ANALYSE : Les transactions foncières « menacent le développement du Soudan du Sud »

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La grande majorité des habitants du Soudan du Sud dépendent de la terre pour vivre. Photo: Hannah McNeish/IRIN
IRIN | 14.12.2011

ANALYSE : Les transactions foncières « menacent le développement du Soudan du Sud »

JUBA, 14 décembre 2011 (IRIN) - Selon un nouveau rapport, les transactions foncières « menacent de compromettre les droits fonciers des communautés rurales, d’aggraver l’insécurité alimentaire, d’accroître la pauvreté et de faire échouer les modèles de développement » du Soudan du Sud, un pays nouvellement indépendant qui, bien que riche en ressources, reste malgré tout très pauvre.

Selon l’Institut Oakland, basé aux États-Unis, les transactions foncières réalisées avant l’indépendance du Soudan du Sud, plus tôt cette année, – et qui concernent près de 9 pour cent de la superficie du nouveau pays – risquent de nuire à la construction d’une nation qui, pour l’heure, est l’une des moins développées au monde.

« Afin de relever les défis de développement qu’il s’est fixés, le gouvernement sud-soudanais a commencé à promouvoir les investissements privés à grande échelle pour accélérer le développement économique du pays. Or, selon des données récentes concernant le rythme auquel le gouvernement loue les terres aux entreprises nationales et étrangères », les avantages de ces transactions sont discutables, indique le rapport.

Le Soudan du Sud est devenu le plus jeune pays du monde le 9 juillet dernier lorsqu’il a fait sécession avec le nord après plusieurs décennies de guerre.

La recherche de l’Institut Oakland fait suite à un rapport publié par l’organisation d’aide humanitaire Norwegian People’s Aid (NPA). En mars, le NPA a dit que plus de cinq millions d’hectares de terres avaient déjà été accordés à des investisseurs pour la production de biocarburants, l’écotourisme, l’agriculture et l’exploitation forestière pendant les quatre années qui ont précédé le référendum sur l’indépendance qui s’est tenu en janvier 2011.

« Le soutien accordé par le gouvernement aux investissements fonciers est fondé sur le mythe selon lequel les projets de développement à grande échelle sont le moyen le plus rapide d’améliorer la sécurité alimentaire et de stimuler l’économie sud-soudanaise », indique le rapport de l’Institut.

Pourtant, selon certaines preuves tirées de transactions documentées, « il est beaucoup plus probable que ces projets fassent peser une menace sur la sécurité alimentaire en dépossédant les habitants des terres et des ressources naturelles dont ils ont besoin pour assurer leur subsistance quotidienne », car les transactions ont été conclues sans consultation et ne présentent guère d’avantages pour les communautés.

Le gouvernement a annoncé qu’il allait réexaminer toutes les transactions réalisées par des entreprises étrangères et tenter de combler les nombreux vides juridiques qui ont permis à certaines d’entre elles de « s’accaparer » de vastes étendues de terres à l’insu du gouvernement et des communautés.

Des organisations comme l’Institut Oakland et NPA ont appelé à l’imposition d’un moratoire sur les transactions foncières jusqu’à ce qu’un cadre approprié soit mis en place pour éviter les abus.

Révision de la loi foncière de 2009

Selon Jeremiah Swaka, sous-secrétaire au ministère de la Justice, le gouvernement est conscient du fait que la loi foncière de 2009 – qui a été votée à la hâte et sans qu’une politique permettant de clarifier le régime foncier et le mode d’exploitation des terres ne soit élaborée – a permis à des entreprises étrangères d’acheter presque toutes les terres fertiles du pays, dont la majeure partie n’est pas encore cultivée.

« C’est un peu comme si on mettait la charrue avant les bœufs », a-t-il dit, ajoutant que de nombreuses personnes ne comprenaient pas la loi et que les parties prenantes ne savaient pas très bien quel était leur rôle.

Selon M. Swaka, les transactions foncières ne sont qu’un autre cas de « délit de fuite » commis par des étrangers qui veulent exploiter les richesses du pays et on ne peut dès lors parler d’« investissements ». Au Soudan du Sud, cela se produit dans de nombreux autres secteurs, notamment le pétrole et la construction.

Le NPA cherche à renforcer le pouvoir des organisations de la société civile dans les 10 États sud-soudanais afin d’empêcher que de nouvelles terres soient volées aux communautés locales.

« On insiste tellement sur l’importance d’obtenir des investissements au Soudan du Sud, et nous ne sommes pas certains que ceux qui négocient les conditions [des transactions foncières] connaissent réellement la valeur des terres qu’ils vendent », a dit Nina Pedersen, responsable du projet de développement de la société civile du NPA.

Les organisations d’aide humanitaire ont indiqué que dans de nombreux cas, les transactions avaient été conclues entre les entreprises et un seul signataire local sans qu’il y ait de consultation locale et sans la participation des gouvernements local, étatique et central.

L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a travaillé en collaboration avec le gouvernement et mené des consultations dans les 10 États sud-soudanais pour élaborer l’ébauche de politique foncière qui a été soumise au gouvernement en février. Or, comme tout est encore à bâtir, le Soudan du Sud doit encore voter 98 projets de loi et il progresse à pas de tortue.

En attendant qu’une politique claire vienne modifier la loi foncière, il faudrait que le Soudan du Sud « ait de la chance » pour attirer les bons investisseurs, estime David Gosney, économiste à l’USAID.

Selon lui, les deux catégories d’investisseurs qui se rendent actuellement au Soudan du Sud sont ceux qui veulent faire des gains rapides et ceux qui souhaitent spéculer sur un marché opaque.

« Les seules terres vraiment délimitées se trouvent à Juba et peut-être dans deux autres villes », a-t-il dit en signalant que de vagues notions de propriété foncière pouvaient donner lieu à différentes interprétations.

Selon M. Swaka, le rôle de « trustee » du gouvernement le disqualifie de l’ensemble du système et rend difficile toute intervention de sa part dans des transactions qui exproprient et déplacent des communautés.

« Le soutien accordé par le gouvernement aux investissements fonciers est fondé sur le mythe selon lequel les projets de développement à grande échelle sont le moyen le plus rapide d’améliorer la sécurité alimentaire et de stimuler l’économie sud-soudanaise », indique le rapport de l’Institut. »

L’USAID espère non seulement que la nouvelle politique garantira une certaine transparence pour déterminer qui a le droit de louer, acheter ou vendre des terres et dans quelles limites, mais aussi qu’elle favorisera une plus grande équité afin de protéger les droits fonciers de l’ensemble des citoyens.

Selon M. Gosney, cette politique a pour but de « trouver un équilibre entre l’histoire culturelle du Soudan et les rapatriés, les questions de genre, le transfert de propriété des terres lorsque quelqu’un meurt », surtout en ce qui concerne les femmes, qui n’ont traditionnellement aucun droit à la terre ni à un héritage.

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Connaissez vos droits... Nina Pederson, du NPA, présente du matériel de sensibilisation sur la nouvelle loi foncière. Photo: Hannah McNeish/IRIN
Terres et conflit

Robert Lado, responsable de la commission foncière du Soudan du Sud, un organe chargé de conseiller le gouvernement et de rédiger la nouvelle politique, prône une administration des terres à l’échelle des comtés et des sous-comtés gérés par des citoyens et notamment des femmes et des anciens.

« Tout repose sur [la politique] foncière », a dit M. Lado. « Nous dépendons en effet de la prospection pétrolière et de nos ressources souterraines et, au Soudan du Sud, nous avons des terres arables » qui font vivre les éleveurs, qui forment 80 pour cent de la population.

M. Lado a dit qu’il fallait éviter les conflits fonciers pour garantir la paix et a mis en garde les entreprises étrangères qui ont conclu des accords douteux : « Leurs projets ne vont jamais se réaliser, car les gens vont se soulever. »

Dans un pays qui affiche des taux élevés de violences interethniques et d’attaques de bétail souvent provoquées par des conflits concernant les pâturages et les ressources telles que l’eau, d’autres organisations humanitaires s’inquiètent des risques de violence.

L’USAID craint que si de grandes étendues de terres changent tout à coup de mains, les communautés, qui se disputent déjà l’utilisation de terres dont le titre de propriété n’est pas défini, se retournent les unes contre les autres ainsi que contre l’État.

Selon M. Lado, des habitants ont menacé de mort un chef de tribu qui avait signé un accord avec l’entreprise américaine Nile Trading and Development (NTD) dans le comté de Lainya, dans l’État de l’Équatoria central.

Biocarburants

L’accord passé en 2008 par NTD pour louer jusqu’à un million d’hectares de terres dans le but de produire des biocarburants a été décrit comme « le plus grand accaparement de terres du Soudan du Sud ».

« Il semble que les entreprises aient recours à des initiatives agroforestières afin d’appuyer leurs intérêts dans le domaine pétrolier, gazier et minier au Soudan du Sud », indique le rapport de l’Institut Oakland publié en décembre, faisant référence au bail de 49 ans signé entre NTD et une coopérative apparemment fictive dans une zone densément peuplée.

L’Institut Oakland s’est associé à la communauté locale pour obtenir du président du Soudan du Sud, Salva Kiir, la promesse d’annuler cet accord. Anuradha Mittal, directrice de l’Institut, a qualifié le cas de « rare exemple d’une communauté presque considérée par des investisseurs comme des squatteurs dont ils pourraient se passer et qui se fait entendre par les plus hautes autorités ».

Construction de routes

Tout le monde s’accorde à dire que l’agriculture est essentielle pour que le pays ne dépende plus du pétrole à 98 pour cent et passe d’un marché de subsistance tributaire des importations à un marché d’exportation, mais, pour cela, des investissements adéquats sont nécessaires à l’échelle nationale.

« Si la nourriture produite est destinée à l’exportation, cela ne va d’aucune manière aider la communauté locale... D’un autre côté, si les terres fertiles sont accaparées par des entreprises étrangères, cela aura des conséquences néfastes sur la sécurité alimentaire », a dit Jamus Joseph, responsable du projet Terres et Ressources du NPA.

M. Joseph veut que des investisseurs signent des baux allant jusqu’à 99 ans pour aider à la construction de routes afin de faciliter l’accès à la nourriture dans ce pays où une personne sur trois est en situation d’insécurité alimentaire.

Dans un rapport publié en septembre, l’organisation humanitaire Oxfam a dit que les investissements fonciers à grande échelle en Afrique créaient une situation à « l’inverse du développement ». Selon le rapport, la sécheresse, le prix élevé des produits de base et les mesures en faveur des biocarburants, dont l’objectif est de lutter contre les changements climatiques, ont alimenté une nouvelle ruée sur les terres africaines.
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