AGTER | janvier 2010
SOUDAN
Accaparement des terres.Mathieu Perdriault
Cet article fait partie d’une sélection de cas retenus par AGTER pour illustrer les phénomènes actuels d’appropriation massive de terre dans le monde. Les informations proviennent dans une large mesure de la presse et la plupart peuvent être consultées sur le blog de GRAIN. Ces informations sont souvent très incomplètes. Nous vous invitons à nous aider à les améliorer en nous envoyant d’autres données, en mentionnant vos sources avec précision par le biais du forum associé à cet article.
Caractéristiques du cas
75 accords d’investissement étrangers signés avec de multiples investisseurs engagent 3,5 milliards d’euros au cours des 8 prochaines années dans le secteur de la production agricole.
Politique du gouvernement à l’égard des investissements | Attractive |
Échelle des projets d’acquisition de droits fonciers identifiés | Plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’hectares |
Finalités des projets | Production agricole principalement alimentaire |
Modalités de production | Données non disponibles |
Impacts économiques, sociaux et environnementaux identifiés | Données non disponibles |
Contestations sociales | Données non disponibles |
Description de la situation identifiée
Les investissements dans le secteur agricole autorisés à ce jour engageraient 3,5 milliards de dollars sur les 8 prochaines années. 930 millions de dollars ont déjà été investis en 2009 dans ce secteur soit 17 % du montant total des investissements réalisés dans tous les secteurs économiques du pays. Ils n’étaient que de 700 millions de dollars en 2007 (dont près de 300 millions de dollars d’IDE) soit 3% du total des investissements réalisés au Soudan cette année. Ces investissements sont le fait d’investisseurs originaires de nombreux pays dont l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Koweït, l’Égypte, la Jordanie, la Chine, la Corée du Sud, la Syrie et l’Inde.
Le gouvernement espère désormais l’entrée de 45 milliards de dollars grâce aux terres arables du pays. Le ministre de l’agriculture a précisé à l’agence Reuters, en mai dernier, qu’il espérait que l’investissement agricole constituerait 50 % du total des investissements en 2010, année où, par exemple, le transfert de droits foncier relatifs à plus de 2 millions d’hectares devrait, selon lui, permettre l’investissement de 7,5 milliards de dollars de la part des investisseurs des pays arabes.
Le Soudan disposerait au total de 85 millions d’hectares de terres arables, dont seuls 20 % seraient cultivés. Les zones les plus propices aux cultures sont situées à proximité du Nil, du Nil blanc et du Nil bleu. Le pays offre de bonne conditions climatiques, et notamment des niveaux de précipitation qui permettent de cultiver du blé, produire de l’aliment pour bétail, des oléagineux ainsi que des agrumes.
Selon un représentant officiel de l’État interrogé dans le cadre de l’étude conduite par l’IIED la FAO et le FIDA et rapportée dans Landgrab or Development Opportunity ? (2009), la terre relève de la propriété de l’Etat sur 95% du territoire (bien que la propriété privée soit reconnue au Soudan). La stratégie d’attraction des capitaux vers le foncier soudanais a initialement consisté en des contacts intergouvernementaux destinés à identifier et lever les barrières administratives et diplomatiques aux investissements. Fin 2008, le ministère de l’investissement avait mis en vente un porte-feuille de 17 projets à grande échelle couvrant potentiellement jusqu’à 880.000 ha. Désormais, les acteurs privés allaient être plus directement visés. La Chine, l’Inde et la Malaisie ont dès cette période manifesté le souhait d’investir au Soudan, qui cherchait aussi à attirer l’attention de l’Afrique du sud, du Brésil et de l’Argentine. En zone rurale les prix des locations de terres sont très attractifs. La location d’un feddan (0,42 ha) au nord du pays coûte ainsi entre 2 et 3 dollars (contre 15 à 20 dollars à Khartoum). Par ailleurs, le gouvernement garantit aux investisseurs que leurs activités productives seront exemptes de toutes taxes sur les échanges commerciaux, le foncier, le capital matériel, les revenus et profits.
Le ministre de l’agriculture soudanais a déclaré à l’agence Reuters en mai dernier que la part des productions réalisées par ces investisseurs qui sera exportée ne dépassera pas 70% des récoltes. Le reste doit, selon lui, être vendu sur le marché national. Le pays y trouverait ainsi son compte et parviendrait dans cette perspective à couvrir la totalité de ses besoins en blé d’ici 2011. Les termes d’un accord passé en 2002 montre que cette exigence n’était pas alors formalisée dans le cadre des engagements réciproques des parties. L’accord signé en 2002 qui met 12 600 ha de terres soudanaises à la disposition d’investisseurs syriens prévoit que ces derniers ont toute latitude pour décider de la destination des productions (marché local, national ou exportation). L’étude conduite par l’IIED, la FAO et le FIDA sur les allocations foncières officielles de 5 pays d’Afrique (Land grab or development opportunity ? Agricultural investment and international land deals in Africa) fait apparaître que la production effectuée sur au moins 60 % des terres allouées est destinée aux marchés extérieurs (l’information n’étant pas connue pour 20 % de ces surfaces ; les auteurs signalent aussi le manque de données fournies par les registres soudanais officiels quant au contenu réel des accords en cours de négociation).
Quelques exemples d’acquisitions de droits fonciers à grande échelle
Capitaux égyptiens
En juillet dernier plusieurs médias faisaient état de la prise de contrôle d’un total de 400.000 hectares au Soudan par des investisseurs égyptiens dans le cadre de projets de production agricole. Au début du mois d’octobre, le gestionnaire de portefeuille d’action Citadel Capital annonçait y avoir acquis des droits fonciers sur 210.000 hectares.
En août un autre fonds privé égyptien, Beltone Private Equity, avait fait part de l’investissement prochain d’un milliards de dollars dans des projets agricoles à travers la constitution d’une "joint venture" avec l’entreprise soudanaise Kenana Sugar Company.
Le Sekem Group qui produit des aliments « bio » principalement exportés vers l’Europe et les USA, prône le développement durable et assure des infrastructures sociales à ses employés en Égypte, a établi des compagnies au Soudan pour prospecter de nouvelles terres afin d’accroître sa production.
Capitaux sud-coréens
En juillet dernier, le Bangkok Post mentionnait la détention par des intérêts sud-coréens de droits fonciers relatifs à 690.000 hectares.
Capitaux saoudiens
Selon The Independent, les investisseurs égyptiens présents au Soudan y détenaient en mai dernier des droits fonciers sur 400.000 hectares. Les fonds saoudiens Hail Agricultural Development Company (Hadco) et Al Rajhi for International Investment avaient dans les mois précédent annoncé leur volonté d’investir plusieurs dizaines de millions de dollars dans ce pays.
Capitaux des Etats Unis
Le fonds d’investissement Jarch Management Group (JMG) aurait fait au Soudan l’acquisition de droits fonciers portant sur 800.000 hectares, en deux temps, au travers notamment d’une prise de participation majoritaire au capital de Leac for Agricultural and Investment Co Ltd, une entreprise créée au Sud Soudan par le fils de Paulino Matip, un chef militaire de l’Armée de Libération du Peuple. Selon le Financial Times cet investissement serait appuyé par d’anciens officiels de la Central Intelligence Agency et du département d’État aujourd’hui membres du conseil d’administration de Jarch Capital (liée à JMG ). Phillipe Heilberg, PDG de Jarch Capital ne cache pas faire avec cet investissement le pari d’une prise de pouvoir par les chefs rebelles avec lesquels il a négocié. Paulino Matip est aujourd’hui le commandant en chef de l’armée de la région du sud Soudan qui a obtenu un statut d’autonomie à l’issue de l’accord de paix de 2005 et dont l’autodétermination doit être soumise à référendum au terme d’une période de 6 ans. Jarch Capital est aujourd’hui en contact avec des chefs de guerre de l’ouest du pays ainsi que d’autres pays d’Afrique dont il prévoit la partition.
Investisseurs chinois
Après avoir investi dans la prospection et la production de pétrole au Soudan, la Chine s’intéresse aujourd’hui au secteur agricole de ce pays. Le Soudan est le 3éme partenaire de la Chine en Afrique avec des échanges commerciaux s’élevant déjà à 8,18 milliards de dollars par an. Les accords de coopération discutés au début de l’année prévoiraient que la Chine apporte son savoir-faire, ses capitaux et sa technologie pour relancer le secteur agricole au Soudan. Ils auraient pour objectif affiché de contribuer à la sécurité alimentaire et à un développement économique durable des deux pays.
Voir l’article de présentation des cas sélectionnés, pour plus de détail sur la nature de ce travail, ses limites et son objectif.
Sources
"Land grab or development opportunity ? Agricultural investment and international land deals in Africa", Lorenzo Cotula, Sonja Vermeulen, Rebeca Leonard and James Keeley , IIED, FAO, IFAD, 2009 ;
« Sudan and China to focus on agriculture development », Sudan Tribune, 15/06/2009« Accaparement des terres ou opportunité de développement ? » Note de lecture, FARM, 05/06/2009
« Sudan seeks investors for $45bn farm projects », Reuters, 24/05/09« Africa : Tractored out by “land grabs” ? », IRIN, 11/05/2009
« Sudan eyes growth in Arab agri investment », 03/05/09« Land grab : The race for the world’s farmland »,The independent, 03/05/2009
« Saudi Arabia looks for foreign farmlands to feed itself », Dawn (Pakistan), 26/04/2009« FACTBOX-Foreign forays into African farming », 20/03/09
« Sudan woos investors to put $1bn in farming », Financial Times, By Barney Jopson and Andrew England, 11/08/2008