Des œufs et des omelettes

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Agoravox | 25 janvier 2011

par Surya

Pour faire une bonne omelette, il faut : des œufs, de préférence pas trop nombreux (mais il faut ce qu’il faut !), si possible à la coquille fragile afin que l’on ait moins de peine à la briser, un saladier creux, une fourchette pour battre le mélange et le rendre bien homogène, sans oublier la main énergique pour tenir fermement la fourchette, puis enfin de quoi faire cuire le tout. Ensuite, on passe à table, et si par chance l’omelette est réussie, savoureuse et digeste, peut-être, dans ce cas, les convives du banquet oublieront le mal qu’il a fallu se donner pour la cuisiner.

« Puisqu’on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs », annonce, apparemment sans état d’âme, un rédacteur sur le site du Journal du Mali, à moins qu’il ne l’ait dit de façon ironique, il faut donc accepter le fait que lorsqu’un projet économique de grande envergure est lancé par un gouvernement dans le but de développer une région de son pays, et ainsi garantir (hypothétiquement) un meilleur avenir pour tous, certains doivent obligatoirement accepter de se sacrifier et jouer le rôle des œufs destinés à être cassés.

C’est exactement ce qui est arrivé à plus d’une centaine de familles de paysans, commerçants et villageois du Mali, résidant dans la zone de l’Office du Niger. Ils ont eu la malchance et le malheur de vivre au mauvais endroit, et donc de gêner la réalisation du projet économique pour lequel ils n’ont bien sûr pas été consultés.

Le projet dont il est question ici, mis en route en 2008 et pour la réalisation duquel les travaux seraient déjà achevés à ce jour, consiste a mettre en culture intensive cent mille hectares de terres à l’Office du Niger, dans la zone de Macina, pour y faire pousser dans un premier temps du riz hybride, puis ensuite diversifier la production en introduisant d’autres cultures et de l’élevage. Avant de lancer les cultures, il était nécessaire de faire de lourds travaux d’aménagement pour agrandir un canal d’irrigation, et construire une route de quarante kilomètres.

Il est vrai qu’à la base, l’objectif tout à fait honorable de ce projet est de développer cette région sous exploitée et atteindre l’autosuffisance alimentaire au Mali. Cependant, il s’avère que les choses ne semblent, d’une part, pas si simples, et d’autre part, pas si claires. On constate d’ailleurs que si certains articles sur Internet exposent clairement les avantages de ce projet, d’autres ressemblent plutôt à des discours de propagande, en tout cas à des discours si optimistes pour l’avenir que l’on ne peut se permettre de douter une seconde de la réussite de cette entreprise.

L’Office du Niger

Si l’on veut vraiment comprendre ce problème particulier, c’est le temps qu’il faut remonter. Remontons donc rapidement nos montres jusqu’en janvier 1932, date de la création de l’Office du Niger.

L’Office du Niger a été créé en 1932, donc, du temps de la colonisation française. Le terme s’emploie pour désigner à la fois un vaste périmètre d’un million d’hectares dans le delta du fleuve Niger (1) et l’organisme qui le gère. Son siège se situe à Ségou. Le périmètre de l’Office du Niger a été défini dans le but d’être mis en valeur par la culture du coton, pour servir l’industrie textile française, mais aussi du riz pour assurer l’autosuffisance alimentaire du pays et de la région, et plus tard de la canne à sucre. Les objectifs étaient extrêmement ambitieux : on annonçait que ce million d’hectares serait aménagé en cinquante ans. Un projet probablement un peu mégalomane, en tout cas mal étudié car, en réalité, comme l’explique René Dumont dans son livre (2), une bonne partie de ces terres étaient inadaptées à l’irrigation. Les prévisions au niveau du nombre de tonnes récoltées étaient démesurées, et sur les 350 000 tonnes de coton attendues à terme, seules 1000 étaient déjà obtenues en 1960, au moment de l’indépendance (2). Le coton est alors définitivement abandonné en 1970, et l’on se concentre uniquement sur la culture du riz, pour laquelle des paysans sont littéralement recrutés de force, même en dehors du Mali. Du travail forcé, comme durant l’époque coloniale, quand fut construit à partir de 1935, à L’Office du Niger, le barrage de Markala, chantier titanesque pour lequel de nombreuses personnes donnèrent leur vie. La promesse qui avait été faite aux paysans de devenir propriétaire de leurs terres cultivées après dix années de travail est vite oubliée, et l’on instaura même une lourde taxe d’irrigation que doit encore payer chaque paysan, ce qui provoque de l’endettement, et enfonce petit à petit les paysans dans la pauvreté. Ceux qui ne peuvent payer sont expulsés de leurs terres.

Tout au long de son histoire (3), l’Office du Niger a été balloté au gré des changements politiques et stratégiques, jusqu’à l’arrivée des capitaux et des grands projets privés, notamment ceux de la société Malibya, une entreprise libyenne d’investissement agricole.

Le point de vue des adversaires du projet

Alors, si le but est de mettre en valeur des terres agricoles, pourquoi ce projet a-t-il fait l’objet, et continue de faire l’objet, de tant de polémiques ? D’abord parce que les paysans et villageois dont la présence gênait la réalisation des travaux ont vu leurs maisons démolies, leurs cultures, leurs jardins maraîchers et leurs arbres fruitiers saccagés et détruits, et ont donc été déplacés de force. Certaines sources annoncent qu’ils ont été dédommagés, avançant même des sommes faramineuses, d’autres affirment que ce n’est pas le cas. Difficile de savoir exactement ce qu’il en est exactement, et qui a reçu quoi, mais une chose est sûre, dans ce genre d’aventures, on n’est jamais dédommagé à la hauteur du préjudice subi. Des années de travail anéanties, balayées d’un revers de la main. Une vie entière qui s’effondre, à reprendre à zéro, ailleurs, là où on vous dit d’aller.

Et la polémique ne s’est pas uniquement focalisée sur le sort individuel des premières familles destinées à payer les pots cassés de ce projet –en admettant que d’autres aient également par la suite à en souffrir. Car les cent mille hectares de terre qui, une fois aménagés, seront exploités de façon intensive ont été offerts à la société Malibya, une société privée libyenne. Certes, elle n’est pas officiellement propriétaire des terres qu’elle va exploiter (normalement, seuls les Maliens peuvent officiellement prétendre à posséder la terre du Mali), et s’est vue offrir un bail de cinquante années (renouvelables), mais depuis longtemps les petits producteurs familiaux de l’Office du Niger, à qui l’on avait alloué une moyenne de deux hectares et un maximum de six hectares seulement, réclamaient à leur gouvernement une augmentation de la taille des parcelles afin de pouvoir développer leur activité, et faire face à l’accroissement de la population. L’attribution de très nombreux hectares de terre à la Lybie est donc vécue comme une énorme injustice. Beaucoup de Maliens, dont les agriculteurs de la région bien sûr, n’ont pas caché leur inquiétude ou leur colère. « Les Libyens ont-ils plus d’importance que les paysans maliens aux yeux du gouvernement ? » s’est insurgé un rédacteur sur un site internet malien.

Le juriste malien Moussa Djiré explique que les terres exploitées des paysans maliens sont seulement régies par le droit coutumier. Cela ne constitue pas un droit de propriété et, par conséquent, l’Etat malien peut les reprendre dès qu’il le juge nécessaire, à condition toutefois d’indemniser les personnes concernées. Il précise également que la Lybie ne s’est pas approprié les terres, comme on le craint, mais qu’elles ont en réalité été données par le Mali à la CEN-SAD (Communauté des Etats sahélo-sahéliens). Pourquoi, dans ce cas, la Lybie aurait-t-elle l’exclusivité des cent mille hectares à exploiter ? La CEN-SAD regroupe en effet vingt deux pays, dont Le Niger, le Sénégal, la Mauritanie, l’Egypte, le Burkina Faso, le Maroc… pour n’en citer que quelques uns piochés au hasard, et sans compter bien sûr le Mali lui-même.

La Convention signée entre le Mali et la Lybie en 2008, dont il sera plus longuement question plus bas, ne mentionne à aucun moment la CEN-SAD, et précise bien, et en toutes lettres, dans son article 17, que « Les deux parties sont convenues de la gratuité de la terre affectée pour la réalisation du projet. »

Les questionnements fusent de toute part. Quel sera le statut de ceux travaillant sur les plantations ? Seront-ils de simples ouvriers agricoles employés par la Lybie ? Les Maliens en général vont-ils profiter des retombées de cette économie ? Le riz malien sera-t-il réellement consommé sur place, ou sera-t-il en réalité exporté vers la Lybie ? La Lybie s’est elle, oui ou non, accaparé un bout de terre du Mali ? Et ce riz hybride, cultivé en partenariat avec la Chine, ne va-t-il pas supplanter de manière définitive les semences traditionnelles des paysans locaux ? Les paysans seront-ils mis en demeure d’acheter des semences hybrides, et seulement des semences hybrides, à la société chinoise qui les fournira ? Y aura-t-il des cultures OGM sur les terres de Malibya ? Autant de questions qui ne trouvent pas, ou peu, de réponses concrètes.

Notons également que l’entreprise chargée de la construction de la route et du canal, choisie par Malibya et non par la partie malienne, est CGC, une entreprise chinoise, ce qui signifie que beaucoup d’ouvriers viennent directement de Chine et qu’en conséquence, peu de Maliens, comparé à ce qui aurait dû se faire, ont pu trouver du travail sur les chantiers.

De nombreux articles d’information ou de protestation, y compris dans la presse non malienne (4), sont parus ces dernières années au sujet de la polémique créée par l’arrivée de Malibya à l’Office du Niger. Maintenant que le projet est en voie de réalisation, il semble que le nombre d’articles parus sur le sujet, du moins sur internet, soit en nette diminution. Cela ne signifie sans doute pas que les agriculteurs maliens se soient ralliés au projet, du moins pas tous. Même s’ils datent déjà de deux ans, les commentaires laissés par les internautes maliens à la suite des articles doivent être pris en compte et considérés comme étant toujours d’actualité, car ils montrent à quel point les Maliens sont inquiets et se sentent floués par cette entreprise. Ainsi, certains internautes accusent la Lybie de ne voir que ses intérêts personnels derrière ses annonces de coopération exemplaire sud/sud, et d’intérêt collectif.

L’amertume a été particulièrement forte lorsque le pays a expulsé, en novembre 2008, plus de quatre cents travailleurs immigrés maliens. Au delà du débat pour savoir si ces personnes étaient toutes en situation irrégulière ou non, l’impression générale des internautes fut alors que la Lybie ne voulait pas des Maliens sur son territoire, tout en cherchant à s’implanter au Mali, et que ce pays n’était pas un réel ami du Mali, comme elle le clame pourtant.

La Convention

La Convention signée entre le Mali et la Lybie est vague et incomplète. Elle parle dans son préambule d’autosuffisance alimentaire, mais en omettant de préciser à qui elle doit profiter. Si l’on comprend tout à fait que la Lybie ait le droit de vouloir diminuer sa dépendance alimentaire vis-à-vis des multinationales et de parvenir à l’autosuffisance pour son propre pays, le fera-t-elle (volontairement ou non) sur le dos du peuple malien ? Si la Lybie souhaite réellement exporter une partie du riz, ce qui serait finalement logique en termes de retours sur investissements, ne va-t-elle pas être obligée de « pomper » dans une production qui devrait être destinée en priorité aux Maliens ? Il serait équitable que la Lybie exporte les excédents de production, si tant est que le projet s’avère plus rentable que celui autrefois mis en place par l’administration coloniale française, et que l’autosuffisance alimentaire du Mali soit réellement atteinte. Va-t-il falloir une production phénoménale de riz pour permettre l’autosuffisance alimentaire non seulement du Mali, mais en plus de la Lybie ? La Convention autorise également la Lybie à utiliser des « semences améliorées », sans préciser de quoi il est question. L’expression peut-elle être interprétée de façon suffisamment large pour que ces semences soient de nature OGM, ce que les agriculteurs maliens ne veulent pas ? Normalement, cela ne devrait pas se faire puisque l’article 20 oblige Malibya à protéger et préserver l’environnement (avec les doutes que provoquent les OGM…), mais si cela s’avérait être le cas, cette interprétation pourrait-elle être contestée, comme le prévoit l’article 23 de la Convention en cas de désaccord quelconque sur l’interprétation ou l’application de la Convention ?

Un autre problème, et un problème majeur, se pose, qui est celui de la distribution de l’eau issue des barrages et des canaux d’irrigation. Les investisseurs libyens paieront bien sûr une redevance en eaux au même titre que les agriculteurs maliens, mais ils auraient très clairement exprimé au gouvernement malien leur désir de se voir attribuer la priorité quant à l’accès à l’eau, en particulier lors de la saison sèche. Très difficilement acceptable, évidemment, pour les paysans maliens ! L’article 8 de la Convention définit les modalités de l’usage de l’eau d’une façon qui semble, en effet, avantager très clairement la Libye. Quand on sait que dans un pays comme le Mali, l’eau c’est de l’or, on comprend l’angoisse des Maliens au sujet de sa distribution équitable.

Le texte de la Convention semble vouloir préciser les droits de la partie malienne. Cependant, les paysans locaux, c'est-à-dire les premiers concernés, n’y sont même pas cités, et aucun de leurs droits n’est garanti. La Convention protège par exemple, dans son article 12, les intérêts du Mali en cas de découverte de matières premières ou de pierres précieuses sur le sol exploité.

L’article 9 accorde à Malibya le droit d’installer toutes les infrastructures souhaitées et nécessaires à un « meilleur fonctionnement du projet ». Ce qui laisse à penser, soit dit en passant, qu’on imagine mal la Lybie, si elle construit de nouvelles infrastructures, accepter ensuite un refus de renouvellement de bail, si tant est que l’Etat du Mali souhaite un jour récupérer les terres… En revanche, si le Mali souhaite construire de nouvelles infrastructures sur les terres de Malibya, comme une voie ferrée par exemple, elle ne peut le faire qu’en accord avec la partie lybienne, qu’elle devra dédommager. L’article 14 stipule : « Dans ce cas [le Mali] doit au préalable dédommager la partie Libyenne contre toutes pertes qui résulteraient de ces travaux. ». Cette clause peut sembler quelque peu abusive... Elle montre clairement que le Mali devra dédommager la Lybie avant même que les pertes ne soient constatées. En admettant que des pertes puissent en effet être prévues, il semble difficile de les chiffrer avec exactitude si elles n’ont pas encore été observées. La Convention ne fixe d’ailleurs aucune limite possible au dédommagement, et ne précise pas non plus qui décidera du montant. Du reste, si on veut prendre cette clause au pied de la lettre et couper les cheveux en quatre, elle oblige clairement le Mali à dédommager la Lybie même si aucune perte ne résultait de ces travaux. On imagine mal le Mali prendre, dans de telles conditions, la décision risquée de développer ses propres infrastructures sur les terres de Malibya, même si elles s’avéraient absolument nécessaire pour le développement du pays.

Interrogé (5) sur les imprécisions de la Convention, Mier Agathane AG Alassane, l’actuel Ministre de l’Agriculture du Mali (6), faisant preuve d’une confiance inébranlable, répond : « dans les accords, on n’écrit pas tout, mais il y a toujours moyen de trouver des consensus pour qu’en cas de crise, la production qui est faite au Mali serve et les Maliens, et les Lybiens. » En cas de crise seulement ? Conclusion : tout semble reposer sur la confiance mutuelle dans cette Convention.

Action des syndicats paysans

Les paysans ne sont fort heureusement pas seuls face à leurs problèmes. Il existe au Mali plusieurs syndicats et groupements pour les défendre. Citons la CNOP (Confédération Nationale des Organisations Paysannes), dont le directeur est Ibrahima Coulibaly. Elle fut créée en mai 2002 et elle est membre du ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l’Afrique de l’ouest). La devise de la CNOP est : « Pour une agriculture cohérente centrée sur l’exploitation familiale paysanne ».

Citons également le SEXAGON (Syndicat des Exploitants Agricoles de l’Office du Niger) créé en 1996 et dont le Secrétaire Général est Faliry Boly, agriculteur à l’Office du Niger.

A l’initiative des syndicats paysans, un forum s’est tenu les 19 et 20 novembre 2010 à Kolongo. Il a réuni deux mille paysans de la région pour discuter de l’accaparement des terres au Mali, et élaborer un appel.

Les partisans du projet

Voir les choses du point de vue des partisans du projet consiste finalement à oublier, ou ne pas prendre en considération, le sort des paysans et villageois expropriés. Il s’agit de ne voir que le potentiel économique de la région, et ce que les investissements massifs vont apporter en matière de développement. Se faire l’avocat de la cause économique, et faire totalement l’impasse sur le côté humain. Il ne s’agit pas de nier que cet aspect économique est primordial, mais il faut trouver, comme pour tout, un juste équilibre.

Voyons pendant quelques instants l’avenir de l’Office du Niger de façon positive et optimiste. Il devenait sans doute urgent, de part l’accroissement de la population et en raison de la crise qu’à connu en 2008 le marché du riz, d’exploiter au maximum les terres de l’Office du Niger. Les terres attribuées à la Lybie, ou à quiconque n’étant pas un paysan local, étaient des terres sous exploitées, comme il y en a tant dans cette zone du pays, et les petites exploitations familiales, si on leur avait attribué ces terres, n’auraient jamais pu parvenir rapidement aux rendements escomptés de 8 à 9 tonnes à l’hectare, au lieu des 2 tonnes actuelles. L’Office du Niger avait sans doute un besoin urgent de ces investissements, que peut être le Mali ne pouvait assumer. Grâce à Malibya, et aux autres investisseurs qui viendront ultérieurement exploiter les terres de l’Office du Niger, la région sera développée, et les rendements agricoles très fortement augmentés. Il faut également faire attention à ne pas confondre l’autosuffisance et la sécurité alimentaires, d’une part, et la souveraineté alimentaire d’autre part. Si le Mali y perdra peut être dans le premier cas, il y gagnera enfin, on l’espère, dans le second.

Selon les partisans du projet, qu’ils soient maliens ou libyens, tout cela a été mis en place dans l’intérêt des Maliens… et de celle de la région. Est-ce là une façon de confirmer que tout ou partie du riz sera bel et bien exporté ? De plus, selon eux, les seuls problèmes rencontrés auraient été le fait de personnes n’ayant pas compris de quoi il était question. Une visite sur le terrain et quelques explications plus tard, ils auraient constaté un retournement complet de l’opinion publique et l’adhésion totale au projet de Malibya. Espérons que cette adhésion, si tant est qu’elle est confirmée, ne repose pas uniquement sur de grandes promesses qui risquent, encore une fois, de ne pas être tenues, ou sur un discours exagérément enthousiaste, car on ne peut tromper éternellement les gens.

Malheureusement, lorsqu’on se refuse à mettre de côté les problèmes que vont rencontrer les agriculteurs maliens, l’optimisme retombe bien vite… Quelles que soient les intentions de la Libye dans cette entreprise, et l’on espère qu’elles sont bonnes, quelle que soit la bonne volonté de ce pays, donc, ou l’absence de ces mauvaises intentions qui lui sont prêtées, il est évident que Malibya vient concurrencer les petits agriculteurs locaux, qui seront forcément les grands perdants. Beaucoup le sont déjà. N’aurait-il pas été plus simple et plus juste, si vraiment il fallait casser des œufs pour faire cette omelette, d’indemniser réellement et à hauteur du préjudice subi les personnes expropriées et déplacées, en leur offrant, en réparation de leur vie bouleversée, de quoi reconstruire rapidement et dignement leur vie ?

Le cas de la société Malibya n’est qu’un exemple, car la Lybie n’est pas le seul pays à vouloir exploiter des terres à l’Office du Niger. La Chine (de plus en plus présente en Afrique en règle générale, et déjà présente sur les terres de Malibya pour la fourniture des semences de riz hybride), l’Inde, les pays du Golfe, les Sud-Africains… voudraient également leur part du gâteau.

Conclusion

Aucun pays au monde n’a jamais investi à l’étranger dans un but purement philanthropique, et même si les Maliens bénéficient vraiment, à terme, de la présence libyenne (notamment) sur leur territoire, il ne faudra pas oublier que, pour atteindre les objectifs fixés, pour que ce grand projet de développement de l’Office du Niger puisse bénéficier à tous, les vies d’une centaine de familles au moins, les « œufs » destinés à faire l’omelette, auront été brisées.

Et plus d’une centaine de familles, cela fait plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles Sidiki Sanogo, commerçant du village de Kolongo, qui a un jour retrouvé sur le mur de sa maison, en français et en chinois, écrit en gros, la mention « enlever », Antoinette Dembélé, agricultrice expropriée et chassée de sa terre, qui a absolument tout perdu, mais aussi Georgette Fouré (qui n’a reçu que 770 euros environ pour sa terre confisquée et sa maison détruite, insuffisant pour redémarrer sa vie) et Tienty Tangaka, tous deux rencontrés par le journal Guardian qui a recueilli leurs témoignages, et tant d’autres dont on ne connaît malheureusement pas les noms. Certains ne seront peut être jamais indemnisés. Quant au statut et à l’avenir des agriculteurs qui travailleront peut-être sur les terres de Malibya, il est pour le moment encore incertain. Et finalement, non contentes de chambouler la vie des vivants, les pelleteuses de Malibya, en retournant la terre, ont également détruit des cimetières. Il est désormais trop tard pour revenir en arrière.

Combien d’œufs aura-t-il fallu casser pour cuisiner cette nouvelle omelette ? Quel est vraiment l’avenir de l’Office du Niger et de ceux qui résident dans son périmètre ? Quel est l’avenir de l’agriculture au Mali en général, dans ce pays devenu l’objet de toutes les convoitises où 80% de la population actuelle dépend du travail de sa terre pour faire vivre sa famille ? Et finalement, de façon plus générale, les investissements massifs dans l’agriculture africaine de capitaux d’origine étrangère marquent-ils la fin, à long terme, des exploitations familiales sur ce continent ?

L’avenir nous le dira.

 

Notes

(1) Source de la carte.

(2) Dumont, René « Pour l’Afrique, j’accuse » Plon, 1986. Un extrait concernant l’Office du Niger peut être lu sur internet.

(3) Voir la vidéo dont le lien est mis ci-dessous : L'Office du Niger : Du Travailleur Forcé... Au Paysan Syndiqué.

(4) Exemples :
Article du journal français Le Monde. Consultable sur abonnement.
Très bon article du journal britannique Guardian.

(5) Voir la vidéo du reportage québécois dont le lien est mis ci-dessous.

(6) A l’époque de la signature de la Convention, le Ministre de l’Agriculture était Mier Sangaré, signataire pour la partie malienne.

 

Pour en savoir plus…

1) Sur l’Office du Niger.

Présentation de l’Office du Niger par lui-même.

L'Office du Niger : Du Travailleur Forcé... Au Paysan Syndiqué. Vidéo sur l’histoire de l’Office du Niger, et les problèmes rencontrés au fil du temps. Il s’agit d’un extrait de 16 mn du DVD qui date d’avant l’arrivée de Malibya. Nombreux témoignages, interviews et images d’archives.


2) Articles optimistes.

Office du Niger : Malibya s’installe pour améliorer la riziculture.


Interview de Abdalilah Youssef, Directeur Général de Malibya.

Interview de Kassoum Denon, président de l’Office du Niger. Février 2010.

La présence de la Lybie dans l’économie malienne.

Enquête sur la présence libyenne dans l’économie du Mali.

Réalisations des investisseurs privés dans l’Office du Niger : Un coup de fouet au développement économique du Mali. Article du 24 décembre 2010.



3) Liens vers des articles, des vidéos… dénonçant le projet Malibya.

La Libye s’accapare de 100 000 hectares dans la zone Office du Niger.

Péril sur le Malibya : Entre ATT et Khadafi la lune de miel se termine. Article de mars 2010.

Les étrangers à l'assaut de nos terres. Très bon reportage de la télévision québécoise, en deux parties. (13 mn + 10 mn. Le lien vers la 2ème partie se trouve sous la vidéo). On peut y voir les premiers travaux de l’entreprise chinoise CGC, de nombreuses interviews, comme celle de Charlotte Sama, agricultrice et représentante locale du SNOP, le Syndicat national des paysans, qui exprime les craintes quant à l’arrivée de la société libyenne et des chamboulements que cela va provoquer, mais aussi de Mier Alassane, Ministre de l’Agriculture du Mali, ou de divers partisans de Malibya comme Seydou Traoré, PDG de l’Office du Niger. Témoignages de Sidiki Sanogo et Antoinette Dembélé.

Inquiétude des paysans maliens sur la question des terres
. 22 novembre 2010. Interviews d’Ibrahima Coulibaly (CNOP) et Faliry Boly (SEXAGON). Format MP3.

Un groupe Facebook s’est créé pour dénoncer le projet Malibya et soutenir les paysans locaux.

Article sur l’accaparement des terres en général au Mali. D’autres pays sont également passés en revue sur ce site.


4) Syndicalisme paysan.

Présentation du SEXAGON.

Entretien avec Faliry Boly.

Forum paysan sur l’accaparement des terres agricoles au mali. Kolongo, 19 et 20 novembre 2010.

L’appel de Kolongo. Dans le cadre du Forum paysan de Kolongotomo autour des accaparements des terres agricoles au Mali. 20 novembre 2010.

Mali – Office du Niger. Le mouvement paysan peut-il faire reculer l’agro business ?
 


5) Au sujet de l’autosuffisance et de la sécurité alimentaires en général :

L’accaparement des terres de rizières met en péril la souveraineté alimentaire de l’Afrique.

Dossier. Sécurité alimentaire et développement agricole en Afrique subsaharienne.

Dossier. La souvenaineté alimentaire en Afrique de L’ouest. Des principes à la réalité.

Programme de l’assemblée générale constitutive du cadre de concertation des organisations des riziculteurs des pays d’Afrique de l’Ouest. 25 au 27 janvier 2011 à Bamako.


6) Divers.

Semences paysanne pour la souveraineté alimentaire.

Main basse sur le riz. Un dossier de la chaîne Arte à partir du reportage sur la crise de 2008 et le marché mondial du riz. Le reportage peut être vu sur le site ou le DVD acheté.

Ministère de l’agriculture du Mali.

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