Bernard Njonga : "Les Chinois à Nanga Eboko, c'est l'arbre qui cache la forêt"

Bonaberi.com | 30/11/2010

Le documentaire de M6 sur la présence chinoise au Cameroun a apporté son lot de questions, notamment sur la problématique du riz au Cameroun. Bonaberi.com a rencontré Bernard Njonga qui nous en dit plus...

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Par Redaction Bonaberi.com

Bonjour M. Njonga, la chaîne de télévision française M6 a présenté Dimanche 14 Novembre dans son documentaire « Enquête exclusive » un reportage sur la présence Chinoise en Afrique, notamment au Cameroun, et  vous y êtes intervenu sur la question de la concession des terres camerounaises à des entreprises Chinoises pour la culture du riz.  Tout d'abord, la première question qu'on a envie de vous poser concerne les chiffres du riz qui n'ont pas l'air très précis selon celui qui les fournit. Quels sont les chiffres concernant la demande locale, la production locale et les importations de riz à l’heure actuelle et d’où proviennent-ils, de quel organisme exactement ?

Bernard Njonga : D’après les données de la direction des douanes, le Cameroun a importé en 2009 480.000 tonnes de riz pour une valeur de 120 milliards de FCFA, alors que la production nationale stagne autour de 80.000 tonnes l’an. Le premier pays fournisseur de riz au Cameroun est la Thaïlande. La SOACAM est le premier importateur national.

Le riz a-t-il été toujours un des principaux produits de consommation des Camerounais depuis les années 60-70-80 ou est-ce un produit de consommation qui s’est plutôt ancré dans nos mœurs beaucoup plus récemment, notamment avec la libéralisation des échanges dans les années 90-2000 ?

Jusqu’à un passé pas très lointain que je situe à la fin des années 70 début 80, le riz était compté parmi les aliments de luxe que l'on ne consommait dans les familles à faible revenu que pendant les fêtes. Je suis moi-même de cette génération qui fantasmait devant un plat de riz. C’est à la fin des années 80 que le riz est entré de plein pied parmi les aliments de grande consommation, suite à la crise qui a vu les salaires baisser et aux importations massives de cette denrée.

Avez-vous pu entrer en possession ou connaissez-vous clairement les termes des contrats de concession qui nous lient aux Chinois à Nanga Eboko ? S’agit-il d’un programme matières premières contre infrastructures ou d’un partenariat qui consiste à la production d’une partie du riz pour la Chine, une autre partie pour le Cameroun et à la formation d’agronomes camerounais à la culture du riz dans le cadre de ce qu’on appelle communément un « transfert de technologie » ?

Malheureusement pas. Les contrats bilatéraux sont inaccessibles du commun des Camerounais. Je n’ai moi-même pas encore eu la chance de voir ce à quoi ressemblent ces accords, malgré mes efforts. Situation qui renforce les suspicions sur la nature mafieuse de ces contrats.

"La cession des terres apporte son lot d'inconvénients"

Que reprochez-vous concrètement aux Chinois sur le sujet des rizicultures et qu’auriez-vous souhaité qu’ils fassent en accord le gouvernement ?

Vous voulez que j’accepte sans broncher que les Chinois viennent cultiver ce que nos producteurs peuvent et devraient faire ? Vous voulez me faire croire que les Chinois aiment les Camerounais au point de venir cultiver pour les nourrir ?

Il n'en est rien ! De manière générale, la cession des terres que ce soit aux chinois ou à qui d’autre apporte son lot d'inconvénients que j’ai cités : risque de mise en péril de la sécurité et de la souveraineté alimentaire (production en fonction du marché) ; risque de fortes fluctuation des prix ; Risque de consolidation de l’agro-business (consolidation de grandes entreprises agricoles à salariés) ; risque de destruction massive des agricultures familiales avec destruction irréversible des savoir-faire paysans, des modes de vie, la disparition de la diversité culturelle, la réduction de la bio-diversité agricole ; risque conflits sociaux ; risque d’exclusions et d’accroissement des inégalités et risque de conflits de générations.

Pensez-vous vraiment que les Chinois prennent ces concessions au Cameroun pour exporter le riz qu'ils produiront à Nanga Eboko chez eux en Chine ? Il semblerait que cette solution soit très peu logique financièrement dans la mesure où, si la demande chinoise explose certes et qu'il doit à priori leur manquer des terres cultivables pour y répondre, on peut noter qu'il y a quand même un certain nombre de gros producteurs de riz en Asie (Vietnam, Thailande, Indonésie) qui peuvent en fournir à la Chine en très grande quantité et à moindre cout du riz, surtout si on compare  avec les quantités de riz (négligeables pour le marché chinois) produites à  Nanga Eboko et les couts élevés de transports que cela engendrerait entre la Chine et le Cameroun ?

Ne vous y trompez pas. Les Chinois jouent sur du long terme. Voyant leurs populations croître et analysant la situation mondiale des flux alimentaires, ils savent que tôt ou tard, ils seront en rupture de terre. Ils anticipent sur les problèmes, ce que nous ne faisons pas…d’où votre question.

"Les Chinois sont pressentis à Santchou, Tonga et Yagoua"

Dans l’émission diffusée sur M6, vous avez présenté un paquet de riz avec des mentions en langue chinoise, votre principal indice pour justifier les affirmations selon lesquelles les Chinois exportent finalement le riz qu’ils produisent à Nanga Eboko. Pensez-vous que ce soit un élément suffisant, un paquet de riz, pour avoir la certitude que les Chinois partent avec le riz produit chez nous en Chine ?  Et, en exportant ainsi, avons-nous la certitude qu'ils agissent en dehors de leur mandat confié par l'Etat Camerounais ?

Je crois vous avoir déjà dit que les contrats entre la chine et le Cameroun était hors d’accès pour le commun des camerounais. Je n’ai donc pas d’éléments qui me permettent de dire si ces chinois agissent en dehors du cadre contractuel ou pas.

Pour ce qui concerne la destination du riz produit au Cameroun, je ne suis pas de dupe, pour croire que les Chinois aiment tellement les Camerounais au point de venir s’installer dans les champs pour leur produire du riz. Et si tel était le cas, pourquoi se donneraient-ils la, peine d’écrire en chinois sur ces sacs de riz ? Vous semblez sous-estimer la quantité de riz produite à Nanga eboko. C’est une erreur. On commence toujours du petit au plus grand.

Selon des informations fournies dans une enquête du quotidien Le Jour en Aout 2010, les rizicultures de Nanga Eboko sont là à titre expérimental et une école d’agronomie est en train d’y être construite pour former les futurs riziculteurs camerounais. Dans cette même enquête menée par Jean Bruno Tagne, il était mentionné que le riz produit à Nanga Eboko était vendu dans l'unique magasin chinois et que la production était estimée à 1000 tonnes. Pourquoi gloser sur un projet qui n’est encore qu’en phase expérimentale et qui ne produit au demeurant, d’après les chiffres fournis par le quotidien Le Jour, qu'un 1/500eme des importations de riz au Cameroun ?

Ne vous y trompez pas, la présence des Chinois à Nanga Eboko, c’est l’arbre qui cache la foret. Les chinois envisagent déjà de s’installer dans plusieurs autres régions du Cameroun. Ils ne se cachent pas pour dire qu’après les expérimentations de Nanga Eboko ils ont de quoi produire partout au Cameroun en termes de semences. Et voila qu’on les annonce à Santchou, Tonga et Yagoua.

Certains économistes pensent que l’agriculture vivrière n’est pas forcément la panacée et qu’il vaut mieux parfois importer massivement des produits qu’on ne sait pas faire qu’on paiera à un certain coût moindre et qu’on vendra moins cher sur les marchés que de tenter de les produire soi même à un coût qui sera finalement élevé, notamment à cause des compétences que les Camerounais n’auraient pas (la riziculture demandant un certaine expertise), les critères de productivité (les machines dont on ne dispose pas forcément) et les économies d’échelles (les quantités produites sont insuffisantes pour que les prix pratiqués sur les marchés locaux soient suffisamment attractifs).

"Il n'y aura pas de produits alimentaires importés au Comice"

Une autre solution pour palier le « problème du riz » ne serait-elle  pas aussi l'incitation des consommateurs Camerounais à changer d’habitudes alimentaires et à se concentrer sur des produits Camerounais comme le manioc, la patate et autres (dont on pourrait développer la culture) ?  Ne serait-ce pas aussi pertinent en termes de coûts financier et environnemental vu que la culture du riz est souvent cataloguée comme ayant des conséquences néfastes sur l’environnement avec l’émission de méthanes en grande quantité ?

Vous vous trompez. Les produits que vous citez : manioc et autres patates sont nettement plus chers sur les marchés parce que rares. Leurs coûts de production ne sont en rien différents à ceux du riz en terme financier ou environnemental. Nous avons les terres pour tous ces produits et je crois pour ma part que la solution au problème de riz c’est la production de ce riz en grande quantité.

Pouvez-vous nous dire quelles ont été les retombées de votre journée de dégustation des produits made in Cameroun du 30 Juillet dernier organisée en partenariat avec le gouvernement camerounais où on a justement pu voir ce type de produits comme le pain élaboré avec des farines alternatives au blé ?

De manière globale, ces journée furent un succès et le plus grand enseignement que nous avons tiré et de dire que les consommateurs sont prêts à consommer les produits locaux, pour autant qu’on leur fournisse ceux-ci et à bon coût. Nous avons aussi apprécié l’adhésion des pouvoirs publics. Une nouvelle donnée dans notre combat pour la souveraineté alimentaire au Cameroun.

Pour clôturer cette interview, pouvez-vous nous dire comment se prépare le Comice agropastoral d'Ebolowa et pensez-vous pouvoir respecter le mot d'ordre que vous aviez initié avec d'autres associations paysannes de "0 produit importé au comice agropastoral" ?

Nous nous sommes fortement impliqués dans les préparatifs du comice et je puis vous dire que le décor est planté et nous attendons vivement que la fête commence. Je puis aussi vous rassurer qu’il n’y aura pas de produits alimentaires importés au Comice. Ni dans les stands et encore moins dans les plats. Nous avons tout mis en œuvre pour qu’il en soit ainsi. Et il en sera ainsi. Pour nous cela est non négociable.

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