« Il faut aller vers une réforme foncière concertée »

 

Cheikh Omar Bâ, secrétaire exécutif de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar)

 

SudOnline | le 15/12/2010

Daouda GUEYE

L’Etat doit arriver à concilier la sécurisation des exploitations familiales  et l’agro-business pour assurer une sécurité alimentaire et augmenter la part de l’agriculture dans le Pib du Sénégal. Cela passe par une réforme concertée de la législation foncière, impliquant tous les acteurs. C’est l’avis émis par cheikh Omar Bâ, secrétaire exécutif de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar). La structure a organisé avant-hier lundi, un atelier de restitution de travaux recherches  sous l’égide de l’Université Leinden des Pays-bas avec la participation du Conseil national de concertation des ruraux (Cncr).  Dans cet entretien le sociologue revient sur les enjeux de la gestion foncière au Sénégal.

Quel contenu mettez- vous dans la notion de sécurisation foncière ?

On entend par sécurisation  foncière un processus qui permet d’intégrer la dimension nécessité d’avoir des terres qui permettent aux agriculteurs de les valoriser mais également à l’Etat d’investir sur le plan économique et sur le plan environnemental, mais aussi qui permettent à des privés d‘investir. La sécurité foncière est une notion plus ponctuelle et qui peut être rompue au bout d’un certain temps par des intempéries comme les inondations, ou les sécheresses etc. C’est là que se trouve la différence et c’est pourquoi nous avons choisi de parler de la sécurisation foncière qui est un concept dynamique et qui permet d’intégrer trois dimensions. Une dimension par rapport à l’Etat qui voudrait investir, aux agriculteurs qui ont besoin d’un espace de vie et de production, parce que la terre c’est  la base de la ressource, mais aussi aux investisseurs qui voudraient mettre leurs billes dans la terre.

Y’a t-il déjà un plan élaboré ou des mécanismes pour aller vers cette sécurisation ?

Nous, ce que nous avons essayé de faire, c’est l’état des lieux. Mais on se rend compte que, que ce soient les Poas dans la vallée du Sénégal, que ce soient les unités pastorales ou en tout cas tout ce qui est de la gestion du parcours dans la zone sylvo -pastorale, que ce soit aussi le plan Réva, c’est une forme de sécurisation foncière, peut être à une échelle plus petite. Maintenant, la question c’est comment documenter toutes ces expériences pour en faire des éléments de contribution à l’élaboration d’une politique qui intègre aussi les préoccupations des populations de la Casamance, de Tambacounda, de la Vallée du fleuve Sénégal, du bassin arachidier, des Niayes… cela montre qu’on a besoin de comprendre ces différentes initiatives qui existent et de les articuler. C’est ce que l’étude a fait. On a présenté l’état des lieux sur ces initiatives. Et on a fait des propositions en posant la question de savoir s’il devait y avoir une réforme des terres, pour qui et pour quoi devrait-elle l’être ? On s’est rendu compte, si on analyse sur la longue période de 1994 avec le Pasa à 1996 avec le plan d’action foncier qui, avec les trois options mixtes, statut quo et libérale qu’on  n’arrive pas à appliquer jusqu’à présent, c’est la loi sur le domaine national qui continue. Et à partir de 2000, il y a eu des évolutions pour réformer la terre. On s’est rendu compte aussi qu’avec la loi agro-sylvo-pastorale, le foncier a été retiré  de la loi d’orientation agro-sylvo pastorale sous la pression des organisations paysannes qui ne voulaient pas qu’on mélange les deux, parce que la Loasp est un cadre global d’organisation de l’agriculture, alors la loi foncière est plus spécifique. Cela montre que dans ce processus, il y a plusieurs initiatives et nous avons essayé de les documenter, d’inviter les partenaires la société civile, les organisations paysannes à suivre la restitution et à se prononcer sur les propositions des différents acteurs.

A la lumière de cette étude doit-on aller rapidement vers une réforme de la loi sur le domaine ou revoir en tout cas la législation foncière ?

La question foncière est extrêmement complexe, car comme disent certains, c’est un trésor et pas seulement d’un point vue économique. Il y a différents enjeux économiques, culturels sociologiques et environnementaux. Au regard de tous ces enjeux, on se dit qu’on ne  doit pas aller vite en besogne. De toute façon, tous les gouvernements qui se  sont succédé ont eu une volonté de réformer la terre, mais cela n’a jamais abouti. D’abord parce que c’est complexe, mais également, il y a un problème de démarche méthodologique. Une chose est de commencer par le comment, en mobilisant les spécialistes des impôts et domaines en définissant la réforme, comme  ce fut le cas avec la commission dirigée par le professeur Serigne Diop. Or la question aujourd’hui c’est d’inverser la démarche, en se disant pourquoi on doit réformer la terre et pour qui, avant d’en arriver au comment. Ce dernier point est moins compliqué, on a de très bons juristes et de très bons experts dans ce domaine. Mais en attendant, sur le pourquoi, notons qu’il y a divergence parce que si on doit réformer pour vendre la terre, on en retient que l’aspect économique. Or, la question revêt plusieurs aspects notamment des aspects cultuels et cultuels en Casamance, dans la vallée du fleuve Sénégal et un peu partout. Donc c’est important de considérer que la terre est fondamentale dans les relations sociales. Dès lors, on doit se rendre compte qu’on ne doit pas se précipiter dans les réformes. Mais en même temps, il faut une réforme qui garantisse une équité, qui permette aux femmes et aux jeunes d’accéder à la terre. Mais aujourd’hui, lorsqu’on observe au niveau national, on est à 0,75 ha par actif au  Sénégal, avec le recensement agricole de 1998. Or, 0,75 ha, ça ne pas nourrit pas un actif. Si on sait qu’un actif doit nourrir deux personnes, on se dit qu’il nous faut une réforme. On ne peut pas continuer avec l’émiettement de nos exploitations familiales pour espérer nourrir le Sénégal.

Cela ne veut pas dire qu’on doit supprimer les exploitations familiales ?

Justement, à la lumière de nos études, les paysans, paradoxalement, ont le plus intérêt à ce qu’il y ait une réforme foncière ! Parce que en l’état actuel des choses, on entend souvent que tel investisseur a pris des terres, notre seconde étude sur les questions d’acquisition de terres à vaste échelle l’a montré, on ne parle pas d’accaparement en tant que scientifiques. C’est pour dire que l’agriculture familiale doit être renforcée dans ce contexte. Parce que le problème du Sénégal c’est que aujourd’hui, les agriculteurs en milieu rural, si on ne leur donne pas la possibilité d’élargir leurs surfaces cultivables et de produire mieux, avec une productivité certaine, en essayant de vendre avec des marchés qui sont proches, avec des routes, de l’électricité et des marchés de proximité, ils vont tous venir en ville. Et tout le monde sait que celle-ci n’a plus les moyens de les accueillir. La solution c’est de créer des pôles économiques régionaux capables de retenir ces jeunes, de créer des économies à même d’attirer les jeunes ruraux établis en milieux inondés et de les inciter à retourner. C’est un peu une refondation de notre agriculture et de notre économie nationale.

Mais alors n’y a-t-il pas de paradoxe entre la nécessaire redynamisation des exploitations familiales et la cession de grandes surfaces à des investisseurs étrangers, en général, qui font l’agro- business ?

Non, il n’y a pas de contradiction. Je pense plutôt à comment permettre aux agriculteurs familiaux d’étendre leurs superficies cultivables et en même temps, réserver des espaces, si on veut aujourd’hui augmenter la contribution de l’agriculture dans le Pib. Parce que celle-ci est pourvoyeuse de devises. Mais il faudrait de façon concertée que l’Etat et les différents acteurs s’accordent pour voir quelle part réserver à l’agriculture d’exportation et quelle part pour l’agriculture d’autosubsistance. C’est là que se situe la question de fond parce que souvent, on a opposé les deux alors qu’elles sont complémentaires.

L’agriculture familiale occupe aujourd’hui prés de 95% des agriculteurs et la question qu’il faut se poser est que si on les sortait de l’agriculture, que deviendraient-ils. Je le dis parce que si par exemple l’Europe s’est développée, c’est parce que des gens ont quitté l’agriculture pour aller dans les villes dans l’industrie. Or en Afrique, nous avons une situation très complexe, nous n’avons pas d’industrie. A l’époque de la mondialisation, je le dis souvent à mes collègues européens à l’occasion de ces études, ils pouvaient aller coloniser d’autres pays ou peupler d’autres continents (les Etats-Unis, l’Australie, l’Argentine…), aujourd’hui le contexte et la géostratégie font qu’il y a des restrictions sur les possibilités de migrations et, du  coup, on n’a plus le même contexte. C’est pourquoi nous devons réfléchir à ce qui intègre notre contexte. C’est-à-dire qu’on ne peut pas sortir les agriculteurs, en leur disant vous ne pouvez plus cultiver des 0,5 ha, on donne nos terres à l’agro-business. Mais on ne peut non plus dire qu’on continue avec les 0,5 ha. Ce qu’il faudrait maintenant, c’est avec les  acteurs, notamment, le Cncr et la Fongs, l’Etat et tous les acteurs de la décentralisation, que nous réfléchissions ensemble. A notre niveau, à l’Ipar, nous conduisons actuellement  quatre (04) programmes sur le foncier et les systèmes agraires et le cinquième en négociation avec la Banque mondiale porte sur l’analyse des systèmes agraires et la question foncière, pour proposer aux bailleurs, à l’Etat du Sénégal et à tous les acteurs, un certains nombre de recommandations qui puissent solutionner la question.

Est-ce à dire qu’il faut mettre en place un binôme exploitations familiales-agro-business pour booster l’agriculture ?

Tout à fait, un binôme, mais la question reste de savoir quelles proportions de surfaces allouées à chaque domaine. Au Sénégal, les terres arables représentent 19% de la superficie du Sénégal et dans ces 19%, les terres cultivables sont estimées à 3 800 000 ha, or, seules 2.500.000 sont effectivement cultivées. Cela représente à peu près 65%. 35% restent donc à être cultivées. La question est que si on doit prendre des terres on les prendra d’une personne ou d’une entité, mais comment faire pour concilier la valorisation des terres, en tenant compte des intérêts des paysans et prendre en charge les préoccupations de l’agro-business. Il faut également avoir en vue le fait que les terres ne sont pas extensibles, au contraire, elles se rétrécissent avec les changements climatiques et la salinisation. Toutes ces questions montrent qu’il y a aujourd’hui besoin de réfléchir sur les voies et moyens pour faciliter l’agrobusiness et sécuriser les exploitations familiales. Il faut par ailleurs faire des cahiers de charges entre les communautés rurales et  les investisseurs afin qu’une partie des investissements profitent à la jeunesse dans les différents terroirs.

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