La Mauritanie dispose suffisamment de ressources et de bras pour booster le secteur agricole et assurer la sécurité alimentaire, sans avoir besoin d’investisseurs étrangers qui ne veilleront qu’à leurs propres intérêts. (Photo : Banque mondiale)
Accaparement des terres agricoles : Un mal qui s’installe Mauritanie
Jusque-là, la Mauritanie était à l’abri d’un phénomène régional qui avait suscité les 8 et 9 février 2012 à Ouiadah (Bénin), un atelier régional. Il s’agit de l’accaparement des terres agricoles en Afrique de l’Ouest. L’attribution par Conseil des ministres d’une superficie de 31.000 ha des terres agricoles de la Vallée à la firme saoudienne Al Rajihi, soulève ces jours-ci la colère des populations locales et la vive réaction de l’élite nationale.
Le 16 janvier 2914, le Conseil des ministres attribue une superficie de 31.000 ha de terres agricoles situées dans la Vallée, notamment dans la Moughataa de Boghé (Brakna), à la société saoudienne Al Rajihi qui promet d’y investir la bagatelle d’1 milliard de dollars (plus de 300 Milliards d’UM). Il n’en fallait pas plus pour susciter la colère des habitants, de la société civile et d’une partie de l’élite nationale. A ce propos, le vice-président de l’UFP (Union des forces du progrès), opposition, le Pr.Lô Gourmo, a dénoncé cette attribution qu’il qualifie d’entorse grave « au droit agropastoral » et un « manque de respect des garanties et droits démocratiques des gens sur des terres qui leur appartiennent et qu’ils mettent en valeur ».
Ce bail emphytéotique, qui devra durer 99 ou 999 ans, a ainsi provoqué une véritable levée de boucliers dans la Vallée. Les populations, mais aussi les organisations de la société civile exigent aujourd’hui « l’annulation pure et simple de cette décision » qui compromet l’avenir. C’est à ce titre que les populations de Dar El Barka, d’Ould Birome et Dar El Avia, à travers 73 représentants, ont organisé une assemblée générale dans la localité de Zemzem pour une position commune face à la décision de l’Etat. Le projet en question empiète en effet sur l’espace vital de plusieurs communautés, notamment les villages de Boutimbiskit, Bougoutra, Loueïd, Zemzem, des zones agropastorales habitées depuis des siècles par des populations négro-africaines et haratines.
Des ONG spécialisés comme le ROSA (réseau des organisation de la société civile pour la sécurité alimentaire), mais aussi des organisations des droits de l’homme, comme le Fonadh, le Réseau des femmes, Banlieues du Monde,APLV, ARDM, ADIG, AMAD, ANED, Action, Secours, entre autres, se mobilisent également pour mettre fin à ce qu’ils appellent le « Hold up » des multinationales.
D’autres trouvent que le président Mohamed Ould Abdel Aziz, élu président de l’Union Africaine, doit éviter de tomber dans la contradiction, lui qui dans son discours d’investiture, avait mis l’accent « sur l’importance stratégique de l’agriculture pour combattre les fléaux économiques et sociaux qui ravagent le Continent ».
D’autres analystes de souligner que la Mauritanie dispose suffisamment de ressources et de bras pour booster le secteur agricole et assurer la sécurité alimentaire, sans avoir besoin d’investisseurs étrangers qui ne veilleront qu’à leurs propres intérêts. C’est surtout le cas de l’Arabie Saoudite, un pays confronté à la rareté de terres agricoles et qui squattent des terres dans les pays du tiers-monde pour assurer en premier lieu l’autosuffisance alimentaire de sa population.
Au cours de l’atelier régional organisé au Bénin en février 2012, l’accaparement des terres agricoles en Afrique de l’Ouest a été au centre des discussions. Le phénomène serait apparu avec la crise alimentaire de 2008 et s’inscrit dans la logique de l’agrobusiness qui vise le profit. Ce qui serait incompatible avec les objectifs de la souveraineté alimentaire qui milite pour la survie des populations, surtout rurales.
Parmi les nouveaux prédateurs du sol ouest-africain, les Saoudiens, les Américains, les Chinois et les Européens viennent en tête. Que cela soit au Cameroun, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Sénégal, au Mali, dans les deux Congo, au Bénin, l’argent de l’agrobusiness n’a pas fait que du bien aux populations locales. Dans la plupart des cas, selon les études, les investisseurs travaillent dans la discrétion, le sujet étant politiquement sensible, d’où l’absence d’informations fiables sur les activités menées et leurs retombées sur le plan national.
Ainsi, sur les 416 cas d’accaparement de terres agricoles, 228 sont recensés en Afrique. La Mauritanie est sur le point de joindre ce triste peloton.
Cheikh Aïdara