Les investisseurs arabes à l’assaut de la Serbie : illusion ou réalité ?

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Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan et Aleksandar Vučić
Radio Slobodna Evropa | mardi 3 septembre 2013

Les investisseurs arabes à l’assaut de la Serbie : illusion ou réalité ?

Traduit par Jasna Anđelić

Rachat de la JAT, devenue Air Serbia, par Etihad, investissements massifs de la compagnie Al-Dahra en Voïvodine : les Émirats arabes unis sont en passe de devenir le premier investisseur étranger en Serbie. D’où vient donc un tel emballement ? Et le phénomène n’est-il pas exagéré par les politiques ? Ne prend-on pas, encore une fois, des promesses et des illusions pour des réalités ? Omer Karabeg en discute avec les consultants Mahmut Bušatlija et Milan Kovačević.

Propos recueillis par Omer Karabeg

Radio Slobodna Evropa (RSE) : Quel est l’intérêt des pays arabes, notamment des Emirats arabes unis, à investir en Serbie ?

Mahmut Bušatlija (M.B.) : Ils cherchent à satisfaire leur besoins, notamment alimentaires, mais aussi en eau et en armes. L’ancienne Yougoslavie était très présente sur le marché du Moyen Orient et des contacts maintenus depuis cette période ont servi de base pour les investissements en Serbie. La deuxième raison de leur arrivée est le fait que la Serbie n’est toujours pas membre de l’UE et qu’elle dispose de grandes ressources naturelles non exploitées. Il ne faut pas oublier que la Serbie possède près de 500.000 hectares non exploités de terres agricoles de première catégorie, et les Arabes cherchent justement à investir dans l’agriculture.

RSE : Etihad, la compagnie aérienne des Émirats, a acheté 49% de l’ancienne compagnie serbe JAT, rebaptisée Air Serbia. Elle a promis un investissement de cent millions d’euros pour acheter de nouveaux avions. Quel intérêt pouvait donc avoir Etihad à acheter la JAT, une compagnie à problème ?

Milan Kovačević (M.K.) : Etihad achètera l’ancienne JAT quand celle-ci sera remise à flots. L’État serbe a promis de prendre à sa charge les dettes de la JAT. Avec ces accords passés avec Etihad, notre gouvernement continue de fonctionner de manière bien peu transparente. Nous ne savons toujours pas si tous les droits de la compagnie JAT seront cédés gratuitement. Ces droits ont une grande valeur et j’ai peur qu’ils ne soient offerts au repreneur.

M.B. : Je pense aussi que l’accord conclu avec Etihad est peu clair – est-ce un achat ou une reprise de la société sans paiement ? Le processus n’est pas transparent. Par contre, je comprends l’intention de la compagnie Etihad de pénétrer l’espace européen.

Les dettes de la JAT, quelques 200 millions d’euros, peuvent être reprises par une intervention étatique, mais cette dette doit être réduite de 60 millions qui font partie d’un accord passé avec les clubs de Paris et de Londres. Dans tous les cas, il reste entre 130 et 140 millions à transformer en dette publique.

RSE : En dette publique... Mais qui paiera ?

M.K. : La dette sera payé par les contribuables. Le manque de transparence crée l’illusion que leur argent est jeté dans un trou indéfini. Il est dommage que cette opération n’ait pas eu lieu plus tôt, elle aurait coûté moins cher.

RSE : Les représentants du gouvernement affirment que la compagnie Air Serbia sera la plus puissante non seulement dans la région, mais sur un territoire habité par cent millions de personnes. N’est-ce pas un peu exagéré ?

M.B. : Cent millions d’habitants, c’est pratiquement notre région : ex-Yougoslavie, Albanie, Bulgarie et Roumanie... À mon avis, toutefois, c’est plus une formule politique qu’un plan d’action. Air Serbia est sur la bonne voie pour devenir la plus importante compagnie aérienne dans l’espace ex-yougoslave, grâce à la coopération avec Etihad, mais cela n’a pas beaucoup d’importance. Je ne vois pas comment Air Serbia pourrait entrer dans l’espace croate ou slovène sans un haut niveau d’intégration régionale...

RSE : Qu’en est-il du contrat selon lequel la société Al Dahra des EAU devait acheter ou prendre en concession plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles en Voïvodine ?

M.K. : Les premières déclarations sur ces investissements dans toutes sortes d’entreprises n’ont pas été réalistes. À L’époque, j’avais regardé le profil de la société Al-Dahra et j’avais estimé que leur seul intérêt était de trouver une alimentation animale de qualité pour leurs fermes. Il me semble que de nombreuses idées qui ont été évoquées lors de la signature de [l’accord avec les Emirats arabes unis->http://balkans.courriers.info/article21835.html, dont de grands projets d’irrigation, la construction d’un port fluvial, etc, n’étaient que de la démagogie. La caractéristique générale des investissements étrangers en Serbie est qu’il y a beaucoup plus de promesses que de résultats. À titre d’exemple, les investissements étrangers directs en 2012 n’ont pas dépassé 200 millions d’euros, en incluant l’immobilier, la vente des capitaux et les investissements greenfield. C’est pourquoi les déclarations politiques sur les investissements étrangers doivent être prises avec réserve.

RSE : Puisque vous parlez de démagogie, l’ancien ministre des Finances Mlađen Dinkić avait promis des investissements arabes à hauteur de 800 millions de dollars dans l’agriculture serbe. Velimir Ilić, ministre de la Construction, affirme que les Arabes investiront dans le centre de chargement à Lađevci, la construction des logements, des autoroutes et même dans le tourisme en Serbie...

M.B. : Ce n’est pas de la démagogie. La démagogie sous-entend une certaine conscience du problème et des connaissances. Nos politiciens connaissent peu de choses et ils sont, en réalité, plus populistes que démagogues. Après la signature des premiers accords, ils devraient céder la place aux professionnels. Prenons l’exemple des négociations avec Etihad. Après l’accord politique, les Arabes ont envoyé une large équipe de professionnels, tandis que nous avons toujours été représentés par Mladjan Dinkić. Nos politiciens ne peuvent pas s’entendre avec les hommes d’affaires et c’est la source de tous les problèmes. Ils doivent laisser les négociations d’affaires aux professionnels.

RSE : Pour moi, c’est de la démagogie, parce que les politiciens savent bien ce qu’ils font lorsqu’ils annoncent des centaines de millions d’euros d’investissements en Serbie. Ils cherchent à flatter les électeurs, en se présentant comme des sauveurs.

M.K. : Nos politiciens disent qu’ils font venir des investisseurs étrangers, mais le plus souvent c’est tout le contraire qui se produit. En réalité, les investisseurs viennent avec leurs idées, alors que nous manquons de capital et de capacités d’entreprise. Les pays d’Asie ont des taux de croissance très élevés grâce aux investissements étrangers, mais ils avaient d’abord des petits entrepreneurs locaux qui ont commencé à produire dans des garages, avec des volumes très réduits. Puis ils ont réussi à se développer : avec un bon programme productif, ils ont facilement trouvé des investisseurs. Ici, nous n’avons rien à offrir et la procédure d’obtention des permis de construction est compliquée. Notre système économique est mauvais et peu attrayant pour les investisseurs étrangers. Notre ministre paie les investisseurs pour venir en Serbie, et nous leur proposons des projets qui seront finalement refusés. Nos ministres font le tour du monde et nous promettent des investissements à hauteur de millions, ce qui apporte souvent plus de problèmes que d’avantages. Nous avons signé un accord sur la construction du plus grand parc solaire en Europe et il fait actuellement l’objet de litige avec une demande de dommages et intérêts. On a beaucoup parlé d’une autre raffinerie de pétrole qui n’a jamais été ouverte. Beaucoup de projets portés par des politiciens nous ont déjà causé des ennuis et nous courrons le risque de payer à chaque fois des dommages et intérêts...

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