Le groupe Bolloré mis à l’index par le fonds norvégien pour ses pratiques non éthiques au Cameroun
Après enquête sur le terrain, le conseil éthique du fonds souverain norvégien a recommandé d’exclure le groupe Bolloré et sa holding, la compagnie de l’Odet, de ses investissements pour les graves violations des droits humains constatées dans les plantations d’huile de palme au Cameroun. Des faits qui valent à Vincent Bolloré de nombreuses poursuites liées à sa participation dans la SocFin, société financière, dont il voudrait désormais se désengager.
“Conditions de travail lamentables, violences sexistes et harcèlement dans les plantations d’huile de palme au Cameroun qui s’étendent aux communautés locales”. Voici le résumé du rapport du Conseil d’éthique du fonds norvégien, publié en juin et fruit d’une enquête de terrain au Cameroun. Celle-ci a établi que près de deux tiers des 7 000 travailleurs de la Socapalm étaient payés en dessous du minimum légal, que 80% d’entre eux sont logés dans des bâtiments insalubres et que les employés et agents de sécurité se livrent à des viols et à du harcèlement sexuel. A cela s’ajoutent de graves pollutions environnementales et des difficultés d’accès à leurs propres terres pour les agriculteurs camerounais.
Le rapport recommandait l’exclusion du groupe Bolloré des investissements du fonds norvégien en raison des “violations des normes sur les droits humains concernant les activités de la Société Financière des caoutchoucs (SocFin) qui a des liens étroits avec la compagnie de l’Odet et Bolloré SE et dont Vincent Bolloré est un actionnaire significatif”. Mais NBIM, la société de gestion qui gère les actifs norvégiens, ne l’a pas suivie, préférant faire de l’engagement actionnarial auprès du groupe Bolloré SE dont elle détenait fin 2023 un peu plus d’1% des actions, soit 77 millions d’euros. A cela, il faut ajouter 12 millions d’euros investis dans la compagnie de l’Odet, la holding financière du groupe Bolloré qui gère ses participations dans les plantations, les actifs immobiliers et le secteur des médias et de la communication.
Des violations dénoncées depuis 15 ans
NBIM a ainsi donné deux ans au groupe Bolloré pour mettre en place de vraies mesures d’amélioration des pratiques dans les plantations africaines indirectement détenues par la holding Socfin. Cette stratégie peut laisser sceptique puisque les dénonciations des pratiques délictueuses dans ces plantations se sont multipliées depuis 15 ans. Les agriculteurs camerounais et les ONG qui les défendent, de Grain à Sherpa, avaient saisi, en 2010, le point de contact de l’OCDE, structure de médiation sur les violations des principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises.
En 2013, le groupe Bolloré s’était engagé dans un plan d’action de remédiation qui n’a pas été mis en œuvre. Un collectif d’associations l’a alors assigné en justice pour que les mesures correctives soient mises en place. En novembre 2016, une manifestation en Autolib (aujourd’hui disparu) avait rassemblé ceux qui dénonçaient l’irresponsabilité des pratiques de l’homme d’affaires aux montages financiers complexes dans ses diverses activités dont les plantations.
Vincent Bolloré a, depuis, multiplié les contre-attaques judiciaires poursuivant en diffamation aussi bien l’ONG Sherpa que les journalistes qui enquêtaient sur ses activités africaines. Tristan Waleckx par exemple a été poursuivi cinq fois et a gagné ses cinq procès. Ces procédures bâillons qui empêchent l’exercice de la liberté de la presse et de la liberté d’expression des ONG, utilisées par Vincent Bolloré, avaient été dénoncées par l’ONG Reporters Sans frontières dans le documentaire “Le système B”, sorti en 2021.
Bolloré prêt à céder ses parts dans la Socfin ?
C’est pourquoi populations locales et ONG qui les défendent réitèrent leur demande d’exclusion du groupe Bolloré SE et de la compagnie de l’Odet par le fonds norvégien. Le fonds de compensation luxembourgeois (équivalent du fonds de réserve des retraites français) exclue déjà les deux entreprises pour leurs “risques d’implication dans les violations des droits humains en Afrique”.
Vincent Bolloré a voulu minorer son rôle dans la Socfin, entreprise très profitable, expliquant qu’il n’en était qu’un actionnaire minoritaire. Mais, en 2023 il a tenté de prendre le contrôle total de la structure financière avec son partenaire, l’homme d’affaires belge Hubert Fabri qui en est le président.
Le 7 août 2024, l’Informé révélait que Vincent Bolloré s’apprêtait à vendre 5% de ses actions de la Socfin. Un moyen de restreindre son rôle d’actionnaire alors que la société de gestion du fonds norvégien lui demande au contraire d’exercer son influence pour améliorer les pratiques de la Socapalm. Le prochain bras de fer judiciaire devrait donc concerner la mise en cause de la Socfin pour manquement à son devoir de vigilance. ■