Le Japon, à l'origine d'une course mondiale aux ressources ?

Reuters 12-10-2010

par Natsuko Waki

LONDRES (Reuters) - L'idée qui germe au Japon de consacrer une partie des énormes réserves de change du pays à l'achat de matières premières industrielles est susceptible, si elle est appliquée, de provoquer des bouleversements économiques et financiers.

Le Parti démocrate japonais, actuellement au pouvoir, a proposé la semaine dernière de tirer parti de la vigueur du yen pour investir dans le développement de ressources naturelles à l'étranger, et en particulier dans celui des terres rares, vitales pour l'industrie électronique.

Il a également avancé l'idée de créer un fonds souverain sur le modèle de ceux existant en Chine et à Singapour.

Auquel cas, le Japon deviendrait la première grande puissance économique mondiale à investir une partie de ses réserves de change dans des coentreprises stratégiques, une pratique instaurée par des pays émergents à forte croissance comme le Qatar et la Chine.

Les pays en développement investissent massivement dans les ressources naturelles et agricoles et les pays occidentaux craignent que ces grandes manoeuvres économiques n'aient également des fins politiques.

"L'idée d'un capitalisme d'Etat se répand. C'est parti de la Chine et du Proche-Orient et ça gagne le Japon", observe Sven Behrendt, du consultant genevois Geoeconomica. "Les réserves de change sont devenues un instrument de pouvoir".

"Les gouvernements sont plus attentifs et innovants quant aux ressources à leur disposition à des fins d'intérêt national. L'Etat adopte une nouvelle attitude vis-à-vis des marchés internationaux en tant qu'acteur économique lui-même".

HORS DU DOMAINE PUBLIC

La Chine assure 97% de la production mondiale de terres rares et le Japon achète la moitié environ de cette production mais un différend tenant à des îles contestées en mer de Chine méridionale ont envenimé les relations entre les deux pays.

La tension était montée d'un cran en septembre au moment de l'arrestation par Tokyo d'un capitaine d'un navire de pêche chinois qui était entré en collision avec deux patrouilleurs des garde-côtes japonaise.

Pékin avait suspendu les contacts de haut niveau avec le Japon et des sources proches du secteurs de l'industrie avaient fait état de l'arrêt d'exportations chinoises de métaux rares. Cette information a été démentie par la Chine.

Le contentieux ne s'arrête pas à ces deux pays. Brunei, la Malaisie, les Philippines, Taïwan et le Vietnam revendiquent des parties de la mer de Chine méridionale, potentiellement riche en gaz et en pétrole. La Chine revendique pour sa part la quasi-totalité de la surface maritime par laquelle transite la moitié du tonnage de pétrole mondial.

Le Japon, par ailleurs, n'a jamais possédé autant de dollars, ne serait-ce que par les efforts déployés pour contenir la hausse du yen.

Les fonds souverains gèrent pour les futures générations des revenus annuels de l'ordre de 3.000 milliards de dollars, soit le dixième environ de la capitalisation boursière mondiale.

Suivant les données du consultant spécialisé Monitor, les transactions touchant au charbon, au pétrole et au gaz naturel ont représenté 11,2 milliards de dollars en 2009, soit plus de 16% de la valeur totale des investissements répertoriés des fonds souverains. En 2008, ces transactions avaient totalisé 1,3 milliard de dollars.

Une bonne partie des transactions portant sur les ressources naturelles ou les terres arables se font en dehors du domaine public, ce qui implique que le montant réel est encore supérieur.

SUSPICION CANADIENNE

Pour beaucoup, il n'y a aucun mal à acheter des actifs dans un marché libre et de manière claire. Toutefois, l'élément "souverain" présidant à ces transactions fait craindre à certains une mainmise de certains gouvernements sur des actifs importants d'un point de vue stratégique en général et pour la sécurité nationale en particulier.

Le Canada, ainsi, ne voit pas d'un bon oeil l'intérêt manifesté par les Chinois pour le groupe minier local Potash. Il juge que les entreprises publiques doivent investir pour des motifs uniquement économiques et non pas en tant qu'agent des intérêts de leur gouvernement.

Le fonds souverain chinois CIC et son équivalent singapourien Temasek passent ainsi pour avoir Potash en ligne de mire. Le secteur de la potasse est en effet particulièrement convoité par la Chine, qui cherche à augmenter sa production alimentaire pour subvenir aux besoins de sa population.

CIC ne fait pas mystère de ses cibles: l'énergie, l'agriculture et l'électricité. Il compte investir en particulier en Russie et en Indonésie.

Suivant certains médias, le Venezuela et l'Inde avaient également envisagé de créer un fonds souverain pour se porter acquéreur en commun d'actifs énergétiques dans le monde entier.

Les pays du Golfe étendent pour leur part leurs achats de terres arables, pour s'assurer une sécurité alimentaire, à l'Europe de l'Est et l'Australie.

"Les pays à la source des fonds souverains éprouvent la nécessité de sécuriser le flux des importations alimentaires à des prix raisonnables", expliquait le sultan bin Nasser al-Suwaidi, gouverneur de la banque centrale des Emirats arabes unis.

Les Nations unies craignent toutefois pour les droits des agriculteurs des pays en développement si les pays riches achètent massivement des surfaces cultivables pour assurer leur sécurité alimentaire.

Michael Power, stratège d'Investec Asset Management, remarque que le Japon était à la pointe des acquisitions de ressources naturelles et énergétiques pilotées par l'Etat au travers de ses conglomérats industriels et financiers d'avant-guerre.

"La bataille pour les ressources naturelle est un problème géo-économique au niveau national. Le Japon se préoccupe à nouveau de la sécurité de ses approvisionnements", dit-il.

Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten
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