Pilleurs de Terre : à qui profite l’impunité ?

Pressenza 14.10.24

Interview. Pilleurs de Terre : à qui profite l’impunité ?
           
Rédaction France            
   
Pilleurs de Terre est un long-métrage documentaire réalisé par Fanny Paloma Escobar, qui suit les luttes des communautés autochtones contre les accaparements de terres par des filiales du groupe Bolloré, au Cambodge et au Cameroun. À travers cette interview, elle partage son parcours, les défis de la réalisation, et ses espoirs pour l’avenir de son film.


Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a motivée à réaliser Pilleurs de Terre ?

Fanny Paloma Escobar, FPE : Mon parcours personnel a joué un rôle important dans la genèse de ce projet. Je m’appelle Fanny Paloma Escobar, je suis née à Paris, mais mon père est un immigré chilien. Cet héritage familial m’a rendue particulièrement sensible aux récits de peuples autochtones luttant pour leurs droits, notamment pour la terre. De part mon expérience de citadine européenne et l’héritage de ces questionnements quant à la relation qu’on entretient avec les terres et les écosystèmes, je me trouve dans une position précise pour questionner nos responsabilité et l’héritage colonialiste qui régit les règles du commerce mondial. Lorsque j’ai découvert le procès contre le groupe Bolloré et les accaparements de terres au Cambodge et au Cameroun, j’ai su que je devais raconter cette histoire, car elle symbolise bien plus qu’une simple lutte locale ; elle reflète des problématiques globales liées aux droits humains et à l’environnement.

Qu’est-ce que Pilleurs de Terre met en lumière de façon particulière ?

FPE : Ce qui distingue Pilleurs de Terre, c’est son focus sur les communautés autochtones et sur la façon dont elles organisent leur résistance face aux multinationales. Le film ne se contente pas de montrer des injustices, il montre comment des personnes courageuses, au Cambodge et au Cameroun, ont su tisser un réseau de solidarité internationale. Nous suivons ces combats locaux, mais nous découvrons aussi un réseau d’activistes qui, en Europe et dans le monde, s’engagent à leurs côtés. C’est cette force collective face aux géants économiques que je souhaite rendre visible au plus grand nombre. En plus des destructions durables des écosystèmes et les atteintes à la paix et à la dignité. Mes rencontres m’ont démontré que les techniques d’accaparements des terres sont bien connues et rodées, et m’ont également démontré que les moyens de les éviter et de préserver la paix existent. Ce sont des choix politiques et je crois que nous avons un rôle à jouer en tant que consommateurs et citoyens du monde.

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontée en réalisant ce film ?

FPE : La première difficulté a été financière. Le sujet du film, qui implique le groupe Bolloré, a rendu compliqué le financement traditionnel via les producteurs, les télévisions. J’ai donc autoproduit le film avec mes propres moyens, ce qui a nécessité des sacrifices personnels importants. Une autre difficulté a été de gagner la confiance des communautés sur place. Ces personnes ont été manipulées et trahies à de nombreuses reprises, donc il a fallu du temps pour établir une relation authentique et de confiance.

Vous parlez du procès contre Bolloré comme un élément central du film. Pourquoi est-il si important ?

FPE : Ce procès est absolument crucial, car il s’agit d’une première en France. C’est une affaire qui pourrait faire jurisprudence, non seulement pour le Cambodge et le Cameroun, mais aussi pour d’autres luttes similaires à travers le monde. Ce procès met à nu les pratiques néocolonialistes des multinationales et soulève des questions sur la responsabilité des grandes entreprises vis-à-vis des droits humains et de l’environnement. Sans ce procès, les luttes des Bunongs au Cambodge, par exemple, n’auraient peut-être jamais été mises en lumière sur la scène internationale. Aujourd’hui les combats des Cambodgiens et des camerounais contre le groupe Bolloré se rétro-alimentent. Les victoires des uns servent les probables futures victoires des autres.

Quel message souhaitez-vous transmettre avec ce film ?

FPE : Pilleurs de Terre montre que la lutte pour la terre est bien plus qu’une question environnementale ; c’est une question de justice sociale, de dignité, et de survie. Le film expose les pratiques néocolonialistes des multinationales, mais il montre aussi la force et l’espoir de ces communautés qui refusent de céder. Je crois qu’il est nécessaire d’entendre leurs points de vue pour prendre conscience de ce que ces pratiques impliquent et sortir de nos schémas de raisonnements. Mon objectif est de réveiller les consciences, d’éveiller une colère constructive, mais aussi de démontrer qu’il est possible de résister et de construire un avenir plus juste. Il existe de nombreuses manières d’être au monde. Il est urgent d’ouvrir nos consciences pour pouvoir faire les bons choix pour notre humanité et notre planète.

Quels sont vos prochains objectifs pour Pilleurs de Terre ?

FPE : Actuellement, l’objectif principal est de finaliser la post-production et de faire connaître le film à travers les festivals internationaux. Je souhaite aussi trouver des partenaires de diffusion, des activistes et des médias prêts à relayer le message et à faire en sorte que ce film touche un public large. Nous avons lancé une campagne de financement participatif qui se terminera le 4 novembre et qui, je l’espère, nous permettra de mener à bien cette dernière étape. Pilleurs de Terre a le potentiel de devenir un outil de sensibilisation et de mobilisation. Je veux donc lui donner toutes les chances de créer un impact concret sur le terrain. Nous avons besoin de la force du collectif, celle là même qu’explore le film.

Votre film donne la parole aux communautés locales, mais comment votre propre regard a-t-il évolué tout au long de ce projet ?

FPE : Mon regard a énormément évolué durant ce projet. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à ces luttes, j’avais, comme beaucoup, des imaginaires préconçus sur les communautés autochtones. En arrivant sur place, ces idées ont rapidement été démantelées. Je m’attendais à rencontrer des communautés unifiées, soudées par une même cause, mais la réalité est bien plus complexe. Chaque communauté a ses propres dynamiques, ses tensions, et ses contradictions. Pour pouvoir raconter ces histoires avec honnêteté, j’ai d’abord dû déconstruire mon propre regard. Ce processus m’a permis de voir ces luttes sous un angle plus nuancé, plus humain. C’est en acceptant ces complexités que j’ai pu établir des relations plus authentiques avec les protagonistes du film, et j’espère que cela transparaît dans le documentaire.
 
  Campagne de soutien pour finaliser la post-production, créer une stratégie de diffusion solide, et donner la visibilité nécessaire à ces récits :
Lien vers la campagne Ulule, en français : https://fr.ulule.com/pilleurs-de-terre/supporters/
Version en espagnol : https://es.ulule.com/pilleurs-de-terre/supporters/
Version en anglais : https://www.ulule.com/pilleurs-de-terre/supporters/
 
Site web : https://www.pilleurs-de-terre.com/

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