Le Courrier | Mercredi 09 Février 2011
MARIO TOGNI, DAKAR
Solidarité FORUM SOCIAL - L'appropriation de terres par des investisseurs étrangers, particulièrement en Afrique, fait des ravages. A Dakar, constats et perspectives de lutte ont été échangés sur ce sujet.
Le Forum social mondial (FSM) de Dakar s'empare du problème de l'accaparement des terres, un phénomène qui fait des ravages dans le monde paysan depuis quelques années. Qu'il soit le fait d'investisseurs étrangers – Etats ou multinationales – ou parfois d'acteurs locaux, le problème prend de l'ampleur partout dans le monde et particulièrement en Afrique. Au FSM, des perspectives de luttes se dessinent et des voix s'élèvent pour aboutir en fin de semaine à une «Déclaration de Dakar contre l'accaparement des terres». Le texte serait porté par la société civile lors des prochaines réunions du G20. Car la thématique est brûlante. «Après la crise alimentaire de 2008, la communauté internationale s'est mobilisée en disant 'plus jamais ça', constate Ndiogou Fall, chef du Roppa (Réseau des organisations paysannes d'Afrique de l'Ouest). Quelle a été sa réponse? Encourager des investissements massifs dans l'agriculture, avec à la clé l'expropriation de milliers de petits producteurs.»
Business du carbone
Selon Samuel Lorphelin, de Agter (France), les pays du Golfe, la Corée du Sud, la Chine ou le Japon figurent parmi les principaux investisseurs, que ce soit pour assurer leur sécurité alimentaire, produire des agrocarburants ou à des fins purement spéculatives. «On commence aussi à voir des acquisitions visant l'obtention de crédits carbone, par exemple en replantant des forêts.»
Quel qu'en soit le motif, les accords de vente entre Etats ou acteurs privés se font dans la plus grande opacité, souvent au mépris du droit foncier local.
«Le président a donné son accord automatiquement, sans même passer par le Conseil des ministres!» s'insurge Ibrahima Coulibaly, président de la Coordination des organisations paysannes du Mali.
Pour irriguer ses champs, la Libye a également obtenu de faire construire un canal de 40km de long. «Tout a été détruit, des plantations, des cimetières..., poursuit-il. Sur l'ensemble du pays, des contrats de vente ou de location pour plus de 800 000 hectares ont été signés, sur des terres où existent des villages millénaires, des éleveurs, des agriculteurs. C'est un génocide qui se prépare.»
Dans une perspective de genre, Catherine Gatundu (ActionAid Kenya) ajoute que les femmes – qui produisent 80% des denrées agricoles en Afrique – sont particulièrement démunies face au problème. «Lors d'une vente ou d'un transfert de terres, les femmes ne tirent jamais le moindre profit, elle sont oubliées. Le droit coutumier doit impérativement être réinterprété en leur faveur.»
Quelles stratégies?
Que faire contre ce phénomène qui se déploie à l'échelle mondiale, en Afrique, en Asie du Sud, en Amérique Latine et même désormais en Europe de l'Est? La société civile tente de s'organiser aux niveaux local et global. Au Sénégal, Ndiogou Fall préconise d'agir auprès des élus locaux, afin qu'ils refusent de céder des terres aux investisseurs, malgré les fortes pressions exercées par les autorités nationales. «Nous devons aussi faire entrer des acteurs du mouvement paysan dans les conseils ruraux. Sans l'appui d'un parti politique, c'est difficile.»
C'est peut-être davantage au niveau international que l'action pourrait payer. «Après les premières études publiées sur l'accaparement des terres, un important travail de résistance s'est mis en place», explique la colombienne Sofia Monsalve, de l'ONG FIAN-International.
La Banque mondiale a bien dû reconnaître des problèmes, mais elle s'est contentée d'y répondre en édictant en avril 2010 des principes d'«investissements responsables» pour en réduire les effets négatifs. Pour la société civile, cette manoeuvre visant à garantir l'intérêt des investisseurs est «inacceptable», comme l'ont dénoncé d'une seule voix les organisations FIAN, GRAIN et La Via Campesina. «Ces principes n'appellent qu'à leur bonne volonté quant au respect du droit ou des conditions de travail. Ils sont inacceptables car l'accaparement des terres est inacceptable», tonne-t-elle.
Mais la pression des ONG, appuyée par certains gouvernements, a en partie porté ses fruits. A Rome, le Comité de sécurité alimentaire de la FAO a refusé l'an passé d'avaliser les principes de la Banque mondiale. Pour l'heure, tant cette dernière que le G20 semblent ignorer cette position regrette Sofia Monsalve. D'où l'importance de mobiliser la société civile. «Il faut obtenir des directives forte contre l'accaparement des terres. Une déclaration de Dakar pourrait y contribuer», conclut-elle.