Jeune Afrique | 13 décembre 2017
RDC : le lobbying européen de Jean-François Mombia Atuku, le défenseur des droits des Pygmées
Par Benjamin Polle
Le Congolais Jean-François Mombia Atuku n’a pas fini de guerroyer contre les entorses aux droits de l’homme en RDC. Le fondateur du Réseau d’information et d’appui aux ONG (RIAO-RDC), militant de longue date exilé à Dakar depuis 2014, vient de boucler deux semaines d'intense lobbying auprès d'institutions internationales et de banques de développement pour protéger les populations Pygmées.
En Belgique, en Allemagne et en France, il se compare volontiers à un autre célèbre militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya, retrouvé mort dans sa voiture en 2010. Du 21 novembre au 2 décembre dernier, Jean-François Mombia Atuku était aux sièges européens de plusieurs banques de développement, pour plaider la cause dont il s’est fait le héraut depuis une décennie : le sort des populations de Pygmées autochtones.
Parfois appelés les plus vieux nomades du monde, les Pygmées sont entre 250 000 et 600 000 en RDC. Régulièrement discriminés et violentés par les autres ethnies du pays, notamment les Bantous, leur pauvreté et leur isolement ont fait l’objet d’alertes récurrentes de la part des Nations unies.
Feronia, le groupe canadien dans sa ligne de mire
De leur sort, Jean-François Mombia Atuku en a fait son cheval de bataille. Et plus spécifiquement des 100 000 personnes – dont un grand nombre sont des Pygmées – qui dépendent directement (9 000 salariés permanents ou journaliers) et indirectement (leurs familles) du groupe canadien Feronia, actif dans la production d’huile de palme au nord de la RDC.
Pourquoi pareille passion ? Tout vient de son lieu de naissance : Basoko. Le 13 mars 1967, il naît sur ce territoire sur lequel s’étendent les plantations de Lotuku, la plus grande des trois exploitations de Feronia en RDC (60 000 hectares). C’est là, qu’à 13 ans, il devient orphelin.
Les récriminations adressées à l’entreprise pleuvent encore aujourd’hui. Elle qui, en 2009, avait racheté à Unilever les Plantations et huileries du Congo (PHC), actives depuis 1911 sur 100 000 hectares, répartis entre l’Équateur et l’Oriental dans le nord de la RDC.
Les Banques européennes de développement dans le viseur
Une trop faible rémunération, un labeur harassant, des logements pour les travailleurs dans un état catastrophique… Toutes ces doléances ont déjà fait l’objet de deux rapports, en 2015 et en 2017, qui mettaient en cause jusqu’aux plus hautes autorités de l’Etat. Dans le viseur aussi, les Banques européennes de développement qui ont apporté leur concours à Feronia pour redresser la barre des PHC.
D’où la tournée dans les sièges de ces institutions que Jean-François Mombia Atuku et plusieurs ONG européennes ont mise sur pied fin novembre, pour leur dire de visu tout le bien qu’ils pensent de la politique sociale de Feronia. « Feronia est dans le rouge [ses exercices 2016 et 2015 ont été bouclés sur des pertes de 11 et 29 millions de dollars respectivement, NDLR] et nous sommes étonnés que ces institutions continuent à la soutenir », expliquait l’intéressé début décembre, au sortir d’un rendez-vous chez Proparco, la filiale d’investissement dans le secteur privé de l’Agence française de développement (AFD).
La banque de développement française confirme le rendez-vous. « Il est essentiel d’avoir des retours de terrain de la part de la société civile pour éventuellement prendre des mesures correctives dont nous discuterons avec nos homologues européens », explique Jérôme Dupuis, chargé de la responsabilité sociale et du dialogue avec les parties prenantes à l’AFD.
L’argumentaire était le même chez Luuk Zonneveld, le PDG de la Belgian investment company in developing countries (Bio-Invest), l’équivalent belge de Proparco, ou auprès de Martin Geiger, le directeur du développement durable de la DEG allemande.
Les institutions internationales réitèrent leurs engagements
Il est peu probable que la démarche de lobbying révolutionne du jour au lendemain les conditions de vie des Pygmées vivant à proximité des concessions de Feronia. Les banques de développement ont en effet réitéré à plusieurs reprises leurs engagements financiers en faveur de Feronia, jugeant que l’entreprise est gage d’activité économique, d’emploi et de souveraineté alimentaire.
À fortiori, certains des griefs adressés à Feronia ont été hérités de PHC, voire des Plantations Lever au Zaïre, le nom de l’entreprise à compter de 1960 à 1997, et n’évoluent pas. Ainsi par exemple les logements des travailleurs, construits entre 1930 et 1980, n’ont plus été entretenus depuis, rappelait une évaluation sociale et environnementales de Feronia, confiée en 2015 au cabinet sud-africain Digby Wells.
Peu importe, pour Jean-François Mombia Atuku, qui n’est pas à une tentative près pour faire entendre ses arguments. « Déjà dans le courant des années 2000, à Kinshasa, le visage de Jean-François Mombia Atuku était connu sur le sujet des Pygmées », se souvient Arnaud Zajtman, ancien correspondant de France 24 et de la BBC dans la capitale congolaise, dont Jean-François Mombia Atuku a été une fois le fixeur. Ce qu’il a fait avec plusieurs journalistes internationaux présents en RDC, dont Ghislaine Dupont.
Exilé à Dakar, il poursuit son combat
C’est d’ailleurs un passage au micro de Bruno Minas sur RFI, en mai 2012, qui lui vaut une première tentative d’arrestation de la part des autorités. Sa faute : avoir ouvertement critiqué les dérapages musclés de la politique de « ville propre » que Kinshasa cherche alors appliquer à tous crins en vue de l’accueil du XIVe sommet de la Francophonie, en octobre suivant.
Un an plus tôt, en conférence de presse, il s’en prenait à la légitimité démocratique de l’élection présidentielle de 2011, mettant un terme à une certaine proximité avec le clan Kabila. « J’avais été chargé d’œuvrer à l’inclusion des Pygmées dans les festivités des 50 ans de l’Indépendance de la RDC, au côté de Denis Kalume Numbi [alors en charge du commissariat général du cinquantenaire de la RDC, ndlr] », se souvient Jean-François Mombia Atuku.
En 2013, le ton a bien changé. Il est sommé – « sous la contrainte », affirme-t-il – de ne plus remettre un pied sur les concessions de Feronia. Les appels de l’ANR, la très redoutée agence de renseignement congolaise, se font pressants, et les rôdeurs aux alentours de son domicile nombreux. Mi 2013, il passe le fleuve et rejoint Brazzaville, puis l’Ouganda. Assisté de la Plateforme de l’UE pour la relocalisation des défenseurs des droits de l’homme, il rejoint finalement Dakar en 2014, où il est jugé plus en sécurité. Il est y depuis exilé avec sa femme et ses six enfants.
Un exil hors de RDC qu’il n’a rompu qu’une fois. Pour conduire d’autres ONG sur les concessions de Feronia et partager son indignation.