Sols d'Afrique, un actif stratégique

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LEMONDE | 10.12.11

Sols d'Afrique, un actif stratégique

par Gilles van Kote

Les pays étrangers qui achètent des terres agricoles en Afrique pour assurer leur approvisionnement en nourriture sont coupables d'une "nouvelle forme de colonisation", a déclaré, mercredi 7 décembre, la ministre sud-africaine de l'agriculture, Tina Joemat-Pettersson. Que l'on parle d'accaparement des terres, selon la terminologie de ceux qui dénoncent le phénomène, ou de développement de l'agriculture, comme préfèrent le présenter les investisseurs, la question de la course aux terres arables suscite les jugements à l'emporte-pièce.

Le dernier numéro d'Afrique contemporaine, la revue trimestrielle de l'Agence française de développement (AFD), consacre son dossier aux "investissements agricoles en Afrique", avec la volonté de dépassionner le débat et de laisser les chercheurs labourer ce champ.

Dans son introduction, l'économiste Jean-Jacques Gabas rappelle avant toute chose que ces investissements, souvent d'origine étrangère, ont prospéré sur le terrain laissé libre par le recul de l'aide publique au développement en faveur de l'agriculture. Il invite ensuite à rester prudent quant à la véritable dimension du phénomène. "La réalité de la mise en oeuvre des terres accaparées est très éloignée des annonces initiales", écrit-il. Une étude de cas se penche sur Madagascar, où l'ensemble des surfaces recherchées atteignait 3 millions d'hectares fin 2009, "mais où les superficies réellement cultivées ne s'élèvent qu'à 22 000 hectares".

Le dossier met le doigt sur le rôle des Etats d'accueil : "Les pays du Sud ont souvent été présentés dans la presse comme victimes de nouvelles dynamiques d'investissement, voire d'un certain néocolonialisme. Or, il apparaît que les gouvernements jouent un rôle clé dans la promotion et l'accueil des investisseurs." Au risque de léser les petits agriculteurs locaux, usagers de fait des terres louées, qui ne sont généralement ni consultés ni informés, et encore moins défendus.

"Les droits fonciers existants (...) ne sont pas respectés", notent les chercheurs, qui relèvent que ce sont bien souvent les agents de l'Etat et les élus eux-mêmes qui contournent les dispositions légales pour mieux répondre aux désirs des investisseurs. A travers ces pratiques transparaît un désintérêt des Etats concernés pour l'agriculture familiale, souvent considérée comme non performante, et une volonté de promouvoir une agriculture intensive nécessitant des capitaux.

Le cas de l'Afrique du Sud est un exemple de l'arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur agricole, perçu comme "un nouvel actif stratégique" : banques, fonds d'investissement et sociétés d'ingénierie prennent progressivement le contrôle de l'ensemble de la filière, ce qui conduit à un "processus de prolétarisation agricole" transformant les petits producteurs en "salariés agricoles en voie de prolétarisation". Au final, "l'agriculteur a perdu la propriété de sa production", constatent Antoine Ducastel et Ward Ansseuw, les auteurs de l'article.

La complexité des problématiques est illustrée par le travail sur les investissements dans les agrocarburants mené par Marie-Hélène Dabat. Il met à mal le mythe d'une disponibilité illimitée des terres en Afrique et montre la nécessité d'arbitrages rendus par les Etats. "Avec une planification soignée de l'utilisation des terres, la production d'agrocarburants pourrait être combinée avec une production alimentaire suffisante", estime l'économiste, pour laquelle "l'accès à l'énergie est sans doute un des principaux facteurs de blocage au développement".

Afrique contemporaine, n°237 Agence française de développement et De Boeck 176 pages, 18 €

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