L'Arabie saoudite vise une autosuffisance alimentaire délocalisée

LE MONDE | 17.04.09 | Article paru dans l'édition du 18.04.09.

Il fut un temps où le royaume saoudien, en dépit de conditions naturelles défavorables, avait fait de l'autosuffisance alimentaire une cause nationale. En l'espace de trois décennies, entre 1971 et 2000, grâce à une politique d'irrigation soutenue par les fonds publics, la surface agricole utile était ainsi passée de 0,4 à 1,6 million d'hectares, les terres cultivables étant concentrées dans les provinces du Haïl et du Qassim, au nord de Riyad, et dans celles du Sud-Ouest, Jizan et Najran.

Cette politique ne fut pas sans succès : selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), en 1995, la production de blé (2,5 millions de tonnes) dépassait largement la consommation intérieure (1,8 million de tonnes). "Le royaume était exportateur en blé, mais avec un coût de production quatre fois supérieur aux cours mondiaux", dit Zaher al-Mounajjed, un consultant.

Le gouffre financier creusé par ces pratiques agricoles et les dégâts entraînés par le pompage des nappes phréatiques fossiles du pays ont conduit à une remise en question de ce modèle. La crise alimentaire du printemps 2008 lui a porté un coup fatal.

"Dans un contexte de tensions sur les marchés des matières premières, les stocks stratégiques constitués à cette période par l'Iran et les achats spéculatifs ont entraîné une flambée des prix qui a touché l'aliment de base en Arabie saoudite : le riz", explique un expert européen de l'économie saoudienne.

Les conséquences sociales de cette hausse, malgré la politique de subventions en vigueur pour les aliments de base, ont conduit les autorités à réfléchir à une autre formule pour assurer la sécurité alimentaire du pays le plus peuplé de la péninsule (25 millions d'habitants). Parallèlement à la hausse des subventions pour le riz, à partir de décembre 2007, l'Arabie a choisi de renoncer à certaines productions agricoles, à commencer par le blé. En janvier 2008, le gouvernement a décidé de baisser de 12,5 % la production nationale. D'ici la fin de l'année 2015, le royaume dépendra entièrement des importations pour cette céréale.

PROSPECTIONS AU SOUDAN

Mais le pays n'a pas renoncé pour autant à son vieux rêve : les achats de terres à l'étranger s'inscrivent en droite ligne dans la recherche d'une autosuffisance désormais délocalisée. Cette volonté s'est traduite, en 2008, par l'initiative du roi Abdallah pour les investissements saoudiens à l'étranger. Les autorités ont décidé d'épauler financièrement et politiquement les entrepreneurs privés intéressés. Un fonds de 600 millions de dollars (458 millions d'euros) a été constitué et porté, en avril, à 800 millions (611 millions d'euros). Il pourrait encore grossir.

Les groupes agroalimentaires saoudiens ont commencé leurs prospections sous l'égide des ministères du commerce et de l'agriculture. Certains se sont tournés vers l'Afrique, compte tenu de sa proximité avec le royaume. C'est notamment le cas d'une entreprise du Haïl, Hadco, qui, après avoir arrêté la production de blé, loue des milliers d'hectares au Soudan (son objectif est d'en cultiver 40 000). Cette société est aussi à la recherche d'opportunités en Turquie.

Le groupe Ben Laden, spécialisé dans les travaux publics, s'est engagé en Asie à la tête d'un consortium, espérant, à terme, gérer 500 000 hectares de rizières en Indonésie, dans le cadre d'un projet agricole de 1,6 million d'hectares comprenant la production d'agrocarburant. "C'est une diversification habile, car elle permet de jouer sur l'image de l'intérêt général", estime l'expert européen.

En janvier, le premier riz "saoudien" produit à l'étranger a été présenté au roi Abdallah. Le consommateur saoudien ne goûte pas la différence. En dépit du renversement de conjoncture, il continue à payer son alimentation à un prix élevé, correspondant au niveau en vigueur pour les achats massifs effectués en 2008 afin de prévenir toute crise alimentaire.

Prochain volet : Chine et Kazakhstan

Gilles Paris

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