Inquiet pour sa sécurité alimentaire, le Brésil essaie de limiter les cessions de terres aux étrangers

El Espectador (Uruguay) I 24 juin 2010 | traduction de GRAIN | original

Le gouvernement du Brésil est en train d’étudier la possibilité d’interdire aux étrangers d’acheter de la terre [brésilienne]. Éventuellement, cette loi, qui est encore au stade de l’élaboration, pourrait aller jusqu’à permettre l’annulation de titres de propriété déjà accordés si ceux-ci se trouvent aux mains de personnes étrangères. Cette question concerne en particulier l’Uruguay, car 90 000 hectares de terres brésiliennes appartiennent à nos concitoyens. Le journaliste brésilien Mauro Zanatta affirme que le but du gouvernement brésilien est de « s’assurer que la propriété foncière reste aux mains des Brésiliens, afin de pouvoir gérer la politique agricole ». Dans une conversation avec En Perspectiva, Zanatta a indiqué que face au risque d’une possible explosion démographique, l’administration Lula veut « garantir une nourriture bon marché pour la population afin de contrôler l’inflation. »

Juan Andrés Elhorodoy :

Cette semaine le président du Brésil, Luiz Ignacio “Lula” da Silva, a décidé de faire voter une réforme constitutionnelle pour empêcher les étrangers d’acheter des terres.

Inquiet de ce qu’il considère comme un abus, Lula a désigné un groupe de ministres et de collaborateurs afin d’élaborer une proposition d’amendement à la Constitution.

Selon des informations révélées avant-hier par le quotidien Valor Económico, la réglementation pourrait même permettre l’annulation de certains titres appartenant déjà à des étrangers. Cet article écrit par Mauro Zanatta, fait émerger une réalité qui a beaucoup surpris : les plus gros propriétaires fonciers du Brésil sont les Japonais, les Libanais, les Chinois et au quatrième rang, les Uruguayens.

Emilo Cotelo : Cette répartition a surpris beaucoup de gens et bien sûr, la nouvelle fait des remous ici en Uruguay.  Nous nous sentons également concernés parce que la question d’une éventuelle régulation de la propriété foncière des étrangers revient régulièrement dans les discussions sur nos priorités politiques.

JAE : Et paradoxalement, quand on discute de cette question ici, on insiste toujours sur la superficie des terres uruguayennes qui sont en fait aux mains des Brésiliens.

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Nous allons parler un peu de cette question avec Mauro Zanatta, le journaliste qui a écrit l’article, afin d’éclaircir quelques doutes soulevés par ses informations.

JAE : Quelles sont les principales raisons de cette initiative ?

Mauro Zanatta : Le gouvernement est très inquiet à propos de la sécurité alimentaire. Il essaie de s’assurer que la propriété foncière reste aux mains des Brésiliens, afin de pouvoir gérer la politique agricole et de mettre en place les projets nationaux.

JAE : Pourquoi la sécurité alimentaire est-elle un problème ? Quels sont les dangers possibles ?

MZ : C’est un problème parce que nous sommes 200 millions d’habitants au Brésil et que la population augmente. Le gouvernement a une préoccupation absolument essentielle : garantir une nourriture bon marché pour la population, manifestement pour pouvoir contrôler l’inflation.

JAE : Mais le fait que des étrangers achètent des terres, est-ce que c’est un problème qui s’est exacerbé récemment ?

MZ : Oui, le gouvernement a enregistré, au cours des cinq dernières années, une augmentation des acquisitions foncières par des étrangers. En ce moment, on en est à 4 millions d’hectares mais le chiffre est sous-estimé. Le gouvernement pense que, rien que dans le Mato Grosso, le plus grand État agricole du brésil, les conglomérats argentins comme Los Grobo ou El Tejar possèdent plus d’un million d’hectares. Cela fait beaucoup et cela inquiète le gouvernement.

JAE : Et quels sont les régions et les États les plus attrayants pour les investisseurs ?

MZ : Le Mato Grosso, le Mato Grosso do Sul, Sao Paulo, Bahia et le Minas Gerais sont les États où vous trouvez plus de la moitié des investissements au Brésil.

JAE : En tout cas, le pourcentage semble assez bas si on considère la superficie totale [du pays].

MZ : C’est vrai. Si par exemple vous comparez ces quatre millions aux presque 50 millions qui sont consacrés aux grains et aux céréales, cela fait moins de 10 % de tout le territoire. Mais comme je vous l’ai dit auparavant, c’est une sous-estimation. Certains pensent que ce sont plus de 10 millions d’hectares qui sont aux mains d’étrangers au Brésil.

Ce qui inquiète le plus le gouvernement, c’est l’appétit de la Chine pour les investissements au Brésil. Les Chinois et les fonds internationaux gérés depuis les Émirats Arabes, par exemple, sont très intéressés par la production de nourriture au Brésil.

JAE : Quelles autres nationalités sont impliquées dans ces acquisitions foncières ?

MZ : Sur le registre officiel, les plus gros investisseurs sont les Japonais, avec près de 500 000 hectares au Brésil. Mais il y a aussi les Italiens, les Libanais, les Uruguayens, qui sont censés contrôler 90 000 hectares, les Argentins, les Paraguayens, les Américains et les Chinois.

JAE : Dans l’étude que vous avez publiée dans Valor Económico, L’Uruguay se trouve au quatrième rang des sources de financement des acquisitions foncières. Cette affirmation a surpris beaucoup de gens ici. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

MZ : Je ne sais pas s’il s’agit de citoyens uruguayens ; ça pourrait être des sociétés avec leur siège en Uruguay qui gèrent les investissements au Brésil. C’est ce que pense le gouvernement. Mais comme toute cette question n’est pas encore très claire, puisque les registres ne sont pas fiables, surtout ceux des États, le gouvernement n’a aucune certitude – il a juste fait une estimation – sur ce qui se passe vraiment au Brésil avec la question foncière.

JAE : Revenons-en au projet lui-même. D’un côté, il pourrait établir que les étrangers n’ont pas le droit de posséder des terres au Brésil. Qu’est-ce qu’on peut noter encore ? Dans votre étude, vous mentionnez aussi que des titres de propriété accordés à des étrangers et qui sont déjà enregistrés pourraient être annulés à partir d’une date à déterminer sous peu.

MZ : Oui, c’est ce qu’a affirmé le ministre du Développement agraire, au nom du Président Lula : le gouvernement est prêt à envoyer au Congrès une proposition visant à changer les règles actuelles sur la propriété foncière des étrangers au Brésil.

Nous ne savons pas encore si la proposition se contentera d’établir de nouvelles règles ou si elle sera également applicable rétroactivement.

JAE : Bien sûr, cela pourrait soulever un débat sur l’incertitude juridique, comme c’est très souvent le cas avec ce genre de réglementation. Est-ce qu’un débat a été engagé, sur la base des informations publiées avant-hier, sur de possibles changements qui affecteraient des titres fonciers déjà enregistrés ?

MZ : Oui, le gouvernement est en train d’examiner la question. Un groupe de ministres proches du Président a commencé à évaluer quelles mesures pourraient être adoptées pour éviter l’incertitude juridique ou la rupture de contrats. Mais la volonté du gouvernement est très claire : il veut éviter ou empêcher que des étrangers continuent à acquérir des terres brésiliennes. Nous ne pouvons pas encore avoir une idée exacte de ce que va faire le gouvernement. Le ministre Guilherme Cassel a déclaré qu’ils ne voulaient pas que des étrangers puissent produire au Brésil. Il a dit littéralement : « C’est la politique du Président Lula ».

JAE : Quel autre élément lié à ce problème a poussé à proposer un amendement constitutionnel ? Car c’est bien ce dont il s’agit ici, d’un amendement à la Constitution.

MZ : Oui, l’objectif est en effet de changer la Constitution, les règles constitutionnelles. Pour l’instant, le concept d’une société brésilienne avec des capitaux étrangers est le même que celui d’une société gérée par des non-résidents ou bien une société qui a son siège à l’étranger. Le point crucial est de changer ces concepts afin de pouvoir identifier vraiment d’où viennent les investissements, de savoir s’ils viennent d’une société vraiment brésilienne dirigée par des Brésiliens ou s’il s’agit par exemple d’une société avec des prête-noms. Nous avons eu des problèmes, comme vous le savez en Uruguay, dans le Rio Grande do Sul avec l’entreprise finlandaise Stora Enso : un certain nombre de directeurs de la société ont acheté des terres au Brésil ou les ont enregistrées à leur nom, mais en réalité la terre était destinée à la société, pour son usine à papier. Pour le gouvernement, il est parfaitement évident que ce genre de transaction doit être soumis à des règles très claires.

JAE : Stora Enso possède des pâtures dans la région de Porto Alegre, dans le Rio Grande do Sul, n’est-ce pas ?

MZ : Oui, près de la frontière de l’Uruguay.

JAE : Et dans ce cas, selon la loi brésilienne actuelle, une entreprise comme Stora Enso ne peut pas posséder de terres à exploiter?

MZ : Non, ce n’est pas possible en effet, car la loi interdit aux étrangers d’avoir des terres situées à moins de 150 km de la frontière. La dictature militaire brésilienne avait baptisé cette bande de terre  « zone de sécurité nationale ».

JAE : Pour en revenir à la proposition, qui d’une façon ou d’une autre, est en cours d’élaboration, puisqu’un comité a été désigné pour y travailler, comment les choses vont-elles se passer ?

MZ : Les ministres vont faire une proposition au Président qui la présentera alors au Congrès. Mais cela va dépendre de certaines prises de position politiques, car nous sommes dans une période électorale qui commence en juillet et va vider les rangs du Congrès. Les députés et les sénateurs vont tous rentrer dans leurs États respectifs pour y mener campagne. Cette question reviendra au plus tôt sur le tapis en novembre ou en décembre.

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