RDCongo: l’inspection des impôts dénonce la disparition de 205 millions de dollars à Bukanga Lonzo

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La Libre | 19 novembre 2020

RDCongo: l’inspection des impôts dénonce la disparition de 205 millions de dollars à Bukanga Lonzo

Marie-France Cros

L’inspecteur général des Finances a annoncé, lors d’une conférence de presse à Kinshasa, mercredi, la disparition de 205 millions de dollars qui avaient été décaissés par l’Etat pour le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo (Kwango), sous Joseph Kabila. Six responsables ont été « identifiés » par ses services.

Selon l’Inspecteur général des Finances, Jules Alingete Key, en effet, seuls 80 millions des 285 décaissés par l’Etat ont effectivement été affectés au parc agro-industriel, situé à environ 250 km de Kinshasa. La disparition du reste de la somme fait penser à des détournements. Ses services ont « identifié » six responsables, parmi lesquels deux parlementaires, un expatrié, un Congolais en fuite à l’étranger et un autre vivant au Congo.  L’Inspection générale des impôts a saisi la Cour de cassation, apte à juger les membres du gouvernement, les députés et les sénateurs.

Personnes non qualifiées

Alingete Key a estimé qu’il n’était pas étonnant que le projet ait échoué, le marché ayant été attribué  à des personnes non qualifiées, selon lui, et des surfacturations ayant multiplié le prix réel des fournitures jusqu’à dix. Les ministères impliqués à l’époque étaient le Premier ministre (2012-2016) Augustin Matata Ponyo, ainsi que les ministères de l’Agriculture, des Affaires foncières, des Finances, du Portefeuille et de l’Industrie.

Le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo était un partenariat public-privé, dont le contrat avait été signé en février 2014 entre l’Etat congolais et une société sud-africaine, African Commodities. Le projet – produire du maïs, du soja, du manioc, des légumes, des poulets –  avait été lancé en juillet de la même année sur 800 km2, englobant 6 villages et environ 5000 habitants, des Tékés et des Lonzos.



Paysans floués, poison déversé

Ces derniers disent avoir marqué leur accord pour le développement agricole de la zone et reçu quelques cadeaux – des allumettes, des pagnes, une tronçonneuse – pas pour vendre leur terre. Des heurts les opposeront bientôt à la police du parc, tandis que les autorités administratives locales rejetaient leurs plaintes en assurant que la terre appartenait à l’Etat, pas aux villageois.

Selon les défenseurs de l’environnement de l’Oakland Institute, 60.000 litres de glyphosate – un herbicide interdit en Europe en raison de sa dangerosité – ont été déversés sur les champs du parc agro-industriel, se répandant ensuite dans les rivières locales qui fournissent les villageois en eau à boire, à cuire, à arroser et en poisson. En outre, les produits chimiques déversés ont détruit les chenilles et criquets dont se nourrissait la population, selon les paysans.

En 2017, tout s’arrête: African Commodities accuse le gouvernement congolais de ne pas être fiable dans ses plans et ses versements d’argent; en 2018, cette société intentera une action en justice contre Kinshasa. Le gouvernement congolais, lui, rejette la faute sur son partenaire sud-africain. Des tracteurs neufs, des épandeurs ont été abandonnés sur place, a constaté en août dernier le Premier ministre Sylvestre Ilunga, dont les moteurs ont été volés. Des « tonnes » de produits chimiques sont à l’abandon.

Un audit ravageur d’Ernst and Young

En 2017, toujours sous Kabila, un audit avait été commandé à la firme Ernst and Young. Celle-ci avait relevé que le contrat pour la création du parc de Bukanga Lonzo, d’un montant de 150 millions de dollars, avait été signé de manière opaque, de gré à gré (c’est-à-dire sans appel d’offres qui permette de comparer et choisir la plus intéressante), contrairement à ce qu’ordonne la loi congolaise sur les marchés publics. Qu’il n’y avait pas non plus eu d’appel d’offres pour les fournitures d’équipements et produits chimiques et que les prix pratiqués étaient nettement plus élevés qu’ailleurs. En outre, le parc agro-industriel ne disposait d’aucun système comptable et financier, ni d’une organisation administrative, ni d’un système de gestion des stocks. Ils notaient des versements importants pour gravillonner le chemin d’accès alors que ce dernier était toujours dans son état primitif.

La firme d’audit terminait son rapport en conseillant des actions judiciaires contre les responsables politiques impliqués dans cette mauvaise gestion. Mais rien n’a été fait.
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