Daewoo-Madagascar, 15 ans après : Les Journées Internationales des Régions accoucheront-elles de zones économiques spéciales ?

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Le projet Daewoo ne s’est pas réalisé et le régime de Ravalomanana est tombé. Quinze ans plus tard, à quoi assistons-nous ?
Agence Malagasy de Presse | 30 novembre 2023

DAEWOO-MADAGASCAR, 15 ANS APRÈS Les Journées Internationales des Régions accoucheront-elles de zones économiques spéciales (ZES) ?

En novembre 2008, le « Financial Times » a révélé qu’un gigantesque accord était en cours de négociation entre Daewoo Logistics et le pouvoir en place à Madagascar : location de 1, 3 millions d’hectares de terre dans les régions Atsinanana, SAVA, Menabe et Melaky pour 99 ans à cette société sud-coréenne. Le projet ne s’est pas réalisé et le régime de Ravalomanana est tombé. Quinze ans plus tard, à quoi assistons-nous ?

A diverses occasions, le Collectif TANY a pointé du doigt la politique des dirigeants malgaches successifs qui ont proclamé que le développement du pays nécessiterait l’exploitation des terres malgaches par des investisseurs notamment étrangers car cela se ferait au détriment des paysans et communautés rurales.

Ce communiqué va braquer ses projecteurs sur les « Journées Internationales des Régions » car les rares informations disponibles rappellent des projets et faits passés et provoquent des questionnements.

Les Journées Internationales des Régions

Les Journées Internationales des Régions sont des évènements de 2 à 3 jours, co-organisés par le ministère des Affaires Etrangères et le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. La première édition avait eu lieu en 2020 dans la région Analamanga, puis 8 régions y ont déjà eu également droit: Sofia, Itasy, Vakinankaratra, Anosy, Amoron’i Mania, Ihorombe, Vatovavy Fitovinany et Atsimo-Atsinanana.

Ces Journées avaient officiellement pour objectifs de « promouvoir les potentialités économiques des régions et mobiliser les partenaires financiers en conséquence » (1) en « rassemblant sur une même plateforme les décideurs du secteur public, les opérateurs du secteur privé local, les investisseurs directs et les partenaires et réduire l’écart de développement entre les régions, tout en promouvant les potentialités économiques, les produits et savoir-faire régionaux » (2). Les précisions relatives aux entités invitées et participants aux diverses Journées Internationales des Régions dans les discours des responsables étatiques rapportées par les media, ainsi que la forte implication du ministère des Affaires Etrangères par l’intermédiaire de la «< diplomatie économique », ne laissaient aucun doute sur la priorité accordée aux investisseurs étrangers. Des membres de la « diaspora » résidant dans différents pays ont participé en ligne à ces Journées Internationales, sollicités pour aider à la recherche d’investisseurs et pour en faire partie.

L’exemple de la région Ihorombe

Les Journées Internationales de la région lhorombe se sont tenues début décembre 2022 (3) et ont consisté à rechercher des structures et institutions pour financer les projets de la Région. Alors que pour leur préparation, le Programme de Développement des Nations-Unies – PNUD – a édité une brochure de présentation des atouts et potentialités de l’ensemble de la région, ainsi que des projets envisagés dans différents secteurs dont les coûts estimés sont précisés (4), un autre document dénommé Projet Régional de Développement – PRD – porte sur la création d’une « zone d’émergence intégrée » (ZEI) d’une superficie de 13.000 ha dans la commune d’Ambatolahy, mentionnée comme « projet phare » dans la brochure précédente. La participation des citoyens et la prise en compte de leurs avis dans la conception et la décision sur le contenu de ces projets ne semblent pas adéquates car différentes catégories de citoyens ont exprimé leur opposition au projet de ZEI. Des organisations paysannes non informées au préalable de cette ZEI ont espéré que le changement de gouverneur en février 2023 (5) allait permettre la mise en place d’une nouvelle méthode de travail, dont la consultation préalable et l’information de tous dans la gestion des terres. Mais leurs demandes de rencontrer la nouvelle haute responsable seraient restées vaines et c’est par les rumeurs et les media qu’elles ont appris que la plupart des projets auraient trouvé des financeurs.

En effet, plusieurs milliers d’hectares de terre de cette région sont déjà accaparés depuis plus de dix ans par la société italienne Tozzi Green avec comme conséquence directe la diminution significative des zones de pâturage disponibles pour le cheptel de zébus des éleveurs, qui constituent la majeure partie des habitants. Pire encore, la réduction de la quantité d’eau parvenant aux champs et rizières des paysans suite à l’installation de motopompes par l’entreprise sur les rivières de Loabato et Ihazofotsy pour l’arrosage de ses plantations spolie le droit à l’eau des communautés, dans un contexte de changement climatique favorisant la sécheresse dans l’ensemble du pays et dans cette région en particulier. Les conséquences négatives sur les droits humains fondamentaux de la majorité de la population sont inacceptables (6). L’occupation de ces vastes surfaces est régie par la loi sur le bail emphyteotique.

Dans quel cadre juridique évolueront les projets dérivés des Journées Internationales des Régions ?

Tous les citoyens malgaches, et toutes les organisations de la société civile, souhaitent fortement le développement de Madagascar et de toutes les régions. Malheureusement, les projets d’investisseurs que nous connaissons profitent à une infime minorité, en premier lieu à l’investisseur lui-même, et le développement promis à la population n’est pas au rendez-vous. Au contraire, les activités de l’investisseur augmentent souvent les problèmes de la majorité des habitants impactés à Madagascar. C’est pourquoi, nous réitérons que tous les citoyens ont le droit et le devoir de mieux connaître tous les tenants et aboutissants d’un projet dit de développement dès sa conception, ses impacts positifs et négatifs éventuels, de s’exprimer sur le projet, et les décideurs doivent en tenir compte, comme le recommande déjà le droit international.

Dans le cas précis des Journées Internationales des Régions, ni leurs effets concrets ni le cadre juridique qui s’appliquera aux espaces territoriaux où agiront les investisseurs ne font l’objet de transparence vis-à-vis des simples citoyens. Les transactions foncières résultant de ces journées, ainsi que les structures et modalités de gestion des projets financés par les investisseurs, méritent des clarifications pour tous les citoyens de la part des décideurs.

Revenons à la ZEI de l’lhorombe de 13.000 ha. Elle inclura une nouvelle « ville pilote connectée » s’étendant sur plus de 11.000 ha et comprendra 20 domaines allant d’une usine de transformation alimentaire et des logements à un aérodrome et une école primaire publique. Le document précise que « […] Pour l’aspect sécurité, toutes les infrastructures dans cette ZEI sont télésurveillées. La supervision sera assurée par un centre hautement sécurisé. Quelques postes mobiles de supervision seront également mis à disposition de quelques responsables habilités ».

La loi dangereuse sur les Zones Economiques Spéciales – ZES – va-t-elle être appliquée ?

Ces données rappellent fortement les projets de ville nouvelle Tanamasoandro de la région Analamanga dont celui d’Ambohitrimanjaka a échoué face à la forte opposition des occupants actuels des terrains ciblés (7) et celui d’Imerintsiatosika avancerait avec l’appui de groupes nationaux et étrangers d’origine émirati, sud-africain, égyptien,.. (8) (9). Par ailleurs, les informations disponibles orientent nos questionnements sur le cadre juridique vers la loi sur les zones économiques spéciales (ZES). Cette loi avait été votée par le Parlement malgache en 2018 (10) après d’importantes controverses au sein de l’opinion publique. Certaines régions possédaient déjà des plans élaborés de ZES sur plusieurs milliers d’hectares à l’époque et avaient organisé des visites sur place d’investisseurs étrangers, comme la région Diana.

Le Collectif TANY avait publié plusieurs communiqués en 2017 et 2018 pour dénoncer le caractère dangereux de la loi malgache sur les ZES pour les droits fonciers des communautés des lieux d’implantation et riveraines, ainsi que pour l’intégrité territoriale du pays (11). Aujourd’hui, nous tenons à alerter tous les citoyens, décideurs, techniciens, organisations de la société civile sur le danger important que courent les communautés locales de toutes les régions en cas d’application de cette loi sur les ZES ou de mise en place d’un cadre juridique similaire.

Une récente étude réalisée par des chercheurs de différents pays a mis en évidence que les milliers de ZES qui existent dans le monde sont régis par des règlementations diverses selon les pays et ne donnent pas forcément un résultat positif. Les ZES peuvent donner lieu à des impacts fonciers [..] tels que des expropriations et la spéculation dans les zones environnantes (12). L’étude sur Madagascar a en particulier souligné « le faible intérêt d’avoir expulsé des paysans pour y installer des entreprises sous prétexte qu’elles seraient plus productives » dans le cadre des Zones d’Investissement Agricole (ZIA) dans le Vakinankaratra mises en place en 2015 (13).

Conclusion

Quinze ans après la divulgation du projet Daewoo-Logistics à Madagascar, l’engouement des dirigeants successifs de Madagascar pour la recherche d’entreprises étrangères pour exploiter de vastes surfaces de terres au pays et pour l’agrobusiness reste inchangé, il s’est même intensifié (14). La réalité montre que cette orientation durable des politiques publiques aggrave la pauvreté de la majorité de la population et ne résout pas l’insécurité alimentaire.

Quand donc les dirigeants et décideurs admettront-ils qu’une politique forte d’attribution de terre aux paysans malagasy devient urgente ? La réalisation des promesses dans ce sens faite par les hauts dirigeants à la fin du Colloque National sur le Foncier de juin 2022 concerne les titres verts destinés à 24.000 jeunes entrepreneurs sur tout le territoire alors que dans toutes les régions existent un grand nombre de paysans producteurs sans-terre et des descendants de paysans qui ne peuvent plus hériter car la répartition des terres ancestrales entre les héritiers au cours des générations a rendu la surface moyenne des exploitations familiales trop réduite. Par contre, l’attribution de terre aux investisseurs annoncée pendant le Forum National des Investissements d’octobre 2022 fait l’objet d’une largesse sans limite.

Promettre le développement au peuple malgache est incohérent et inutile si on brade les terres malgaches aux investisseurs étrangers pour qu’ils développent leur profit dans le cadre de bail emphyteotique (15) et si on prive les communautés de leurs terres pour permettre aux entreprises de se développer dans des ZES.

Les pertes pour le pays et les générations futures seront très importantes par rapport aux retombées économiques très limitées. Une refonte totale de la politique publique et la mise en place de lois en faveur des paysans dans le domaine du Foncier deviennent primordiales.

30 novembre 2023

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY

[email protected], http://terresmalgaches.info, facebook : TANY/terresmalgaches, @CollectifTany

Références:
  1. https://actu.orange.mg/lancement-de-la-journee-internationale-des-regions/
  2. https://midi-madagasikara.mg/journees-internationales-des-regions-trois-editions-pour-2023/
  3. https://jir-ihorombe2022.org/; https://lexpress.mg/09/12/2022/journees-internationales-des-regions-la-region-ihorombe-entend-se-demarquer–dici–2028/
  4. https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/2023-05/undp-mg-pub-lhorombe-VF.pdf
  5. https://www.madagascar-tribune.com/Conseil-des-ministres-quatre-gouverneurs-remplaces.html
  6. https://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/2023-10-Des-associations-deposent-une-plainte-contre-Tozzi-Green.pdf
  7. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20191016-madagascar-projet-ville-tanamasoandro-polemiques
  8. https://ecoaustral.com/tanamasoandro-huit-nouveaux-protocoles-daccord-pour-la-ville-du-futur/
  9. https://madagascartribune.vahiny.com/A-qui-profiterait-reellement-le-projet-Tanamasoandro-25056-25056.html
  10. https://www.droit-afrique.com/uploads/Madagascar-Loi-2017-23-zones-economiques-speciales.pdf
  11. https://landportal.org/fr/blog-post/2021/02/la-loi-sur-les-zones-economiques-sp%C3%A9ciales-zes-%C3%A0-madagascar-un-abandon-volontaire
  12. Zones économiques spéciales et foncier : tendances globales et incidences locales au Sénégal et à Madagascar – Foncier & Développement (foncier-developpement.fr) p.73
  13. https://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/Regards-sur-le-foncier-11 ZES–Madagascar.pdf – p.23
  14. https://www.farmlandgrab.org/post/view/30273-madagascar-pire-que-le-projet-daewoo-la-strategie-nationale-de-l-agrobusiness
  15. https://www.farmlandgrab.org/post/view/31559

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