Peuples indigènes : le cri du cœur du cacique Ninawa à Emmanuel Macron

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Le chef du peuple Huni Kui, le cacique Ninawa, a participé au forum mondial Normandie pour la paix, à Caen, jeudi 30 septembre et vendredi 1er octobre 2021. | JOEL LE GALL, OUEST-FRANCE

Ouest-France 01/10/2021

Peuples indigènes : le cri du cœur du cacique Ninawa à Emmanuel Macron

De passage en France, le cacique Ninawa, chef du peuple Huni Kui, dans l’État de l’Acre, en Amazonie brésilienne, s’adresse à Emmanuel Macron. Dans un courrier que Ouest-France s’est procuré, il reproche au président français de ne pas s’être associé aux pays européens qui ont porté la voix des indigènes lors du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU.

Voici la lettre du cacique Ninawa, chef brésilien du peuple Huni Kui. Il s’adresse à Emmanuel Macron :

« Monsieur le Président Macron,

Je suis chef du peuple indigène Huni Kui, dans l’état d’Acre situé en Amazonie brésilienne, mais c’est aussi en ma qualité de représentant d’un mouvement mondial unissant des leaders indigènes traditionnels et leurs alliés engagés pour la protection de la planète, l’Alliance des Gardiens de Mère Nature, que je m’adresse également à vous aujourd’hui, alors que vous vous apprêtez à assumer la présidence de l’Europe.

Avec le soutien de la jeunesse mondiale engagée pour le climat, nous avons lancé au printemps 2021 un appel d’urgence à l’action aux dirigeants européens et à l’UE, qui continuent à participer à la déforestation par l’importation de produits issus de la région, mais celui-ci n’est toujours pas entendu. Par voie de conséquence et malgré notre résistance vaillante ces derniers mois, nous continuons à voir nos territoires envahis, nos peuples agressés et notre Amazonie agoniser.

La communauté internationale peine à se mobiliser. Ce mardi 28 septembre, sept pays européens se sont enfin exprimés publiquement par la voix du Danemark lors du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, pour dénoncer les agressions que nous, peuples originaires, subissons. Il est triste de constater que la France n’en faisait pas partie.

« Nous vous appelons à faire beaucoup plus »

La France est mentionnée dans les pages d’histoire comme le pays voué à la défense des droits humains. Vous avez affiché votre soutien au cacique Raoni Metuktire. La France a contribué à une aide financière conséquente pour aider les indigènes face à la crise de la Covid-19 mais la France tarde à prendre position face aux assassinats de nos chefs et à la violation de nos droits constitutionnels à la terre.

Votre pays, tout comme d’autres pays européens, a pourtant contribué pendant des années à la protection de nos forêts et à la démarcation de nos terres indigènes, à travers un programme de coopération internationale : le PPG7.

Ce programme, engagé dès 1992, était déjà une confirmation de l’importance de nos territoires pour l’équilibre de la planète en matière de climat et de biodiversité. En 2019, pendant le court laps de temps où les incendies en Amazonie ont fait la Une des médias, vous avez qualifié l’événement de crise internationale et appelé à une grande mobilisation.

Les incendies ont repris plus fort encore en 2020 et 2021 et nous, les gardiens de la forêt, sommes assaillis de toute part, comme jamais encore auparavant. Bien que la crise se soit considérablement aggravée, vous n’avez plus pris position sur le sujet. Les citoyens européens qui se sont unis à nous attendent de la continuité de la part de leurs dirigeants. Vous aviez appelé à réduire les importations de soja brésilien lié à la déforestation. Au regard de la gravité de la situation actuelle, nous vous appelons à faire beaucoup plus.

« L’accord de libre-échange UE-Mercosur donne à Bolsonaro toute latitude pour nous détruire »

Vous n’ignorez pas qu’avant même son application, l’accord de libre-échange UE-Mercosur, signé entre les pays d’Amérique latine (dont le Brésil) et l’Union européenne, donne à Bolsonaro toute latitude pour nous détruire. Soutenu par de grandes entreprises nationales et internationales, le Brésil est incité par cet accord à augmenter de façon exponentielle le montant de sa production agricole, bovine et minière… aux dépens de l’Amazonie et des autres écosystèmes.

Ainsi, l’administration actuelle travaille-t-elle à autoriser ou amnistier l’extraction et l’exportation de bois, les feux de forêt ravageant faune et flore pour créer des champs destinés aux monocultures de soja et à l’élevage de bétail. Cette même administration travaille-t-elle à légaliser et institutionnaliser l’envahissement des territoires des peuples originaires, considérés comme un obstacle à l’agrobusiness et à ce qu’on appelle à tort le « développement », qui se caractérise en fait par une forme très agressive de prédation et d’accaparement.

« Nous voulons simplement être entendus »

Après avoir fragilisé ou perverti les instances nationales veillant à notre protection, contaminé nos sols et nos rivières et empoisonné nos villages par la prolifération de pesticides interdits dans de nombreux pays, l’administration Bolsonaro veut détruire plus de trente ans de lutte et d’investissements internationaux en tentant de faire approuver la thèse du marqueur temporel.

Celle-ci dénature la Constitution et considère que toute terre indigène n’ayant pas été identifiée à la date de son entrée en vigueur, soit le 5 octobre 1988, doit être annulée. Cette thèse est au cœur du projet de loi 490, qui autorise également le contact avec les peuples isolés, les plus vulnérables de tous, interdit l’expansion de terres déjà délimitées et autorise l’exploration des territoires indigènes par l’industrie minière.

Dès son approbation, la majorité des peuples autochtones et traditionnels perdront tous leurs droits et seront expulsés des lieux où ils vivent et soumis à toutes sortes de violations des droits humains. Ce projet n’en est qu’un parmi beaucoup d’autres, nous sommes cernés et assiégés de toute part par cette administration qui nous a déclaré la guerre avant même son entrée en fonction en affirmant qu’il ne délimiterait pas même un centimètre de terre indigène, déployant contre nous dès son élection une violence que nous croyions disparue depuis les heures les plus sombres de la colonisation.

Nous, peuples indigènes, voulons simplement être entendus et invoquer le droit garanti par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) à la consultation libre, préalable et éclairée, que cette administration essaie aussi de nous retirer.

Voilà plus de trente ans que nous alertons le monde. Par notre voix, la nature a longtemps demandé de l’aide, en espérant que les hommes comprennent l’importance de prendre soin des derniers espaces naturels. Prévenant que l’humanité ferait face à des situations catastrophiques résultant des actions et de l’avidité d’hommes sans conscience, et qu’il serait trop tard alors pour trouver des solutions.

En planifiant de façon aussi délibérée la destruction de nos territoires auxquels nos cultures millénaires sont liées, l’administration Bolsonaro lance une nouvelle vague de génocide des peuples indigènes et met en danger l’humanité entière ainsi que les générations à venir.

Nous vous appelons donc, Monsieur le Président, à une réaction et à des actes à la hauteur du drame annoncé. Aujourd’hui, il faut choisir entre quelques décimales au PIB de la France et des pays d’Europe et nos propres vies.

Nous sommes des gardiens dotés de la force de la spiritualité pour comprendre et respecter la vie. Tant que nous serons agressés, nous ne pourrons accomplir correctement notre mission de protection. Il ne restera alors plus rien pour nos et vos descendants, car l’argent, le nom et le pouvoir qui leur sont légués n’auront aucune valeur sur une planète morte.

La Terre Mère ne peut plus attendre ! »

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