Birmanie : Des paysans victimes de confiscations de terres

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Deux habitantes du village de New Ahtet Kawin, dans l’État Karen en Birmanie, qui ont subi une expulsion forcée en 2015. Vingt-sept autres villageois qui ont refusé de partir été poursuivis en justice, puis condamnés à des peines de prison allant de deux à six mois. (Photo : Patrick Brown)

Birmanie : Des paysans victimes de confiscations de terres

(Rangoun) – Le gouvernement birman devrait agir d’urgence pour mettre fin aux confiscations illégales de terres dans l’État Karen, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les autorités inculpent régulièrement les villageois pour intrusion illicite quand ils refusent de quitter leurs terres, et dans un cas, les policiers ont incendié un village. Les commandants de milices ont également eu recours aux menaces, à l’usage de la force et à des arrestations arbitraires pour intimider les paysans et saisir leurs terres, en particulier dans les zones que revendiquent encore les groupes armés d’ethnie Karen.

« Les paysans de l’État Karen en Birmanie sont chassés de leurs terres, et menacés ensuite d’arrestation et de peine de prison s’ils tentent de revendiquer leurs droits », a expliqué Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch. « Des entrepreneurs disposant de solides réseaux, des chefs de milices et des responsables gouvernementaux exploitent le droit foncier et les failles de la réglementation pour acquérir des terres, et n’ont guère de considération pour les droits des paysans qui les utilisent depuis longtemps. »

Le rapport de 65 pages, intitulé “The Farmer Becomes the Criminal”: Land Confiscation in Burma’s Karen State » (« “C’est le fermier qui est accusé d’être le criminel” : Confiscations de terre dans l’État Karen en Birmanie ») détaille les violations des droits humains commises par les milices, la police et les responsables gouvernementaux dans l’État Karen, pour confisquer des terres aux paysans d’ethnie Karen, dont les familles les cultivaient souvent depuis des génération.

Les moyens de subsistance des paysans sont menacés par des lois abusives adoptées par les gouvernements précédents, par l’application de politiques foncières mal conçues, et par la réticence des autorités à s’opposer à des responsables locaux corrompus, qui facilitent le déplacement des petits paysans et des villageois.

Comme l’a expliqué un avocat représentant des paysans Karen à Human Rights Watch : « L’entrepreneur prend la terre au paysan. Mais quand le paysan proteste, c’est lui qui est accusé d’être le criminel. » Dans les cas où le gouvernement a saisi des terres à des fins publiques, par exemple pour construire un barrage pour l’irrigation, il l’a souvent fait sans consultations suffisantes, sans respecter la loi, et sans offrir d’indemnités aux personnes déplacées.

Dans l’État Karen, frontalier de la Thaïlande, environ 70 % de la population vit de l’agriculture, ce qui signifie que l’accès aux terres a un impact significatif sur leur droit à l’alimentation et à des conditions de vie correctes. La région est restée engluée pendant des décennies dans un conflit armé entre le gouvernement birman et les groupes armés Karens, marqué par de fréquentes violations graves des droits humains, notamment de la part des forces gouvernementales.

Les lois répressives sur la liberté d’expression appliquées en Birmanie ont servi à étouffer la contestation chez les paysans, qui n’ont généralement pas d’autres formes de recours. Chaque fois qu’ils ont tenté d’exercer leur droit à la liberté d’expression en faisant une demande de manifestation, les autorités leur ont systématiquement refusé l’autorisation. Beaucoup de paysans et d’activistes parmi ceux qui ont tout de même organisé ou participé à des manifestations ont été arrêtés et emprisonnés, aux termes de la Loi sur les rassemblements et cortèges pacifiques, qui définit les manifestations non-autorisées comme des délits.

En 2012, la Birmanie a initié une série de réformes juridiques relatives au droit foncier. Deux nouvelles lois ont permis aux paysans d’obtenir des certificats d’usage de la terre, pour mieux sécuriser leurs droits fonciers. En 2016, la Birmanie a adopté une Politique nationale d’usage de la terre, qui approfondit la classification des terres, les régimes de droit foncier communautaire, et la résolution des conflits.

Néanmoins, malgré ces réformes, les villageois signalent que les guichets fonciers locaux sont inaccessibles et que les responsables refusent parfois d’enregistrer les terres ou ne respectent pas les droits, aux profits d’intérêts financiers. Dans certains cas, les villageois ont affirmé que les responsables des gouvernements locaux jouaient le rôle de courtiers pour des ventes de terres, ou facilitaient l’octroi de permis d’exploitation minière ou pour d’autres projets, abandonnant ainsi les habitants de longue date qui se retrouvent les mains vides, et sans recours effectif.

Malgré l’ouverture démocratique constatée en Birmanie sous le gouvernement de la Ligne nationale pour la démocratie (LND), élue en novembre 2015, peu de choses ont changé à l’heure actuelle pour les paysans et les défenseurs des droits humains de l’État Karen.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement à mettre un terme aux arrestations arbitraires d’activistes des droits fonciers par la police, et à libérer les activistes en attente de procès pour avoir entrepris des actions pacifiques de protestation contre les accaparements de terres. Le gouvernement birman devrait également enquêter de façon impartiale sur toutes les allégations de confiscations illégales de terres, rendre les résultats publics, poursuivre les personnes responsables de violations des droits, et indemniser rapidement et de façon adaptée les villageois injustement privés d’accès à leurs terres.

« Les gouvernements des pays donateurs ne devraient pas être dupes de l’illusion de réforme du droit foncier en Birmanie », a affirmé Phil Robertson. « Dans la pratique, la situation a très peu changé sur le terrain. La réalité, c’est que les responsables locaux, les milices abusives et les puissants entrepreneurs continuent à s’accaparer des terres, en l’absence d’un système effectif en vigueur pour protéger les paysans. »

Sélection de témoignages publiés dans le rapport

« Il y a des choses qui s’améliorent. Il y a de l’électricité dans le village voisin, et elle arrivera peut-être jusqu’ici aussi. Mais tout ça ne sert à rien si nous n’avons plus de terres. »
–Nu Yee, village de San Klo, État Karen, février 2015

« La première fois qu’ils sont venus, ils nous ont dit que les terres étaient à nous. Mais plus tard, ils ont pris 500 acres [200 hectares] pour leurs propres plantations. Ils ne nous ont jamais proposé d’argent en échange. »
–Villageois de Ta Nyin Kone, État Karen, août 2015

« Nous sommes allés au guichet foncier en septembre 2014, et ils nous ont dit : “Il fait trop chaud pour mesurer vos terres,” et ils ne sont jamais revenus pour le faire. On a essayé de leur téléphoner, mais ils n’ont jamais répondu. »
–Villageois de San Klo, État Karen, février 2015

« Nous voulons seulement récupérer nos terres. Nous avons de grandes familles, mais pas de terres pour nos enfants. Nos frères et sœurs sont en Thaïlande à présent. Ils souhaitent rentrer, mais il n’y a pas de terres pour les faire vivre. »
–Villageois de Kuklo, État Karen, février 2015

« Le ministre de l’[Etat Karen], U Zaw Min, vient d’affirmer qu’il a rendu 700 acres [300 hectares] de terres, mais en réalité ils les ont donné aux entrepreneurs, aux copains. Nous avons reçu un document listant les terres rendues à 58 personnes. Mais certains noms sur la liste ne sont pas du village. Environ 30 [personnes] du village ne figurent pas sur cette liste. Les villageois d’ici n’ont récupéré que 186 acres [75 hectares] au total. »
–Villageois de Kuklo, État Karen, février 2015

  •   HRW
  • 02 November 2016

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