La famille Filfili s’est installée dans la zone en 1956, après avoir racheté des terres à un Français.
MANIFESTATION – Scandale foncier de Keur Moussa à Sébikotane : Filfili dans le filet des populations

On se croirait déjà en pleine campagne électorale ! Certes la page des élections n’est encore pas ouverte mais certaines populations semblent carrément verser dans le tapage. En atteste la journée de mobilisation, aux allures d’un meeting, organisée ce week-end par les populations de Keur Moussa, Ndoyène 1 et 2, Souloffe, Birdiam et Sébikotane, en collaboration avec Enda Pronat, pour dénoncer l’escroquerie foncière leur opposant à la famille Filfili. Les contestataires ont sollicité le soutien de l’Etat et de la Société civile.
«Stop Filfili» ! C’est le cri du cœur lancé par les populations de 6 villages impliqués dans un litige autour d’un titre foncier qui appartiendrait à la famille Filfili. Elles ont déversé leur bile, hurlé leur désespoir à travers des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : «Laissez nos terres» «Filfili dégage», «L‘Etat, protèges nos terres», «On a déjà donné assez de terres : Ila Touba, Dangoté…, pensez donc aux générations futures». De Keur Moussa à Ndoyène 1 et 2, en passant par Souloffe, Birdiam et Sébikotane, la vie de plus 40 000 agro-pasteurs semble brusquement s’effondrer face aux lourdes menaces qui pèsent sur leur activité agricole et pastorale du fait de ce litige foncier. Le porte-parole du Collectif de défense des terres des populations, Thierno Sène, au cours de cette journée de mobilisation en collaboration avec Enda Pronat devant la mairie de Keur Moussa, se désole de «la revendication de la famille Filfili de 380 ha occupés depuis plusieurs générations par les populations desdits villages, pour étendre son agro-industrie».
Bataille judiciaire
Le manifestant qui revient sur ce conflit foncier, qui date depuis plus d’un demi-siècle, opposant la famille Filfili aux populations des communes de Sébikotane et de Keur Moussa, explique : «La famille s’est installée dans la zone en 1956, après avoir racheté des terres à un Français. Elle a ensuite créé l’entreprise Safina qui exploite aujourd’hui environ 300 hectares en cultures maraîchères et fruitières dans la zone.» Thierno Sène de poursuivre : «Depuis son implantation, Filfili revendique 680 hectares. Cette famille affirme posséder un titre foncier (Tf) datant de 1956, que les populations contestent. Et depuis 1961, plusieurs procès ont opposé les populations à Filfili, mais la preuve de l’existence du Tf n’a jamais été fournie. En 1992, avec la médiation du Khalife général des tidianes d’alors, El Hadji Abdoul Aziz Sy «Dabakh», l’Etat avait affecté 200 ha «libres» à Filfili et permis aux populations de continuer d’occuper leurs terres.»
Mais c’est en 2004, indique Thierno Sène, que «Filfili demandera aux populations de lui vendre leurs parcelles». Des pressions s’exercent, mais seule une partie de la population accepte de vendre. Aucun acte de cessation n’est dressé et les surfaces vendues ne sont pas mesurées. En 2011, Filfili porte plainte une troisième fois pour récupérer des terres qu’il n’a pas achetées, mais les populations refusent de répondre à la convocation. Quatre ans plus tard, un autre procès est ouvert au terme duquel le procureur «décrète» que la famille Filfili dispose d’un titre foncier et que les occupants doivent libérer les terres. Pourtant, explique le porte-parole du Collectif de défense des terres des populations, «jusqu’à présent, personne n’a pu voir ce titre foncier fantôme. Quand bien même ledit titre existerait, les surfaces revendiquées par Filfili sont illégitimes car les populations n’ont que ces terres, on ne peut les leur retirer à des fins agro-industrielles, alors que c’est leur seul moyen d’existence et leur raison de vivre.
Malgré cela, les Filfili continuent toujours de défricher des champs qui sont, selon eux, dans leur domaine, où se trouvent les 6 villages en question, qui risquent d’être évacués». Ce sont les raisons des dernières manifestations qui avaient eu lieu à Keur Moussa en janvier dernier, au cours desquelles 12 jeunes, dont une femme, ont été interpellés puis emprisonnés durant plusieurs semaines. C’est face à cette situation et en raison des «multiples accaparements de terres» que les populations subissent depuis dans leur zone qu’un collectif de défense des terres des populations plaignantes s’est constitué. «Le collectif a sollicité les services d’un avocat pour défendre les populations et leur permettre de garder voire récupérer les terres sur lesquelles leurs familles vivent depuis toujours», confie Thierno Sène, non sans ajouter que c’est pour «appuyer ce travail judiciaire que le collectif a organisé une journée mobilisation publique pour revendiquer le soutien de l’Etat et de la Société civile en vue de défendre les intérêts des populations pour qu’elles puissent sauvegarder leurs terres». Une cause d’autant plus noble que Ndiaba Diop, habitant Sébikotane, soutient que «dans cette zone, nous n’avons pas d’autres activités à part le travail de la terre et le pâturage».
[email protected]