L’Etat Ivoirien spolie 11.000 ha de terre à Famienkro

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Les cultures détruites au profit des plants d’hévéa
Eburnie | 31 août 2016

L’Etat Ivoirien spolie 11.000 ha de terre à Famienkro

par Anderson Diédri

L’Etat Ivoirien a octroyé à la Compagnie hévéicole de Prikro (CHP), filiale du groupe belge SIAT (Société d’investissement pour l’agriculture tropicale), environ 11 000 hectares de terre à Famienkro, localité située à 313 km d’Abidjan au centre de la Côte d’Ivoire. Les communautés villageoises réclament la propriété de cette parcelle mais le gouvernement estime que ces terres sont patrimoine de l’Etat.

Lors de l’atelier sur la prévention des conflits dans les zones agro-industrielles le 30 mars 2016 à Abidjan, le directeur du foncier rural, Constant Delbé Zirignon, affirme que la parcelle d’environ 11.000 hectares à Famienkro a été concédée à l’Etat de Côte d’Ivoire au moment de l’installation en 1979 de l’ex-complexe sucrier Sérébou-Comoé exploitée par la Société pour le développement du sucre (SODESUCRE), une société d’Etat.

« Ces terres ont été immatriculées au nom de l’Etat et par conséquence purgées de tout droit coutumier. Aucun droit coutumier – juridiquement – ne peut se concevoir sur une terre immatriculée. Nous avons été en procès avec certains habitants du village de Famienkro, en tout cas de cette zone, et nous avons pu leur expliquer qu’il s’agissait de terres concédées au profit de l’Etat et qu’en application de la loi 2013, l’Etat était en droit d’obtenir l’immatriculation de ce terrain et c’est ce qui a été effectivement fait », explique-t-il avant d’ajouter : « Ces terres-là ont été mises à la disposition du ministère de l’agriculture pour le développement agricole, et donc des actes administratifs étant intervenus, ces terres-là sont devenues des terres concédées. Donc ce qu’on a fait c’est qu’on a immatriculé la terre et puis on a passé le bail [emphytéotique] avec l’agro-industrie qui a été installé sur ces terres-là ».

Ces propos ont été tenus alors que les populations continuent de revendiquer ces terres. En effet, lors d’une manifestation en juillet 2015 à Famienkro, l’intervention des forces de l’ordre a causé la mort deux villageois : Assué Amara et Ali Amadou. 71 personnes (dont le roi de Famienkro et le chef du village de Koffesso) ont été arrêtées et emprisonnées à M’Bahiakro, où un jeune homme, Siriki Koffi Abdoulaye, est également décédé le 3 janvier 2016. Si à ce jour, toutes les personnes arrêtées ont été libérées, sans jugement, la CHP continue ses activités à Famienkro.

« Nous n’avons pas été associés à ce projet d’hévéaculture », s’indigne le roi de Famienkro, Nanan Akou Moro II (de son vrai nom Daouda Mahaman), 68 ans, rencontré à Famienkro.

A qui appartiennent les 11.000 hectares de terre à Famienkro ?

Quelles sont les preuves qui fondent la déclaration du directeur du foncier rural ? Saisi par courrier, le ministère de l’agriculture et du développement rural n’a pas répondu. Egalement contacté, la CHP nous a répondu par cette formule consacrée : « compte tenu du contexte actuel, nous sommes malheureusement tenus de nous astreindre à une certaine réverse et sommes obligés de décliner votre proposition ». Pour le Dr Frédéric Varlet, un français qui travaille depuis une quinzaine d’années sur le foncier en Côte d’Ivoire, l’Etat doit prouver que les communautés lui ont effectivement cédé cette parcelle.

« Si la preuve de cette purge des droits coutumiers peut être apportée, l’État peut donc bien revendiquer la détention des droits coutumiers du fait de les avoir achetés », observe cet agroéconomiste.

« L’Etat Ivoirien n’a aucun document », soutient Sinan Ouattara (porte-parole du roi de Famienkro) qui a été emprisonné en 2013 puis en 2015 avant d’être libéré, dans le cadre de cette affaire. A ce jour, l’Etat de Côte d’Ivoire n’a produit aucun acte administratif lui attribuant les terres exploitées par la SODESUCRE entre 1979 et 1982. Ce document s’il existait, constituerait un acte de concession décidé à son profit et lui permettrait d’immatriculer ainsi les terres de Famienkro à son nom. En plus, l’ex-complexe sucrier avait occupé pour ses activités 5.000 hectares de terre. Or l’Etat en a attribué 11.000 à la CHP.

Il n’y a pas eu de purge de droits coutumiers

L’Etat et les communautés rurales revendiquent chacun la propriété de la terre. Pour démêler l’écheveau, le tribunal de M’Bahiakro, saisi par les populations, ordonne une mise en état foncière afin de déterminer la nature du contrat qui a été conclu entre l’Etat et les villageois au moment de l’installation de la SODESUCRE. Le tout étant de vérifier s’il y a eu une purge des droits coutumiers. Lors de l’audition des parties par le juge Armand Gueya (président de cette juridiction), le directeur du foncier rural a répondu le 20 novembre 2014 que « l’Etat étant le propriétaire de l’espace querellé, il n’y a pas lieu à purge de droit coutumier. L’Etat, par des arrêtés successifs, s’est contenté d’indemniser ceux dont les cultures avaient été détruites pour la réalisation du projet de l’ex-complexe sucrier Sérébou-Comoé » a-t-il conclu.

Il n’y a donc pas eu de purge des droits coutumiers. Les arrêtés dont parle le directeur du foncier rural sont les arrêtés N° 542 AGRI et N° 543 AGRI du 19 avril 1979 et N°885 AGRI du 26 juin 1979 qui autorisent au profit de plusieurs planteurs le paiement « d’indemnités pour destruction de cultures sur le terrain mis à la disposition du ministère de l’Agriculture pour la réalisation d’opérations de développement agricole ». Ce sont les seuls documents officiels que le gouvernement a brandi lors de ce procès pour revendiquer la propriété de la parcelle querellée. Les arguments des plaignants et de l’Etat de Côte d’Ivoire ont été consolidés dans le rapport de mise en état du juge Armand Gueya le 22 janvier 2015.

L’affaire Famienkro est à cheval sur deux périodes de la réglementation foncière ivoirienne. L’une régie par les textes en vigueur avant l’adoption de la loi de 1998 sur le foncier rural et celle d’après. D’abord, il y a lieu de faire une distinction entre la purge des droits coutumiers sur une parcelle et les indemnisations pour cultures détruites. Le décret N° 72-116 du 9 février 1972 fixe le barème d’indemnisation pour destruction de cultures dans le cas de l’exécution de travaux d’utilité publique. Le décret 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières souligne que l’attribution d’un terrain rural est subordonnée notamment à l’immatriculation du terrain au nom de l’Etat « pour le purger de tous droits des tiers et garantir l’origine de la propriété ». Quand le décret-loi N° 5-580 du 20 mai 1955 renchérit en précisant que « nul individu, nulle collectivité ne peut être contraint de céder ces droits [les droits coutumiers exercés sur les terres] si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste compensation ». L’Etat, jusque-là, n’a pu faire la preuve d’une purge foncière ni d’un contrat avec les communautés qui matérialise la cession de ces terres. Ce qui remet ici en cause la notion de terres concédées.

L’Etat Ivoirien exproprie les terres des communautés

Devant le juge, le directeur du foncier a développé un autre argument. Selon lui, les terres vacantes et sans maitre appartiennent à l’Etat conformément à l’article 1er du décret du 15 novembre 1935 portant réglementation des terres domaniales et l’article 713 du code civil. Lorsque le ministre de l’agriculture, Mamadou Sangafowa Coulibaly, se rend à Famienko à la veille de la signature le 14 septembre 2013 de l’accord-cadre entre le gouvernement et la CHP pour le démarrage des activités de cette compagnie, il rassure les villageois hostiles au projet.

« A la fin de l’exploitation, les terres vont revenir à leurs propriétaires. Faites donc vos titres de propriété afin que vos terres vous reviennent ».

Paradoxalement, au moment où le gouvernement engage la procédure d’immatriculation en avril 2014, il soutient que cette parcelle appartient à l’Etat comme terre vacante et sans maitre. Mais pour l’avocat des communautés, les terres sont la propriété de ses clients.

« Les arrêtés indiquent bien que c’est une mise à disposition. Aucun titre n’est détenu par la SODESUCRE sur les parcelles. On ne peut donc pas dire qu’une parcelle de terre sur laquelle des mises en valeur ont été faites depuis des siècles est sans maitre. C’est le maître qui met à disposition la terre », estime Me Serge Pamphile Niahoua.

La parcelle querellée n’étant pas une terre concédée, l’Etat ne peut l’immatriculer en son nom. L’immatriculation faite constitue une expropriation des terres des communautés par l’Etat. En effet, la loi N° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, qui reconnait les droits coutumiers, apporte une innovation de taille. L’Etat n’est plus le propriétaire de toutes les terres rurales ; alors qu’avant l’entrée en vigueur de cette loi il pouvait accorder des titres d’occupation sur une terre non immatriculée.

« Cette possibilité n’est plus offerte à l’Etat. L’Etat a d’ailleurs perdu sa qualité de propriétaire éminent de toutes les terres. Il n’est propriétaire que des terres immatriculées à son nom », expliquait en novembre 2004, à Nairobi au Kenya, le magistrat Léon Désiré Zalo, alors directeur du foncier rural et du cadastre rural, au ministère ivoirien de l’agriculture.

Pourtant, le gouvernement a attribué cette parcelle à la CHP à travers la signature de l’accord-cadre en septembre 2013, c’est-à-dire avant l’immatriculation de la terre engagée par le ministère de l’agriculture en avril 2014. Les communautés continuent de revendiquer la propriété de ces terres, sans succès. En effet, elles craignent de perdre leurs terres utilisées pour les cultures de subsistance au profit de la plantation industrielle d’hévéa. Un schéma qui les conduirait en situation d’insécurité alimentaire aussi bien pour les habitants actuels de Famienkro que les générations à venir. Elles attendent que le tribunal de M’Bahiakro tranche en disant le droit.
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