique latine et qu’on a appelé le «Mouvement des paysans sans terre». On se souvient tous du combat des gens comme Chico Mendes. L’insécurité foncière concerne des populations qui occupent des villages depuis des siècles et exploitent des terres dont ils ne sont pas propriétaires du fait de l’érection de la propriété étatique en régime de droit commun. Ce qu’il faut bien se dire, c’est que quand l’Etat s’attribue l’exclusivité de la gestion des terres, c’est une logique domaniale qui procède d’une volonté de domination. Cette logique-là est celle qui a prévalu durant la colonisation.

Malheureusement, les lois africaines en matière foncière sont restées trop frappées par la logique coloniale qui voulait que les populations ne soient pas propriétaires de leurs terres. Or, au Gabon par exemple, les populations préexistent à l’État. Les populations occupent en effet les terres avant la naissance de l’État gabonais en 1960. L’Etat gabonais ne saurait donc valablement continuer à nier que les populations ont des droits fonciers légitimes. Il s’agit donc aujourd’hui de réfléchir aux voies et moyens de les reconnaître d’abord puis de sécuriser ces droits fonciers légitimes afin que les populations puissent réellement continuer à maintenir leurs activités et à entretenir leurs modes de vie traditionnels.

Des réformes sur les lois foncières qui prenaient en compte l’agriculture ont été entamées il y a quelques années. A quel niveau se situent-elles aujourd’hui ?

En 2008 il était question des lois 22 et 23/2008 qui réglementent la question agricole au Gabon. Ces deux lois prévoient la mise en place de zones agricoles protégées. Mais elles n’ont jamais eu leurs décrets d’application signés et les zones agricoles protégées n’ont jamais été identifiées ou classées.

Du reste, à ce jour, il n’existe pas de schéma d’aménagement du territoire au Gabon. La dernière tentative d’élaboration d’un schéma d’aménagement du territoire, aussi loin que l’on se souvienne, date des années 70. Et la dernière grande initiative d’aménagement du territoire est la reprise des fêtes tournantes de l’Indépendance. Il n’y a donc toujours pas de schéma d’aménagement du territoire qui définit précisément des zones et les affecte à des usages précis. Et c’est d’ailleurs sur cette absence clairement énoncée que certaines multinationales surfent pour parvenir à la conversion de forêts domaniales enregistrées en terres agricoles et donc à un changement d’affectation.

En effet, les terres attribuées appartiennent au domaine forestier national, que ce soit le domaine forestier permanent ou le domaine forestier rural. Quand elles relèvent du domaine permanent, ces terres ont vocation à être des forêts de production. Quand elles sont situées dans le domaine rural, elles sont multi-usages et ont vocation à servir pour l’agriculture de subsistance, accueillir les villages, les infrastructures… Bref à accueillir toutes les autres activités humaines.

On se rend donc compte qu’il n’y a pas d’espace réellement réservé, sur le massif forestier gabonais, à l’agriculture industrielle. On est là dans un mécanisme de conversion des forêts, de changement d’affectation des forêts pour en faire des terres agricoles. C’est l’un des premiers critères pour reconnaître le phénomène d’accaparement des terres. L’autre critère est la volonté de se soustraire ou de s’affranchir de toutes les lois nationales. Le troisième critère c’est la propension des multinationales à s’acoquiner avec la nomenklatura locale et même souvent à l’inclure dans le capital des entités. Derrière tout ça, il y a des risques de spéculation foncière, de réduction des terroirs villageois avec en prime des conflits fonciers et sociaux. Au-delà, il y a la question de la confiscation des ressources en eau.

En effet, la loi domaniale gabonaise consacre le principe de domanialité public des ressources en eau. De ce fait, elles sont incessibles, inaliénables. En utilisant la loi forestière comme fondement juridique du processus d’attribution des terres on soustrait les ressources en eau de la logique domaniale pour en faire une ressource comme une autre, soumise aux principes de gestion durable et d’aménagement. Or, dans le même temps, on convertit les forêts considérées en terres agricoles. Du coup les principes d’aménagement et de gestion durable ne s’appliquent plus. Ainsi, comme par un tour de passe-passe, toutes les précautions juridiques liées à la gestion des ressources en eau sautent.

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Ceci est de la théorie. Est-ce que dans les faits, au Gabon, on a observé des multinationales qui se placent dans un processus d’accaparement des terres ou des eaux ?

Il vous souviendra que dans un mémorandum adressé aussi bien à la puissance publique qu’à l’opérateur, les communautés des zones impactées par le projet d’hévéaculture dans le Woleu-Ntem accusaient Olam d’être dans un processus d’accaparement des terres. Cette accusation se fonde sur un certain nombre d’observations. La première est liée à l’indisponibilité du contrat qui lie Olam à l’État gabonais. Ce contrat est une arlésienne dont tout le monde entend parler, sans jamais la voir. Personne ne peut donc dire exactement quelles sont les conditions d’installation d’Olam au Gabon. Est-ce que, dans ce contrat, Olam est assujetti à toutes les lois gabonaises, que ce soit le code du travail ou le code des impôts ? Est-ce qu’Olam n’est pas dispensé ou exonéré du respect de certaines normes gabonaises ? On se souviendra que dans certains cas, comme celui d’Héraclès au Cameroun, le contrat donnait à ce mastodonte la latitude de s’affranchir de toutes les lois à l’exception de la Constitution camerounaise. On est donc fondés à nous demander si ce n’est pas le cas chez nous. Pourquoi le contrat n’est-il pas visible ? Pourquoi un tel mystère autour de ce contrat ?

Deuxième inquiétude : au regard des engagements internationaux du Gabon en matière de protection de la diversité biologique il y a de quoi s’inquiéter car, avec le phénomène de conversion des forêts en terres agricoles on assiste à une déforestation massive, à des coupes à blanc rarement observées chez nous et qui participent d’une logique de fragmentation forestière et est la résultante d’un changement d’affectation de ces terres. Disons-le définitivement : le changement d’affectation d’une terre indique que l’option retenue correspond plus à la stratégie de l’investisseur qu’à la mise en œuvre d’une politique publique. On n’aurait pas eu besoin de changer de type d’utilisation de la terre si ça correspondait à une politique nationale car, en amont, on aurait procédé aux affectations appropriées.

Que l’on sache, les stratégies des multinationales ne sont pas les stratégies des États. On a également noté là-dedans qu’Olam évoque son intention de mettre en œuvre le Clip (Consentement libre informé préalable) qui est une disposition du droit international résultant de la Convention 169 de l’OIT sur la protection des peuples indigènes et tribaux. Olam effectue le Clip mais en aval, après que la concession lui ait été attribuée. Or, le Clip et toutes les consultations publiques auraient dû être menés en amont, avant l’attribution de la concession. Et, le point de vue des populations aurait dû être déterminant.

En réalité le droit d’occupation et d’utilisation des sols par Olam n’est pas juridiquement prouvé puisque c’est le ministère des Forêts qui leur a attribué des permis d’exploration. Ces permis d’exploration devaient donner lieu à une évaluation de la ressource. Les rapports d’évaluation sont invisibles à ce jour et si d’aventure ils sont disponibles quelque part, on notera que leurs conclusions n’ont en rien permis de motiver la décision de la puissance publique. Comment est-on passé d’un permis d’exploration à une occupation du sol ? Comment en est-on arrivé là ? On déduit tout de suite qu’il y a eu des accords politiques, à un très haut niveau, qui ne se sont conformés ni aux lois nationales, ni à la stratégie nationale, ni aux normes scientifiques.

On indexe régulièrement les multinationales et Olam en particulier. Quel intérêt un État aurait-il à contourner ses lois ? Qu’avez-vous à dire de l’attitude de l’État gabonais au regard de tous ces faits?

Généralement, les États sont représentés par des personnes physiques qui ont des intérêts qu’ils mettent en avant. A l’expérience, on remarque qu’il y a comme une connivence manifeste entre la présidence de la République et Olam. Les motivations de cette relation particulière revendiquée et assumée entre Olam et la présidence de la République suscitent des doutes. Pourquoi cette multinationale ne s’affiche-t-elle pas plutôt avec le ministère de l’Agriculture ? Pourquoi cette volonté d’apparaître comme une entité relevant de la présidence de la République ?

Par ailleurs, dans le Plan stratégique Gabon émergent, il est clairement fait mention que le développement de l’hévéa et du palmier à huile au Gabon incombe à Olam et SIAT. Depuis quand un État mentionne des privés étrangers dans ses documents de politique ? Le Gabon est libre de développer le palmier à huile et l’hévéa. Mais, dans ce cas, il doit le dire, rédiger des cahiers de charge et se lancer dans un processus d’adjudication pour choisir le concessionnaire. Inscrire les noms d’entreprises privées dans des documents de politiques publiques laissent songeur. Ici j’interroge le sens réel et profond de cet état de fait.

Avez-vous des cas manifestes où Olam s’affiche avec la Présidence de la République ?

Aujourd’hui, il est de notoriété publique, y compris dans les villages du Gabon, qu’Olam, c’est la présidence de la République. Personnellement j’ai été aussi bien dans la région de Bitam/Minvoul qu’à Mouila et Kango. J’y ai rencontré des villageois. Partout on ma dit la même chose, à savoir : «Olam c’est la présidence de la République». En conversant avec les populations, on sent qu’elles ont peur, qu’elles sont résignées parce que, disent-elles, quoi qu’elles fassent, quoi qu’elles disent, la présidence de la République va leur imposer ce projet.

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Exploitation forestière - D.R.
Y a-t-il des discussions en cours sur le plan international qui concernent le besoin de conserver nos forêts et l’impératif de développement qui oblige à la déforestation? Autrement dit quelle proportion de forêt peut-on sacrifier pour justifier le développement du Gabon.

Il y a tous les mécanismes qui sont issus de trois conventions de Rio 92 : Convention sur la diversité biologique, Convention sur les changements climatiques et Convention sur la désertification. Il y a un ensemble d’outils issus de ces conventions qui peuvent permettre d‘aider les États à concilier développement industriel et protection de l’environnement. Ce qu’il faut se dire, c’est qu’en 1992, les chefs d’États du Bassin du Congo avaient, chacun, pris l’engagement de protéger un minimum de 10% de leurs forêts. On donc peut dire qu’à partir de 10% de forêts protégées, on peut se lancer dans l’exploitation sous aménagement durable et mener un ensemble d’activités économiques. Il y a aussi tous les mécanismes de compensation liés aux efforts accomplis pour réduire les effets de la destruction et de la dégradation des forêts. C’est un mécanisme de compensation financière assez complexe. Il y a également tous les mécanismes expérimentaux liés à la séquestration du carbone, et au paiement pour services environnementaux. Au niveau national ou au niveau international, il y a des mécanismes qui s’efforcent de donner à la nature une valeur marchande, une valeur financière parce qu’on a bien compris que la protection de la diversité biologique pose, en filigrane, la question du coût d’opportunité.

Certes, ces mécanismes sont pour la plupart encore expérimentaux, mais ils peuvent nous permettre de concilier développement et protection de la nature. Personne ne s’oppose au développement. La vraie question est : comment et dans quelles conditions ont poursuit ce développement ? Comment ces plantations se font ? Si ces plantations se faisaient dans le cadre d’un aménagement du territoire clairement planifié, après réorganisation du domaine forestier national et en intégrant le tout dans des projets de territoire, on aurait moins de craintes quant au respect des droits des populations.

Sur la question du foncier rural, quelle est l’urgence selon vous ?

Le Gabon est pays sous-peuplé, couvert à 85% de forêts mais il y a lieu d’anticiper et de réfléchir dès à présent à la question de la sécurisation du foncier rural au Gabon. Il faut régler la question de la définition du domaine foncier rural et de sa matérialisation si possible. Il faut réfléchir à la reconnaissance des droits de la population, notamment de leurs droits fonciers légitimes.
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