De l'accaparement des terres à votre assiette, il n'y a qu'un pas

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Quand les terres sont arrachées aux petits paysans dans les pays en développement, les répercussions sont considérables sur la vie de ces gens qui vivent de l’agriculture. (Photo: IFPRI)
UdeM Nouvelles | Lundi, 10 Octobre 2011

De l'accaparement des terres à votre assiette, il n'y a qu'un pas

«Déjà en 1962, quand j'enseignais en Afrique, je me demandais pourquoi les agriculteurs de ce continent mouraient de faim. Comment se fait-il qu'encore aujourd'hui ces paysans, qui ont pour tâche de produire de la nourriture, n'en ont pas assez pour eux-mêmes? C'est une question banale mais néanmoins fondamentale qui continue à me préoccuper», raconte le géographe Rodolphe De Koninck.

Cette réflexion guide depuis plus de 40 ans ses champs d'intérêt en recherche. Après avoir étudié entre autres les politiques d'intensification agricole des pays en développement et l'expansion territoriale de l'agriculture au détriment des forêts, Rodolphe De Koninck se penche désormais sur l'accaparement des terres.

«C'est une pratique vieille comme le monde. De grandes entreprises saisissent des terres mises en valeur par de petits exploitants dans des pays pauvres où les droits fonciers sont flous», remarque le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études asiatiques de l'Université de Montréal.

Au cours des 10 dernières années, l'accaparement des terres a connu une croissance dramatique. On a vendu illégalement quelque 67 millions d'hectares partout dans le monde, plus particulièrement en Afrique. «C'est un peu plus que le territoire de la France», compare M. De Koninck.

Cette ruée s'explique par la dérégulation des marchés à terme des produits alimentaires de base. Les administrations Clinton et Bush ont progressivement permis la spéculation sur les denrées agricoles, ce qui a causé une flambée des prix des céréales – notamment en raison de la production exponentielle d'agrocarburants – et provoqué une crise alimentaire mondiale en 2008.

«La terre agricole est ainsi redevenue un objet d'investissement et donc de spéculation», analyse le géographe. Il donne en exemple le Liberia et la Sierra Leone, de petits pays qui ont chacun perdu plus de 300 000 hectares aux mains d'investisseurs européens. Ceux-ci y produiront de l'huile de palme destinée à la production d'agrocarburants. «Ces pays doivent importer plus de la moitié de la nourriture qu'ils consomment», s'indigne-t-il.

La Banque mondiale a encouragé l'accaparement des terres en prétendant que les entreprises occidentales pourraient faire œuvre utile en nourrissant les populations locales et en créant de l'emploi. «C'est faux, réplique le chercheur. En réalité, les denrées sont exportées et les méthodes de culture importées par ces entreprises sont perfectionnées à un point tel que le besoin de main-d'œuvre est inexistant.»

Le cas de l'Asie du Sud-Est

L'Afrique est la première victime de l'accaparement des terres, mais l'Asie du Sud-Est n'est pas en reste. De 2 à 10 millions d'hectares y ont été bradés, entre autres en Indonésie, au Cambodge, aux Philippines et en Thaïlande.

«Ce sont des pays densément peuplés où il n'y a plus beaucoup de terres disponibles. Les entreprises empiètent donc sur les forêts. Les répercussions sur le patrimoine forestier sont considérables», mentionne Rodolphe de Koninck.

Les multinationales exproprient des paysans et mettent la main sur leurs terres pour y implanter des cultures qui ne font partie ni de la planification nationale ni des objectifs de sécurité alimentaire des pays concernés. «Au Cambodge, on exploite le palmier à huile, bien que ce ne soit pas la ressource la plus intéressante pour cette contrée. Une grande entreprise thaïe y investit dans la production du sucre. Comme celui-ci peut servir à fabriquer de l'éthanol, son prix local sera déterminé par la demande croissante pour cet agrocarburant», illustre-t-il.

Tableau sombre

L'accaparement des terres n'est qu'une des nombreuses manifestations du pouvoir des multinationales de l'alimentation. Le tableau qu'en dresse Rodolphe De Koninck est alarmant.

«Les terres réquisitionnées servent trop souvent à cultiver le blé, le riz et le maïs. Ces trois céréales assurent plus de la moitié de la consommation alimentaire mondiale, bien qu'il existe 7000 espèces de plantes comestibles. Les multinationales réduisent à néant les productions locales pour tirer profit de ces monocultures dont elles contrôlent les semences, les engrais, les pesticides, etc.»

M. De Koninck rappelle que la douzaine de multinationales qui exercent leur emprise sur l'agriculture mondiale s'enrichissent en surproduisant. «Le tiers des aliments n'est pas consommé. Néanmoins, on achète toujours plus, car les grandes surfaces offrent des prix soi-disant compétitifs. Mais c'est une illusion. Ces baisses de prix sont calculées pour stimuler la surconsommation. Le problème de l'obésité galopante aux États-Unis est en partie lié à cela. Pendant ce temps, un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim.»

Le pouvoir du citoyen

Bref, de l'accaparement des terres à votre assiette, il n'y a qu'un pas. C'est pourquoi Rodolphe De Koninck croit qu'il revient au citoyen de faire pression sur les politiciens pour obtenir du changement.

«Les multinationales arrivent à leurs fins grâce à la politique, souligne-t-il. C'est le gouvernement américain qui a autorisé la spéculation sur les denrées agricoles. Si l'on avait mieux informé les consommateurs des conséquences d'une telle décision, jamais ils ne l'auraient acceptée. Une démocratie sans éducation, ça ne marche pas!»

Malgré la gravité de la situation, le géographe refuse de perdre espoir. «Nous avons pris conscience des dangers de la cigarette, fait-il observer. Nous sommes plus sensibles à la multiplication du sucre, du sel et du gras dans notre alimentation. Dans un autre registre, qui aurait pu prédire le printemps arabe? L'horizon n'est pas bouché.»

Marie Lambert-Chan
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