Financement du développement sous forme d’agro-colonialisme: le financement des plantations d’huile de palme de Feronia-PHC en République démocratique du Congo par les banques européennes de développement

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RIAO-RDC (RDC), FIAN Belgium, Entraide et Fraternité (Belgique), CCFD-Terre Solidaire (France), FIAN Germany, urgewald (Allemagne), Milieudefensie (Pays-Bas), The Corner House (Royaume-Uni), Global Justice Now (Royaume-Uni), World Rainforest Movement (International), GRAIN (International) | 28 janvier 2021

Financement du développement sous forme d’agro-colonialisme: le financement des plantations d’huile de palme de Feronia-PHC en République démocratique du Congo par les banques européennes de développement
 
La présente publication présente un aperçu du financement accordé par les banques européennes de développement à la société productrice d’huile de palme Plantations et Huileries du Congo (PHC), en République démocratique du Congo1. Les communautés concernées par les plantations de la société sont privées de leurs terres ancestrales depuis 1911, date à laquelle le fondateur de PHC et cofondateur de la multinationale agroalimentaire Unilever, l’industriel britannique Lord Leverhulme, a transformé leurs palmeraies en plantations industrielles de palmiers à huile. Les communautés n’ont jamais donné leur accord à la transformation de leurs forêts en plantations. Tout au long des décennies pendant lesquelles elles ont demandé justice, les communautés ont été victimes de répressions et de violences2. En 2019, un agent de sécurité de la multinationale a été accusé du meurtre d’un membre d’une des communautés3. Cet agent a par la suite été acquitté, ce qui a soulevé des préoccupations parmi les membres de la famille et les organisations de la société civile4. En 2015, un villageois est décédé et sa femme a été tuée par la police à la suite d’une accusation de vol pour quelques noix de palme5. Ces morts ont eu lieu à une époque où plusieurs banques européennes de développement investissaient dans PHC, soit directement, soit indirectement. Les activités menées aujourd’hui par PHC s’inscrivent totalement dans le modèle de plantation industrielle, avec les dommages environnementaux, les violations des droits et l’exploitation des terres communautaires et de la main-d’œuvre qui sont inextricablement liés à ce modèle. Ce modèle de plantation industrielle a joué un rôle crucial et cruel dans la colonisation européenne. Le financement de PHC montre que le soutien apporté par les banques (européennes) de développement à ce modèle de plantation colonial perdure aujourd’hui encore.
 
Jusqu’à tout récemment, les activités de PHC étaient détenues par une société financière canadienne appelée Feronia Inc., qui avait racheté la société à Unilever en 2009. En juin 2020, Feronia Inc. a fait faillite, en dépit du soutien financier apporté depuis 2013 par les banques européennes de développement pour un montant dépassant les 150 millions de dollars. Au moment de l’effondrement de Feronia, les banques de développement étaient propriétaires de Feronia-PHC. Elles détenaient en effet la majorité des actions de Feronia Inc., soit directement (le groupe CDC au Royaume-Uni), soit par le biais d’investissements dans un instrument financier (Proparco en France, AECID en Espagne et DFC aux États-Unis), et avaient des dizaines de millions de dollars de remboursement de prêt encore impayés (CDC - Royaume-Uni, DEG - Allemagne, FMO - Pays-Bas, BIO - Belgique, et d’autres par le biais de l’EAIF). Lorsque Feronia Inc. a fait faillite, les banques de développement ont eu une occasion sans précédent de réparer l’occupation des terres communautaires par PHC qui remontait à l’occupation coloniale européenne du Congo. Elles auraient pu explorer des pistes pour restituer aux communautés les droits de concession ou les participations financières dans PHC, mais elles ne se sont pas montrées intéressées. En lieu et place, les banques de développement ont transféré les actifs de PHC à une société de capital-investissement domiciliée à Maurice appelée Straight KKM, et accepté une annulation massive de leur dette au profit de la nouvelle société de capital-investissement6. Tout comme Feronia Inc., Straight KKM ne disposait d’aucune expérience avérée dans l’exploitation de plantations de palmiers à huile avant son implication dans PHC.
 
L’investissement des banques de développement dans Feronia-PHC révèle des aspects structurels qui expliquent pourquoi les investissements dans l’agriculture industrielle sont controversés et source de conflits7, violent les droits humains, polluent et détruisent l’environnement et compromettent la souveraineté alimentaire, l’autodétermination et le bien-être des communautés. Ces éléments structurels sont les suivants :
 
(1)  Modèle colonial de développement basé sur l’appropriation des terres des communautés
Des investissements continus dans un modèle colonial de développement basé sur l’appropriation des terres des communautés ainsi que sur la destruction de la résilience et l’exploitation des villageois en tant que main-d’œuvre sous contrat à courte durée qui en découlent8. Comme c’était le cas pour leurs investissements dans la société de plantations de canne à sucre/bioénergie Addax en Sierra Leone9, les banques de développement ont investi dans Feronia-PHC à une époque où les communautés avaient déjà rejeté ce modèle de plantation et exigeaient la restitution de leurs terres ancestrales afin de pouvoir suivre une voie différente10.
 
(2)  Dogmatisme néolibéral
Un dogmatisme néolibéral, où l’idéologie réduit souvent l'horizon des banques de développement du « secteur privé » à un investissement dans des fonds de capital- investissement, quelle que soit leur expérience dans le secteur en question. À titre d’exemple, en avril 2020, l’équipe de l’émission Africa Eye de la BBC a fait état de nombreuses allégations de fraude, corruption et détournement de fonds à l’encontre de deux directeurs britanniques nommés par Emerging Capital Partners, un fonds de capital-investissement soutenu par CDC, pour diriger la société de construction kényane Spencon (qui a fait faillite alors qu’ils étaient à sa tête). Il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres pour illustrer les inquiétudes concernant la transparence et la responsabilité des fonds de capital-investissement qui utilisent des investissements publics pour servir leurs intérêts11.
 
Les fonds de capital-investissement se sont imposés dans le secteur agricole depuis la crise financière de 2008, et les investissements de développement dans ces fonds ont augmenté de façon spectaculaire, notamment dans les fonds de capital-investissement investissant dans des entreprises agricoles12. Ce dogmatisme transparaît également dans la réticence des banques de développement à investir dans des activités communautaires plutôt que dans ces fonds de capital- investissement, que ces sociétés aient ou non de l’expérience dans la gestion de plantations13. Ni Feronia Inc. ni Straight KKM ne jouissaient d’aucune expérience avérée avant leur implication dans PHC alors que les communautés ont produit et négocié de l’huile de palme et d’autres produits à base d’huile de palme pendant des générations avant que leurs terres leur soient violemment prises. C’est ce dogmatisme des banques de développement qui maintient les communautés des plantations PHC en République démocratique du Congo et aux alentours dans la pauvreté, qui les conduit à travailler durement comme journaliers sur leurs terres ancestrales et les expose au harcèlement régulier et à la violence des agents de sécurité de l’entreprise14.
 
En revanche, l’expérience de plusieurs communautés sur l’un des sites de la plantation PHC montre déjà clairement que le développement de voies alternatives présente un immense potentiel pour les communautés qui gèrent elles-mêmes leurs terres ancestrales. Début 2020, les communautés ont repris quelque 420 hectares de plantations abandonnés par PHC et ont lancé leur propre fabrication d’huile de palme. Elles ont ainsi gagné en autonomie et obtenu des niveaux de revenus jamais atteints avec leurs salaires de journaliers sur les plantations PHC. « En ayant accès à ces terres, nous sommes en mesure de reprendre notre production d’huile de palme, qui avait été violemment interrompue par la colonisation », a déclaré un membre de l’équipe de direction des opérations15.
 
(3) Un abandon inquiétant des exigences légales obligatoires et du respect des normes contraignantes qui existent dans le domaine des droits de l’homme au profit de mécanismes volontaires de réglement des plaintes et d’arbitrage. Des procédures de diligence raisonnable efficaces empêcheraient tout simplement le financement des banques de développement si un client était impliqué dans des problèmes d’héritage foncier ou de violations de droits humains. Actuellement, les banques de développement continuent de financer des sociétés présentant de tels conflits (fonciers) non résolus, pour autant que le client s’engage à mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes, à mettre en œuvre des plans d’action sociale et/ou à lancer une certification par un tiers afin de montrer son engagement à résoudre les conflits. De nombreuses banques de développement ont également instauré leurs propres mécanismes de traitement des plaintes. Toutefois, ces mécanismes se révèlent inaptes à résoudre les conflits d’héritage foncier16. En réalité, ils risquent même d’exacerber le conflit en entraînant des violations de droits humains et en mettant à mal l’organisation de la communauté en vue de la restitution des terres ancestrales. Dans le cas de Feronia-PHC par exemple, plusieurs des banques de développement exigent que la société se conforme aux normes de la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO) ou à d’autres programmes de certification équivalents17. Les représentants de l’entreprise prétendent que les règles de la RSPO empêchent la restitution aux communautés des terres boisées dans la zone de la concession, en raison du risque de déforestation. Il est frappant qu’une certification telle que la RSPO puisse empêcher l’entreprise de commencer à résoudre son héritage foncier colonial en restituant les terres boisées aux communautés.
 
Bien qu’ils connaissent une popularité grandissante auprès des banques de développement, les mécanismes de traitement des plaintes se sont révélés extrêmement frustrants pour les communautés et la société civile. Par exemple, une procédure de médiation déclenchée par une plainte déposée dans le cadre du mécanisme de traitement des plaintes de la Société financière internationale (IFC) de la Banque mondiale par exemple portait sur l’expulsion d’environ 1 000 familles ougandaises par une société appelée New Forests Company pour faire place à des plantations de bois18. À l’issue de cette médiation, près de la moitié des 1 000 familles n’avaient reçu aucune compensation. Pourtant, la société et les banques de développement citent cette procédure de médiation en exemple pour prouver que les conflits ont été résolus19. Dans le cas de Feronia-PHC, les communautés qui ont déposé une plainte auprès de la banque allemande de développement DEG20 en novembre 2018 attendent depuis plus deux ans que la médiation demandée commence21. Entre-temps, et au vu et au su des banques de développement, l’entreprise a agrandi ses plantations sur des terres adjacentes au village de Yalifombo22, alors même que la légalité contestée des contrats de concession foncière de l’entreprise réside au cœur de la plainte déposée par la communauté en 2018.

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1  Le présent rapport se penche sur le financement accordé à Feronia-PHC par les banques européennes de développement. Toutefois, l’Agence américaine de financement pour le développement international (DFC, anciennement OPIC) a également financé Feronia Inc. par l’intermédiaire du Fonds Africain pour l’Agriculture.
 
2  Voir par exemple: « Analyse réponse CDC et Feronia », Déclaration signée par 13 chefs communautaires des trois plantations de Feronia (Lokutu, Yaligimba, Boteka), octobre 2016, Kampala, Ouganda. Disponible à l’adresse : https://www.grain. org/e/5560. Voir également: Rapport Telesur, « Congo : continúa lucha comunitaria contra multinacional Feronia », 2016, https://www.youtube.com/watch?v=xaZ_DellZug&feature=emb_title (consulté le 21/12/2020).
 
3  « Update on the Independent Investigation commissioned by CDC to examine the circumstances surrounding the death of Joel Imbangola Lokwa», CDC Group News, 22 novembre 2019, https://www.cdcgroup.com/en/news-insight/news/ update-on-the-independent-investigation-commissioned-by-cdc-to-examine-the-circumstances-surrounding-the- death-of-joel-imbangola-lokwa/?fl=true
 
4  Communication personnelle de RIAO-RDC avec les membres de la famille et l’avocat de la famille le 11 février 2020 et les jours suivants. Voir également le communiqué de RIAO-RDC du 12 février 2020, Urgent communiqué: Feronia security guard acquitted of murdering Congolese land defender. https://www.farmlandgrab.org/post/view/29469-drc-feronia- security-guard-acquitted-of-murdering-congolese-land-defender
 
5  Déclaration non publiée des dignitaires et chefs de la communauté de Boteka. Datée du 16 décembre 2017, signée dans la ville de Bempumba.
 
6  GRAIN, Development banks must be held accountable for their disastrous oil palm plantation investments in the Congo, 2020.,https://www.farmlandgrab.org/post/view/29868-development-banks-must-be-held-accountable-for-their- disastrous-oil-palm-plantation-investments-in-the-congo
 

7  Voir notamment Saturnino M. BORRAS et al., « Land grabbing and human rights: The involvement of European corporate and financial entities in land grabbing outside the European Union », Document commandé par la sous-commission « droits de l’homme » du Parlement européen, mai 2016; Fern, « Financing landgrabs and deforestation », 2016, https://www.fern.org/fileadmin/uploads/fern/Documents/Financing%20land%20grabs%20final.pdf ; Hands off the Land, « Fast track agribusiness, land grabs and the role of European private and public financing in Zambia », 2013, https://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2015/Reports_and_Guidlines/13_12_FIAN_Zambia_EN.PDF
 
8  Droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, ratifié par tous les États concernés en Europe ainsi qu’en RDC) et la Déclaration des droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP).
 
9  Sierra Leone Network on the Right to Food (SiLNoRF) & Bread for All, « MONITORING REPORT On the operations of Addax/ Sunbird Bioenergy Mabilafu Project, Sierra Leone (période allant de juillet 2016 à août 2017) », 2017, https://brotfueralle. ch/content/uploads/2017/09/2017-Monitoring-Report-Silnorf-Bfa.pdf ; Bread for All & Bread for the World, « The Weakest should not bear the risk », Analysis 64, 2016, https://brotfueralle.ch/content/uploads/2019/03/2016-The- weakest-should-not-bear-the-risk.pdf
 
10  Voir la plainte déposée par neuf communautés au Mécanisme indépendant de Traitement des Réclamations Environnementales et Sociales (ICM) de la DEG, du FMO et de Proparco pour une liste de réclamations par lesquelles les communautés concernées par les plantations PHC ont fait part de leur demande de restitution de leurs terres ancestrales, https://www.farmlandgrab.org/post/view/28543-drc-communities-file-complaint-with-german-development- bank-to-resolve-century-old-land-conflict-with-palm-oil-company
 
11  BBC Africa Eye, « Spencon: Inside the collapse of an African construction giant », 2020, https://www.bbc.co.uk/news/ world-africa-52126563
 
12  GRAIN, « Barbarians at the barn: private equity sinks its teeth into agriculture », 2020, https://www.grain.org/en/ article/6533-barbarians-at-the-barn-private-equity-sinks-its-teeth-into-agriculture
 
13  Idem.

14  Voir notamment la Plainte contre la Société PHC/Feronia à Lokutu. Lettre adressée au Premier ministre de la RDC par les communautés indigènes des territoires de Basoko, Yahuma et Isangi, septembre 2016. Disponible sur: https:// www.grain.org/e/5560. Les villageois du site de Lokutu ont signalé des incidents de harcèlement et de violences lors des réunions. Les enregistrements de ces réunions sont disponibles auprès des organisations qui publient le présent rapport.
 
15  « Communities take control of plantations abandoned by Feronia PHC », 2020, https://www.farmlandgrab.org/post/ view/29682-groups-welcome-feronias-decision-to-abandon-plantation-lands-and-enable-communities-in-the- dr-congo-to-thrive
 
16  Voir par exemple « Forest Peoples Programme: Non-judicial grievance mechanisms as a route to remedy - an unfulfilled opportunity », novembre 2020, https://www.forestpeoples.org/en/briefing-paper/2020/non-judicial-grievance- mechanisms-route-remedy-unfulfilled-opportunity
 
17  Voir par exemple les exigences du groupe KfW : https://www.kfw.de/PDF/Download-Center/Konzernthemen/ Nachhaltigkeit/Ausschlussliste_EN.pdf. En octobre 2016, Feronia Inc. a déclaré en réponse à une demande de la presse : « nous nous sommes inscrits le 14 avril 2016 pour lancer le processus de certification de la RSPO. [ ]. Nous envisageons d’y parvenir au 4e trimestre 2017 pour notre premier site, même si beaucoup reste à faire. Nous avons mis en place un système de suivi qui permettra d’enregistrer les principaux jalons atteints. » En décembre 2020, Feronia-PHC n’avait publié aucune information suggérant que la société avait obtenu la certification RSPO.
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