RDC – Des fonds de pension et de dotation internationaux impliqués dans les abus du secteur de l’huile de palme

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Une production artisanale d’huile de palme au village de Yalifombo. Photo : Oskar Epelde, crédit photo de l’Oakland Institute.

Mongabay | 19 avril 2021

RDC – Des fonds de pension et de dotation internationaux impliqués dans les abus du secteur de l’huile de palme

by John C. Cannon | Translated by Delphine Tomlins

  • Un nouveau rapport du cercle de réflexion Oakland Institute dénonce le financement par plusieurs fondations, fonds de pension et trusts internationaux d’une société de plantations de palmiers à huile en République démocratique du Congo, accusée d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement.
  • La société Plantations et Huileries du Congo (PHC) a récemment été achetée par deux investisseurs privés, et plusieurs banques européennes de développement ont investi des millions de dollars dans les activités de la société.
  • PHC est poursuivie pour de violentes répressions perpétrées par la police et les agents de sécurité travaillant sur les plantations. La dernière accusation remonte au mois de février 2021 avec la mort de l’un des manifestants.

D’après un nouveau rapport de l’Oakland Institute, le cercle de réflexion californien, des sociétés de fonds d’investissement bien connues américaines, européennes et sud-africaines financeraient des plantations de palmiers à huile qui ont été au centre de plus d’un siècle de violence au nord-est de la République démocratique du Congo (DRC).

Les habitants des communautés situées près des plantations de Boteka, de Lokutu et de Yaligimba gérées par Plantations et Huileries du Congo (PHC) ont indiqué que les terres de leurs ancêtres avaient été saisies dans le passé par les autorités coloniales belges pour y établir des plantations massives de palmiers à huile.

Réparties sur trois différentes zones, les concessions de palmiers à huile couvrent plus de 107 000 hectares à travers le pays. Les populations locales expliquent que leurs droits à la terre et leurs moyens de subsistance continuent d’être menacés au profit des bénéfices recherchés par la société et les investisseurs étrangers. Le rapport de l’Oakland Institute et des organisations partenaires fait état de conditions de travail laborieuses et dangereuses pour les ouvriers sous-payés, comme par exemple, une exposition permanente aux pesticides utilisés pour garantir une production intensive des fruits oléagineux. Les déchets des plantations qui se déversent dans les affluents locaux de la rivière Congo soulèvent également des préoccupations.

Bien que cette affaire ait fait beaucoup de bruit, plusieurs proéminents investisseurs, fondations, fonds de pension et de dotation basés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud continuent de financer les plantations de la société PHC. Au cours de la dernière décennie, les banques européennes de développement ont également injecté des dizaines de millions de dollars dans les plantations.

« Alors que plusieurs investisseurs prétendent promouvoir des investissements socialement responsables et durables sur le plan environnemental, ils ferment les yeux sur les nombreux abus dans les concessions de PHC », a souligné Andy Currier, auteur du rapport. Currier a ajouté que les structures de propriété complexes permettent à ces fonds de pension, fondations et fonds d’université de conserver leurs distances par rapport au long historique d’abus envers les communautés locales tout en recherchant un bon retour sur investissement.

Le plus récent de ces abus remonte à la mi-février 2021, avec l’arrestation de Blaise Mokwe, un habitant d’une communauté établie près de la plantation Lokutu. Accusé d’avoir volé des fruits de palme dans la plantation, il a été arrêté par les forces de sécurité de PHC. Pendant sa détention, Mokwe a été battu et a succombé quelques jours plus tard à ses blessures.

Le 1er mars, PHC a présenté ses condoléances à sa famille sur son site.

« PHC collabore pleinement avec la police et les autorités de Lokutu dans l’enquête sur les circonstances du décès de M. Mokwe pour déterminer si les blessures causées par les agents de sécurité de PHC ont entrainé sa mort », lit-on dans le rapport. « Les personnes accusées ont été immédiatement suspendues de leurs fonctions jusqu’au résultat de l’enquête. »

Mais selon l’Oakland Institute et les organisations avec lesquelles il collabore en RDC, la mort violente de Mokwe s’inscrit dans un long historique de violences qui continuent de sévir, et ce, quelles que soient les autorités au pouvoir. Ils ajoutent qu’en plus de se retrouver exposés aux produits chimiques utilisés pour l’agriculture industrielle, les membres de la communauté sont privés d’accès aux zones forestières des concessions, sources alimentaires et médicinales.

Dans son rapport, l’Oakland Institute dévoile le nom des proéminents investisseurs finançant ces activités. Bill & Melinda Gates Foundation Trust, le fonds de pension du Royal County of Berkshire, le fonds de pension et d’investissement des fonctionnaires d’Afrique du Sud, et le fonds d’investissement de l’université du Michigan seraient tous des « investisseurs de premier plan » dans des fonds gérés par Kuramo Capital Management, une société indépendante de gestion d’investissements… Kuramo est basée aux États-Unis mais son activité principale repose sur les placements financiers en Afrique. Les chiffres de 2020 révèlent qu’elle est le principal actionnaire de PHC.

Dans un e-mail, un porte-parole du fonds de pension du Royal County of Berkshire a affirmé ne « pas être impliqué dans les affaires de » Straight KKM, la société qui détient actuellement PHC, et n’avoir jamais non plus investi dans la société. Toutefois, d’après un rapport de 2016, le fonds de pension aurait investi 10 millions de GBP en 2012 dans la société de fonds d’investissement privé de Kuramo Africa, qui appartient à Kuramo Capital. Kuramo Africa, quant à elle, serait impliquée dans la structure de propriété de Straight KKM, d’après l’étude de l’Oakland Institute.

Anuradha Mittal, fondateur et directeur de l’Oakland Institute, a indiqué que la démarche de diligence raisonnable mise en place par ces trusts, fonds de dotation et fonds de pension n’avait pas été clairement formulée, si tant est qu’’ils en aient appliqué une avant d’investir leur argent dans la société Kuramo.

« Je suis sûr que lorsqu’ils rachètent des bureaux à Seattle, ils s’assurent avant tout de la régularisation des titres de propriété etc., non ? », a souligné Mittal à Mongabay. « Mais quel genre de travail est effectué lorsque vous opérez en RDC ? » a-t-il ajouté.

En juillet 2020, Kuramo et Mafuta Investment Holding Limited basée à l’Ile Maurice ont racheté PHC auprès de Feronia Inc., implantée à Toronto, via une société connue sous le nom de Straight KKM pour 500 000 dollars, en complément d’un accord pour la prise en charge des dettes de Feronia. À cette époque, PHC appartenait à Feronia qui se trouvait en dépôt de bilan. Kuramo possède maintenant 85 % des parts de Straight KKM, détenant, quant à elle, 76 % des parts de PHC. Les 24 % de parts restantes revenant au gouvernement congolais.

L’université du Michigan et la Bill & Melinda Gates Foundation se sont refusées à tout commentaire sur leurs investissements respectifs ou participations. Aucune autre organisation financière n’a souhaité répondre aux sollicitations de Mongabay pour étoffer ces informations.

Dans un rapport partagé avec Mongabay, PHC fait observer que leurs plantations offrent des emplois là où très peu d’opportunités existent et que « PHC a un impact incroyablement positif sur la vie de ses employés, de leur famille, des communautés avoisinantes, et du pays en général. »

PHC a également affirmé avoir distribué plus de 10 millions de dollars dans les domaines de la santé, de l’approvisionnement en eau et dans des projets d’éducation ces dernières années à destination des communautés locales. La société a également mis en place un nouveau plan d’action environnemental et social supposé booster les normes environnementales, améliorer les conditions de travail et de salaire grâce au soutien des banques de développement participant au projet.

« Bien que PHC ne prétende pas que les choses soient parfaites, et reconnaisse qu’il y ait encore du travail à faire, il est fort regrettable de constater qu’il y ait des personnes qui, pour quel que motif que ce soit, semblent déterminées à compromettre les progrès positifs accomplis par la société à travers la perpétuation d’informations et d’allégations mensongères, exagérées, et/ou inexactes », stipulait le rapport de la société. « PHC ne croit pas non plus que les opinions d’une petite minorité soient représentatives d’une vaste majorité d’employés et de communautés locales vivant sur le site des opérations ou dans ses environs et considérant la présence de PHC et sa survie comme positive et d’importance vitale. »

Kuramo renforce sa position d’investisseur en Afrique et met en exergue les racines de bon nombre de ses dirigeants. Walé Adeosun, fondateur de Kuramo et directeur des investissements, a indiqué cette connexion dans un rapport publié en juillet 2020.

« [Straight] KKM réunit un groupe de professionnels spécialisés dans les investissements sur le continent africain avec des racines profondes dans les communautés africaines », a déclaré Adeosun dans le rapport. « Nous sommes nés et avons grandi en Afrique, et beaucoup d’entre nous y vivent toujours. C’est pourquoi il est si important à nos yeux de nous assurer du succès de l’ensemble de nos investissements. Et PHC n’est pas une exception. »

Frédéric Mousseau, directeur politique de l’Oakland Institute, a indiqué que cette connexion ne suggère en aucun cas que leurs investissements puissent être bénéfiques aux communautés.

« Le fait que la société soit gérée par quelques individus africains ne signifie pas pour autant qu’ils font mieux les choses », met en garde Mousseau. Le site internet de Kuramo indique qu’elle investit beaucoup dans les régions d’Afrique subsaharienne en forte croissance économique, en misant principalement sur le secteur en plein essor de l’électricité et sur celui du marché des obligations sur le continent.

Selon les militants et les organisations de la société civile des communautés de Boteka, Lokutu et Yaligimba, les problèmes des plantations remontent à 1911. À cette époque, un Britannique du nom de Lord Leverhulme avait acquis un terrain aux mains des autorités du Congo belge. Non seulement les communautés n’avaient pas été consultées sur le terrain forestier sur lequel les plantations avaient été établies, mais en plus les habitants de la région avaient été forcés de travailler pour PHC, ont indiqué leurs descendants.

Grâce à ces avantages coloniaux, les plantations ont été très profitables à l’origine et ont ensuite dynamisé la création d’Unilever, l’une des plus grandes multinationales de biens de consommation.

Le pays connu sous le nom de RDC aujourd’hui a acquis son indépendance de la Belgique en 1960. À cette époque, le pays était connu sous le nom de République du Congo (le nom actuel du pays qui se situe de l’autre côté de la rivière Congo avec sa capitale Brazzaville) et plus tard sous le nom de Zaïre. Dans les années 1960, le pays qui abrite 60 % de la forêt tropicale du Congo est devenu le second producteur mondial d’huile de palme grâce à ses plantations massives, comme celles de PHC.

Mais ce succès n’a pas duré, et en 2009, Unilever a perdu ses parts dans PHC, avec la reprise des plantations par Feronia Inc. Cependant Feronia n’avait aucune expérience dans la production d’huile de palme. Assaillie par les questions autour des conditions de travail et affaiblie par la stagnation du prix mondial de l’huile de palme, la société a peiné à dégager des profits.

Un récent rapport communiqué par l’ONG congolaise RIAO-RDC, l’ONG Grain basée à Barcelone et d’autres organisations internationales, précise comment une coterie de banques européennes de développement aurait investi 150 millions de dollars dans la société PHC via différents investisseurs. Ces fonds ont été injectés en dépit d’une part d’un mouvement de soutien pour restituer aux communautés locales le contrôle de leurs terres ancestrales et d’autre part de violents affrontements entre la police et les forces de sécurité de Feronia et les militants de la communauté.

Les militants des plantations de PHC auraient été détenus en prison pendant 30 jours, selon les informations que Gilbert Lokombu Limela, habitant et membre de la société civile de Basoko à Lokutu, a apportées à farmlandgrab.org. Or la Constitution de la RDC stipule qu’il est interdit de détenir tout individu pendant plus de 48 heures sans accusations.

Une plainte officielle déposée par RIAO-RDC en 2018 auprès de plusieurs banques européennes de développement a été suspendue.

« Les mécanismes d’examen des plaintes ont été totalement inefficaces », a déclaré Mousseau.

Pendant ce temps, la violence continue d’anéantir les communautés locales. Les soldats congolais ont tiré plusieurs fois sur les manifestants en mars 2019. Quelques mois plus tard, en juillet, un agent de sécurité de Feronia a été accusé d’avoir tué un défenseur du droit à la terre et un membre de RIAO-RDC, nommé Joël Imbangola Lunea. L’agent a été acquitté. Le groupe CDC, organisme britannique de financement du développement et principal actionnaire de Feronia lorsqu’il gérait PHC, a commandé une enquête sur le crime, mais son rapport n’a pas encore été communiqué. Dans un rapport, le groupe a toutefois déclaré qu’aucune preuve n’avait été identifiée pour confirmer que « l’agent de sécurité de Feronia était lié d’une manière ou d’une autre au présumé meurtre ».

Pour les militants luttant pour la restitution des terres de PHC aux communautés, les espoirs de voir le transfert de propriété marquer un changement dans le mode d’opérations des plantations se sont envolés mi-février. Une délégation de Straight KKM s’est rendue à la plantation Lokutu, qui avec ses 63 560 hectares est la plus large des trois plantations de PHC. Des ONG opérant dans les environs ont rapporté l’arrestation par les forces de sécurité de manifestants apparemment pacifistes peu de temps après leur entrevue avec des représentants de PHC. Les membres des ONG ont ajouté que ces militants avaient été battus pendant leur garde à vue.

Un mouvement s’est organisé pour commencer la production d’huile de palme à petite échelle sur une parcelle de 420 hectares abandonnée sur la plantation Lokutu en 2020, redonnant ainsi aux communautés une lueur d’espoir. Les membres de la communauté affirment qu’ils peuvent maintenant gagner plus d’argent que lorsqu’ils travaillaient pour PHC, où les salaires oscillaient entre 1,50 et 2,80 dollars par jour en 2018, d’après les calculs de l’ONG Human Rights Watch.

Mousseau dénonce les fonds d’investissement injectés par les institutions financières de développement dans les groupes de capitaux privés plutôt que dans les communautés, qui, pourtant, comme il le souligne, auraient réellement besoin d’un vrai boost économique.

« Si ce montant, ces 150 millions de dollars injectés par les banques de développement, avait été dépensé pour accompagner les communautés dans leurs projets, dans la création d’activités ou de leurs propres plantations, imaginez [le résultat] », a déclaré Mousseau. « C’est ridicule quand vous pensez que tout cet argent aurait pu être dépensé pour venir en aide à ces gens, au lieu de cela, il sert à verser les salaires de je ne sais quels consultants et directeurs. »

« Vous pouvez aisément imaginer qu’une telle somme d’argent ne va pas dans la poche des communautés locales ».

John Cannon est journaliste pour Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon

Article original: https://news.mongabay.com/2021/03/pension-and-endowment-funds-linked-to-conflict-plagued-oil-palm-in-drc/

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