Chine : le droit de cultiver la terre "sécurisé" par le renouvellement des contrats fonciers

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Des paysans membres d'une coopérative à Liuzhou, dans la région autonome de Guangxi Zhuang, rentrent chez eux après une journée de travail en octobre. LONG TAO/CHINA DAILY
Asialyst | 8 décember 2017

Chine : le droit de cultiver la terre "sécurisé" par le renouvellement des contrats fonciers

Jean-Marc Chaumet Jean-Marc Chaumet

Le 19ème Congrès du Parti communiste chinois n’a pas seulement propulsé Xi Jinping au Panthéon des grands leaders chinois. Dans le domaine agricole, une annonce a retenu l’attention : le renouvellement pour 30 ans supplémentaires des contrats fonciers actuels, qui vient lever une interrogation persistante sur la stabilité de la propriété et de l’usage des terres agricoles en Chine. Un signal fort pour l’investissement dans l’agriculture.

Au début des années 1980, la fin de la collectivisation a laissé place au système de responsabilité des ménages, au sein duquel les droits fonciers sur les terres rurales ont été scindés en deux : le droit de propriété dont jouit collectivement une communauté rurale, généralement un village, et le droit d’utilisation, détenu par un ménage individuel qui souscrit un contrat portant sur un lopin de terre. Ce dernier possède ainsi le droit de cultiver la terre et d’utiliser les fruits de son travail. La durée des premiers contrats était de 15 ans dans les années 80, et leur renouvellement dans les années 90 avait allongé la durée à 30 ans. L’annonce faite en octobre dernier garantit une stabilité du droit foncier jusque dans les années 2050 et doit ainsi permettre le développement d’investissements et de projets à long terme dans l’agriculture.

Ce prolongement des contrats s’inscrit dans une série de mesures foncières destinées à créer les conditions optimales pour la modernisation de l’agriculture chinoise, sans toucher au dogme de la propriété collective. Il s’agit de limiter l’insécurité foncière et encourager le transfert des droits d’utilisation des terres pour augmenter les revenus des agriculteurs et au final, d’assurer la stabilité sociale et la sécurité alimentaire du pays.

Sur le front social, les accaparements de terres ou les faibles dédommagements liés aux rachats de droits d’utilisation des agriculteurs sont à l’origine d’une grande partie des « incidents de masse » qui enflamment périodiquement les campagnes chinoises. Ces « incidents » réunissent des centaines voire des milliers de protestataires : ils auraient été multipliés par dix entre 1993 et 2005 pour atteindre 87 000 incidents, puis 187 000 en 2010, dont 65 % auraient eu pour origine des différends fonciers. Ces confrontations régulières font peser localement un risque de déstabilisation et alimentent le ressentiment envers le mode de gouvernance du pays. Deux facteurs ont notamment contribué à cet accaparement de terres destiné à satisfaire la croissance économique. D’abord, la difficulté des agriculteurs à faire respecter leurs droits sur les terres qu’ils cultivent. Ensuite, la réforme fiscale intervenue dans les années 1990 et qui a privé les gouvernements locaux d’une partie de leurs ressources au profit de l’Etat central. Afin de récupérer de l’argent, les autorités locales ont utilisé à leur avantage la modification du statut foncier des terres agricoles en terres constructibles et les transferts de droits d’usage foncier. Ces transferts sont d’autant plus difficiles à accepter pour les agriculteurs, qu’environ 10 % des conversions de terres seraient illégales, les industriels et les gouvernements utilisant parfois la force pour arriver à leur fin.

Sur le plan agricole, depuis la mise en place du système de responsabilité des ménages, la taille des fermes n’a pas fortement évolué, sous l’effet de réallocations de parcelles et de l’augmentation du nombre de foyers agricoles dans les années 1980 et 1990. La taille moyenne des quelque 200 millions d’exploitations serait de 0,6 hectare en 2013, toujours très loin des moyennes en France, 55 hectares, ou encore aux États-Unis, 175 hectares. Conséquence des petites surfaces cultivées, les faibles revenus des agriculteurs chinois contribuent à maintenir un écart de revenu entre ruraux et urbains chiffré par les statistiques officielles de 1 à 3, source de ressentiment dans les campagnes.

Ces bas revenus sont également une menace pour la production agricole chinoise. Les agriculteurs et en particulier les producteurs de grains (céréales, soja et tubercules) sont tentés par l’aventure urbaine où les revenus et les salaires progressent plus rapidement, malgré les politiques des prix minimums et de subventions diverses aux productions agricoles. Cet exode rural, souhaité par les autorités, permet certes de soutenir le développement économique du pays en abondant les secteurs de l’industrie et des services, à plus forte productivité. Mais il ne doit pas se traduire par un abandon des surfaces cultivées. La Chine manque déjà de terres et a fixé à 120 millions d’hectares cultivés le seuil minimum à ne pas franchir. Or, le départ des campagnes concerne environ 15 millions de personnes par an et le phénomène des terres abandonnées prend de l’ampleur. Un rapport officiel chinois intitulé « Développement des Zones rurales en Chine. Villages vides et Stratégie adoptée » chiffre en 2012 à plus de 7,5 millions d’hectares les surfaces cultivées laissées à l’abandon faute de bras pour les travailler. En outre, des millions d’hectares sont cultivés par des personnes âgées, à la productivité plus faible que les jeunes générations. Si une partie de la famille reste sur place pour poursuivre le travail agricole, il s’agit souvent d’une main-d’œuvre âgée, moins productive.

L’augmentation de la taille des fermes permettrait donc de diminuer les coûts de production, d’augmenter la productivité des travailleurs et donc les revenus, motivant les agriculteurs à poursuivre leur activité. En outre, les petites exploitations, souvent peu connectées aux marchés, sont considérées par les autorités comme peu compétitives vis-à-vis des produits importés, notamment depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, et peu réactives face aux demandes des consommateurs comme face aux fluctuations du marché.

Pourtant, si l’augmentation de la taille des exploitations semble relativement partagée, le débat reste vif en Chine au sein des autorités chinoises et des milieux universitaires entre les partisans du statu quo et ceux de la privatisation des terres. Ces derniers soutiennent que la transaction pourrait fournir un pécule aux vendeurs pour s’installer en ville et permettrait de clarifier les droits de parties prenantes. Leurs opposants, au contraire, argumentent sur le danger de concentration des terres rurales aux mains d’un petit nombre de propriétaires que fait courir la privatisation. Ils insistent également sur le filet de sécurité que représentent les terres pour les familles rurales en l’absence de sécurité sociale et de bonnes indemnisations chômage, tout en mettant en garde contre un exode rural massif et incontrôlé. L’exemple abondamment cité met en avant le licenciement de dizaines de millions de migrants en 2008-2009, en pleine crise financière, amorti par le retour à la terre des nouveaux chômeurs.

Les réformes entreprises depuis les années 90 ont longtemps évolué entre les deux points de vue. Elles ont récemment cherché à les concilier en favorisant l’émergence d’un marché foncier permettant d’allouer les terres de manière plus efficace, tout en conservant la propriété collective. Les autorités ont consolidé les droits contractuels des agriculteurs, en lançant en 2016 un enregistrement auprès des autorités locales et la délivrance de certificats, afin de clarifier les titres du foncier. L’enregistrement des terres devrait être complété fin 2017.

Elles ont également assoupli les conditions de transfert des terres rurales. Ainsi, a été décidée en 2014 la mise sur le marché des terres rurales constructibles, que sont les terres rurales collectives destinées à un usage non agricole. En augmentant l’offre de terre, les autorités cherchent à réduire les réquisitions de terres agricoles, destinées à satisfaire la demande urbaine. Le gros chantier vise à faciliter le transfert des terres cultivables entre les utilisateurs, alors que depuis les années quatre-vingt-dix, les transferts s’effectuaient sur une base saisonnière, de manière orale et informelle. En 2013, 26 % des terres agricoles auraient été transférés à un autre utilisateur que le détenteur du droit d’utilisation, selon les données du ministère chinois de l’Agriculture.

Pour augmenter les transferts, des centres de service ont été établis au niveau des cantons ou des districts. Ces plateformes communiquent des informations sur les modalités de transferts et sur les terres disponibles, jouent le rôle d’intermédiaires afin de faciliter les transferts, de réduire les coûts de transactions ; ces centres peuvent également fournir une aide juridique. En 2015, une nouvelle réforme des droits fonciers devrait permettre d’officialiser les transactions et de sécuriser les droits des parties prenantes. Le « droit d’utilisation » détenu par un ménage a en effet été divisé en « droit de gestion », qui peut être cédé à un tiers et un « droit de contrat » sur le terrain qui demeure aux mains du ménage. Ainsi, le ménage cède l’usage via une mise à disposition du foncier, mais garde la propriété du contrat. Les agriculteurs peuvent également dorénavant utiliser leurs terres comme garanties pour l’obtention de prêts bancaires et opérer le transfert du droit de gestion auprès de sociétés privées, et non plus seulement des ménages, avec l’idée d’investissements conséquents dans les terres agricoles.

Reste à savoir si ces mesures seront considérées comme apportant suffisamment de garanties aux investisseurs et de sécurité aux agriculteurs. Si un document en bonne et due forme permet maintenant d’éviter certains problèmes, nombreux sont les agriculteurs encore réticents à transférer leurs terres craignant un arrêt des paiements en cas de faillite du locataire et une récupération problématique des terres à la fin du contrat.
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