par Chérif FAYE
La compensation foncière suscite beaucoup de polémique au Sénégal depuis quelques années. Un certain nombre de limites sont relevées quand aux méthodes utilisées. C’est ce qui ressort du Rapport sur la Gouvernance foncière et la compensation forestière récemment présenté par l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR). Des témoignages recueillis sur le terrain permettent de mesurer l’enjeu social et économique de la question.
Au moment où le Sénégal a amorcé une politique de réforme foncière, plusieurs cas d’insatisfaction sont notés au niveau des différentes communautés affectées par des projets de développement, mais aussi en foresterie. En effet, plusieurs limites sont relevées un peu partout dans les méthodes de compensation. Dans sa présentation sur la compensation dans le domaine minier faite le 12 novembre dernier à Dakar, à l’occasion d’un panel sur les méthodes de compensation dans le cadre d’installation de projets convoitant des terres à usage pastoral, forestier et minier, Mor Sèye Fall, avait signalé la «non participation de certains acteurs au sein des Commissions (ONG, OCB-Organisations communautaires de base), l’absence de suivi des communautés déplacées, les problèmes d’activités économiques alternatives, le caractère subjectif «indemnité juste et préalable», la non compensation des facteurs de production avec la faiblesse des indemnités, les communautés sont dépossédées de leurs terres avant indemnisation et la non prise en compte de certains préjudices (incertains, indirects, éventuels)».
BASSINS CONTRE ROBINETS A GNITH
Au regard de tout ceci, le spécialiste de la compensation des terres à vocation minière s’est demandé s’il était possible de «parler d’indemnité juste et équitable». Il a rappelé que certaines communautés se sont estimées lésées dans leur droit. C’est le cas à Ndiael où une réserve avifaune a été déclassée et 20.000 ha attribués à l’entreprise Senhuile-Senethanol. Ardo Sow, membre du Collectif pour la défense du Ndiael, fustige la procédure. «Dans cette réserve vivaient plus de 37 villages, avec plus de 100.000 têtes de bétail composés de bovins, d’ovins et de caprins. Tous ces villages sont condamnés à partir. Aujourd’hui, le préjudice causé est le manque de terres pour ces communautés qui n’ont plus d’espace pastoral» est énorme, a déclaré Ardo Sow. Pour lui, «si la commune de Gnith, d’une superficie totale de 840 km2 est amputée de 200 km2, sans compter les surfaces agricoles et les habitats, il n’y restera presque plus rien».
Mieux, Ardo Sow dénonce les bassins de rétention réalisés par la compagnie en guise de compensation du préjudice causé, tout en refusant au PREFELAC de fournir de l’eau potable aux communautés vivant autour du lac de Guiers. «Ces différents villages sont obligés d’aller s’alimenter dans ces bassins dont l’eau est impure à la consommation humaine et même animale, parce que c’est une eau stagnante», nous apprend Ardo Sow.
HARO SUR LES NIAYES
C’est aussi le cas dans la commune de Darou Khoudoss où, à Darou Fall comme à Diogo, les populations ont déploré «le déficit d’information, le manque de transparence et l’arrestation de certains acteurs». Ndiakhate Fall, membre de l’Union des groupements paysans de Mékhé (UGPM) a révélé l’intensité du préjudice causé aux communautés locales de Beud Diend, Diogo, Cayar, Mékhé et Fass par l’accaparement de 46.400 ha par des Italiens. «Au niveau du village de Beud, par exemple, même les paysans ne connaissent pas la surface qui a été attribuée à ces Italiens. Car, les chiffres qui sont montrés au niveau de la communauté rurale sont différents des chiffres qui sont à l’APIX», a-t-il laissé entendre tout en déplorant le manque de concertation des autorités avec les populations locales.
IMBROGLIO SUR L’AUTOROUTE A PEAGE
Les populations vivant sur le périmètre de l’autoroute à péage ont aussi, pour la plupart, vécu le même préjudice. A Diack Sao, Tableau Tivaouane, Wakhinane, Sips, Guinaw Rails et Pikine, par où est passé l’autoroute à péage, des habitants estiment avoir été lésés et non indemnisés à la hauteur de leurs droits. «L’argent qui nous est proposé, en tant que pères de famille, est très petit. Nous avons vécu ici pendant plusieurs décennies. Nos enfants y sont nés. Nous avons tout connu ici. C’est une partie de notre vie qui nous est arrachée», renseigne Coundoul. Selon son voisin, Amadou Top, la compensation a des relents politiques. «Il y a un agenda politique dans la compensation car je ne peux pas comprendre qu’un locataire ait pu gagner plus d’argent qu’un propriétaire de maison. C’est du n’importe quoi», fait-il savoir.
L’EXEMPLE DE L’AIBD
Dans le même ordre d’idées, selon les informations fournies par le lieutenant Daouda Bodian du service des Eaux et Forêts, à Diass où est implanté l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD), il était prévu, en guise de compensation, de planter des arbres sur un périmètre de 1200 ha, mais aussi de mettre 304 ha à la disposition des populations impactées, en guise de compensation sur les terres agricoles en déclassant une partie de la forêt classée de Thiès. Il était question, pour l’AIBD, de participer à la lutte contre les feux de brousse par l’équipement des Comités villageois de lutte contre les feux. Mais aussi de construire dans le site de recasement des maisons, des écoles, des cases de santé, des mosquées au profit des populations impactées.
«ILA TOUBA», L’AUTOROUTE A PROBLEMES
De l’avis d’un spécialiste très au fait du dossier de l’autoroute «Ila Touba», cette infrastructure du président Macky Sall draine un chapelet de problèmes qui frustrent les populations impactées. «Le projet est financé à partir du Budget Consolidé d’Investissement de l’Etat. Et, en l’absence de bailleurs, la compensation est faite sur la base du barème de l’Etat. Ce barème offre un taux de compensation très faible par rapport aux pertes subies», nous apprend-il. «D’autres populations vivent dans la même zone, mais ont été impactées par des projets soutenus par des bailleurs. Dans ces projets, les normes appliquées (4.12 de la Banque mondiale) offrent des taux d’indemnisation beaucoup plus conséquents», poursuit-il. «Cette situation conduit à la frustration des populations impactées par Ila Touba qui réclament la revalorisation des taux d’indemnisation pour libérer l’emprise», conclut-il.
DROIT D’USAGE DES 6,240 MILLIONS HA DE FORETS CLASSEES : Un moyen de compensation en faveur des populations
Dans son Rapport sur la Gouvernance forestière, l’IPAR signale que «le Sénégal compte environ 213 forêts classées réparties dans les différents domaines phytogéographiques du pays». Ces forêts, précise ladite ONG, «jouent un rôle très important dans la conservation de la végétation, de la flore et de la faune». Toutefois, poursuit-elle, «un droit d’usage est accordé aux populations des villages riverains de ces forêts classées dont la superficie est estimée à 6.240.000 ha dont environ 1.500.000 ha pour les réserves sylvo-pastorales et 1.980.000 ha pour les zones d’intérêt cynégétique». Ce droit d’usage est généralement un des moyens de compensation en faveur des populations, même si l’exploitation des forêts classées est assez souvent interdite.