L’accaparement des terres de la Vallée : Comment les propriétaires traditionnels risquent de perdre leurs terres

Ensemencement du sorgho dans la région de Trarza (Photo : LWF/DWS Mauritania/C.Hovens)

Kassataya | 22 octobre 2009

LE CALAME

Dans son édition du 12 octobre 2009, Le Quotidien de Nouakchott a révélé l’attribution de 2.000 hectares de terres arables de la Vallée, aux Saoudiens, via Foras International Investment Company, une filiale récemment fondée par la Chambre Islamique de Commerce et d’Industrie (CICI), financée par la BID, le gouvernement saoudien et les investisseurs privés, pour la culture du riz destiné à nourrir le royaume des Saoud. Cette information, même si elle ne révèle pas l’endroit exact du site du périmètre rizicole, vient reposer l’épineux problème de l’accaparement des terres du walo de la Vallée du fleuve Sénégal. Elle est amplement suffisante pour accroître l’inquiétude des propriétaires traditionnels qui risquent de voir échapper leurs terres au profit de multinationales.

Il y a des précédents : selon diverses informations, toutes les terres arables du Trarza ont été attribuées et transformées en périmètres rizicoles ou en vergers par des gros bonnets de la République et des processus de revente à des tiers étrangers seraient en cours.

Terres des pauvres pour nourrir les riches

Ces attributions rampantes sont menées, le plus souvent, à l’insu des propriétaires traditionnels qui se réveillent, un matin, avec le bruit des engins venus défricher ou, tout simplement, «aménager» l’espace à la guise des nouveaux tenanciers, ne laissant même pas, aux «anciens» propriétaires, le minimum vital. Selon le site Internet du GRAIN – www.grain.org – une petite organisation internationale à but non lucratif qui s’emploie à soutenir les petits agriculteurs et les mouvements sociaux, dans leurs luttes pour le contrôle du foncier et de la biodiversité des systèmes alimentaires, Foras International Investment Company appuie les pays du Golfe, déficitaires dans la production du riz, en s’appliquant à acquérir des terres à l’étranger, à travers son projet dénommé 7×7 qui ambitionne de produire, en sept ans, sept millions de tonnes de riz sur 700.000 hectares, acquis au Mali et au Sénégal. En Mauritanie, autre pays-cible, Foras a lancé, en 2008, un projet-pilote sur une exploitation agricole de 2.000 hectares. Ce projet est supervisé par une équipe de consultants de l’Université de Kasetsart, en Thaïlande. Dans sa quête de terres à cultiver, Foras a déjà acquis 500.000 ha au Sénégal, 200.000 ha au Mali et 10.000 ha au Soudan.

Cet accaparement est plus qu’inquiétant : dangereux ; et l’on pointe du doigt de possibles implications souterraines de multinationales de l’agro-business ou des biotechnologies, qui, à l’instar de Monsanto, visent à contrôler la production mondiale, par des investissements fonciers à l’échelle planétaire. Les transactions se multiplient. Ainsi, selon l’International Food Policy Research Institute (IFPRI), think-tank basé à Washington, près de 20 millions d’hectares de terres agricoles cultivables – environ le cinquième de toutes les terres agricoles de l’Union européenne – auraient été acquis, depuis 2006, pour une valeur de 30 milliards de dollars US. Selon le Grain, les plus grosses transactions portent sur l’acquisition saoudienne de 500.000 hectares de terres en Tanzanie, et l’achat, par les Emirats Arabes Unis, de 400.000 hectares, au Soudan. En décembre dernier, le Qatar a acquis 40.000 hectares de terres, au Kenya, en échange d’un prêt de 2,5 milliards de dollars, pour permettre au pays de construire un second port en eau profonde.

Ces accaparements des terres cultivables, louées ou achetées par des multinationales, ne peuvent qu’aggraver la crise alimentaire et la famine dans ces pays, éternels quémandeurs de nourriture, malgré leur potentiel agricole. Plusieurs organisations n’ont pas manqué de fustiger la complicité des gouvernements et de condamner cette nouvelle manière d’affamer leurs populations. Des experts agricoles agricoles ont publié, le 7 septembre dernier, un appel à l’arrêt de l’accaparement des terres cultivables par les Etats du Golfe. Le PAM met en garde contre le risque de «tsunami silencieux de la faim.» Ces experts s’inquiètent de l’«alliance» entre Foras et l’IRRI, important centre de recherche agricole en Asie, basée aux Philippines, dont la mission, théorique, est de réduire la pauvreté et la faim, améliorer la santé des riziculteurs et des consommateurs, et garantir que la production du riz est écologiquement durable.

A cet égard, on comparera ces alléchantes propositions aux programmes édéniques de Monsanto – www.monsanto.fr – dont une enquête de Marie-Monique Robin – à télécharger, gratuitement, sur le site Internet : http://www.torrentdownloads.net/searches/lemondeselonmonsanto – diffusée, en mars 2008 sur Arte, a mis en évidence les sombres machinations. The Asian Pensant Coalition accuse Foras de voler les terres. La Fédération nationale des agriculteurs du Mali, la Confédération nationale des organisations paysannes se battent contre un projet similaire, financé par le fonds souverain de la Libye, qui a acquis 100.000 ha au Niger. Pour sa part, le réseau des organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest a dénoncé, avec véhémence, la saisie des terres.

Vallée de tous les dangers

Il y a quelques mois, les populations de six villages du département de M’Bagne ont découvert, sur leur terres, un bornage injustifié. Aussitôt, l’information s’est répandue, comme une traînée de poudre, dans les environs. L’inquiétude monte. Les ressortissants des villages concernés, résidents à Nouakchott, sont saisis. Le préfet de M’Bagne déclare n’avoir pas été informé de la pose de telles bornes et demande aux populations de lui donner le signalement du véhicule qui aurait déposé celles-là, son immatriculation – SG, IF, IT ou privé? – ce que, bien sûr, ceux qui ont découvert le bornage n’ont pu relever. De toute évidence, les poseurs ont travaillé en catimini. Depuis, les choses en sont restées là, point d’enquête administrative et les populations demeurent sur leur garde et leur angoisse. La portion de terres fertiles entre Lével Baly et N’Garane aurait-elle fait l’objet d’une attribution à la sauvette, sans affichage au niveau de la moughataa? L’administration n’est-elle, vraiment, au courant de rien ? Des questions que les gens de la contrée se posent, sans réponse, et les populations des villages de Sorimalé, de Lilya, de Thilla, de M’Botto, de Thiguélel et d’Al Baidy redoutent de voir débarquer, comme ce fut le cas pour les gens de Garlol, situé non loin de là, des engins d’un officier de l’armée, pour la «mise en valeur» de leurs terres et leurs pâturages. «Un exploitant privé, homme d’affaires ou officier de l’armée, aurait-il fait main basse sur nos terres de survie?», soupirent les cultivateurs de ces villages qui entament, ces temps-ci, les travaux champêtres du Walo.

De fait, depuis l’édification des barrages de Manantali, au Mali, et de Diama, sur l’embouchure du fleuve Sénégal, près de Saint-Louis, les populations de la Vallée se demandent à quelle sauce leurs terres seront-elles mangées. Pourront-ils sauver l’essentiel pour leur survie ou deviendront- ils de simples ouvriers agricoles, à la solde des multinationales, taillables et corvéables à merci, sur leurs propres terres? L’expropriation des terres cultivables et des zones arborées de la Vallée était devenue la gymnastique favorite des hauts officiers de l’armée et des gros hommes d’affaires, avec la complicité de l’administration, s’appuyant sur la réforme foncière et domaniale de 1984, considérée, par les riverains, comme un vulgaire instrument d’expropriation des terres de la Vallée et dont, notons-le en passant, le décret d’application n’a jamais été signé… Ces périmètres, surtout celui des Saoudiens, s’il se concrétise, contribueront, très certainement, à affamer les propriétaires traditionnels, en transformant les plaines fertiles du walo, domaine du sorgho, du maïs et des haricots, vivriers, en périmètres rizicoles et maraîchers, pour l’exportation.

L’accaparement des terres cultivables de la Vallée, par des multinationales cupides, intervient une année où le paddy se porte très mal, en Mauritanie, avec un déficit tournant de 25%, quant à la consommation nationale. En dépit de la course, effrénée, vers les terres de la Vallée, les nouveaux exploitants mauritaniens n’ont pas réussi à nourrir le pays. Ils ont réussi, par contre, à ruiner l’Union Nationale des Coopératives Agricoles et des Caisses d’Epargne de Mauritanie (UNCACEM). Cette vache à lait de gros bonnets qui n’ont rien à avoir avec l’agriculture traîne une dette de 45 millions de dollars US. Elle aurait envoyé huit cents mises en demeure à ses débiteurs. Un sacré challenge.

Comme à leur habitude, nos hommes d’affaires se ruent, sans aucune expérience et encore moins de compétence, dans les secteurs censés générer de l’argent. Ce fut le cas avec les pharmacies, les stations de service, les bourses, les bureaux de change, etc. Or, l’exploitation agricole requiert sinon des moyens colossaux, du moins une main d’œuvre qualifiée, expérimentée, et un marché adapté. Rien de tout cela, chez nous. Rappelons qu’en 2008, la production rizicole s’élevait à 60.000 tonnes. Mais, selon des sources autorisées, seuls 2.000 hectares ont emblavé, cette année, ce qui augure d’une chute probable d’au moins 10 % de la production.

Le processus d’expropriation des terres de la Vallée par des multinationales ne fait que commencer. Les gouvernements et autres investisseurs privés du Nord et de l’Asie sont à la recherche de terres à l’étranger, officiellement pour produire du riz, afin de nourrir leurs populations. Probablement, téléguidés, sinon influencés par des entreprises qui visent à la domination mondiale de l’agro-business et des biotechnologies agricoles. En tout cas, toujours au détriment des populations résidentes. Le GRAIN a relevé une centaine de transactions cette année. Conséquence d’une crise financière qui a engagé les spéculateurs à se tourner vers l’alimentaire? Ou plan concocté de plus longue date, juste servi par une conjoncture «favorable»? Le traitement de ces questions demande, à l’évidence, une concertation mondialisée des petits agriculteurs pour établir, ensemble, des stratégies efficaces de lutte contre ces grands prédateurs.

Daly Lam
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